lundi 31 mars 2014

Ingrid Pitt, l’enfant rescapée des camps devenue Comtesse Dracula


La vie d’Ingrid Pitt ferait l’objet d’un incroyable scénario. L’histoire d’une petite fille juive, déportée d’Allemagne à 6 ans vers un camp d’extermination en Pologne, qui, comme Anne Frank, rêvait de Hollywood. Mais le rêve d’Ingrid, lui, se réalisera. Elle tournera avec Clint Eastwood et Richard Burton, puis deviendra l’égérie du cinéma fantastique anglais des années 70, avant de voir, peu avant sa mort, son récit d’enfant rescapé de la Shoah adapté dans un court métrage d’animation réalisé par un petit prodige de 10 ans...





Ingrid Pitt (Ingoushka Petrov) est née à Varsovie en 1937, d’un père allemand d’origine russe et d’une mère juive polonaise. Déportée d’Allemagne avec sa mère à Stutthof, en Pologne, elle raconte dans son autobiographie comment, alors que l’armée soviétique était aux portes du camp d’extermination, elle fût parmi les derniers déportés à être conduite, avec sa mère, vers la chambre à gaz. Qui, miraculeusement, ne fonctionna pas. Réussissant à s’échapper du camp et recueillies par les troupes de l’Armée rouge, elles retournent à la fin de la guerre à Berlin, où vivait la famille au début du conflit. Adolescente, passionnée de théâtre, elle joue au sein du « Berliner Ensemble » fondé par Brecht en 1949, mais un an après l’érection du Mur de Berlin (elle réside alors dans la zone Est contrôlée par les Russes), décide de passer à l’Ouest en traversant la Spree, le fleuve qui sépare Berlin. Elle manque de se noyer et est sauvée par un soldat américain, qu’elle épousera.


Ingrid Pitt quitte Berlin pour New-York, devient modèle, puis vit en Espagne après l’échec de son mariage, s’essayant à la… corrida et aux rallyes automobiles, tourne de petits rôles dans les films Docteur Jivago de David Lean, Falstaff d’Orson Welles, apparaît dans des séries tv comme L’homme de fer, avant de s’installer à Londres à la fin des années 60. Elle a la chance de décrocher le rôle de l’agent secret anti-nazie Heidi aux côtés de Clint Eastwood et Richard Burton dans le film Quand les aigles attaquent de Brian G. Hutton (finement sous-titré dans une critique du Canard Enchaîné « Les pigeons sont dans la salle » ) en 1967. Dans son autobiographie, Ingrid écrira à propos de ce film cathartique, «D’une certaine façon, je pensais ‘je tire sur les nazis’».


Repérée par la mythique société de production britannique Hammer, spécialiste du genre fantastique, on lui propose en 1970 le rôle de la sensuelle vampire Mircalla dans le film The Vampire Lovers de Roy Baker, d’après Carmilla, de l’écrivain gothique Sheridan Le Fanu. Comme l’explique le site Hérésie.com, «La Hammer renouvelle le mythe du vampire : Christopher Lee (ndlr : interprète mythique du Comte Dracula) a enfin un équivalent féminin. Une idole va naître et montrer à l’écran ses rondeurs voluptueuses au nom de l’horreur. Le monstre prend la forme d’une tentatrice, et pour la première fois depuis longtemps, les femmes ne sont plus des victimes. La présence à l’écran de la dominatrice coïncide avec le «girl power» de la rue, le saphisme de The Vampire Lovers collant parfaitement à la libéralisation des mœurs de l’époque».

 

Si les scènes troublantes entre Ingrid Pitt et Madeline Smith ont contribué à la notoriété de l’actrice, son rôle suivant, tourné quelques mois plus tard, en fait l’une des stars des studios Hammer. En Comtesse Dracula dans le film éponyme de Peter Sasdy (1971), version revisitée de la légende de la comtesse Elizabeth Bathory, célèbre pour avoir tué de jeunes vierges afin de recueillir leur sang dans lequel elle se baignait afin de sauvegarder sa jeunesse, Ingrid Pitt, comme le souligne Hérésie.com, «bouleversa toute une génération de cinéphiles érotomanes».

 

Décédée en 2010 à l’âge de 73 ans, après une fin de carrière chaotique et se consacrant de plus en plus à l’écriture, l’actrice n’aura pas vu terminé le court métrage d’animation inspiré de son expérience de la Shoah, Beyond the Forest. Un dessin animé dont elle enregistre la voix-off, sur un projet initié par le célèbre dessinateur américain Bill Plympton, couronné de 2 Oscars, et dont les dessins ont été réalisés par un petit génie de… 10 ans, Perry Shen. Associer le talent d’un gamin surdoué à l’histoire d’une fillette déportée douée pour la vie, un joli clap de fin pour Ingrid Pitt.


 

La bande-annonce du court métrage d’animation Beyond the Forest
 

 

Alain Granat

Source JewPop