Autre temps, autres moeurs. Il y a une trentaine d'années, vouloir célébrer en Israël le passage à la nouvelle année civile relevait de l'opération impossible, sinon indécente. Tout le monde vous tombait dessus. Les uns vous expliquaient qu'il s'agissait d'une date particulièrement funeste pour le peuple juif, à commencer par la circoncision de Jésus ; en continuant avec la mort, un 31 décembre, du pape Sylvestre Ier, lequel n'avait aucune sympathie pour les juifs ; pour finir par le pape Gregory XIII, qui durant son règne sur le trône de saint Pierre a souvent choisi le 1er janvier pour persécuter les juifs. Pour d'autres, il s'agissait surtout de se démarquer du reste du monde et de ne pas se complaire dans la "luxure" et la "dépravation" propres à l'Occident.
Mais, petit à petit, les choses ont changé. Ce serait, disent certains, à cause ou grâce aux immigrés, notamment ceux venus en masse de l'ex-Union soviétique au début des années 90. Reste que le la a été donné par Tel-Aviv, puis s'est répandu dans toutes les grandes villes du pays, y compris Jérusalem, la trois fois sainte. Pour plaire aux touristes étrangers ou aux nouveaux venus, hôtels, restaurants et pubs se sont mis à organiser des soirées spéciales réveillon. Les rabbins ont eu beau voir rouge et menacer de retirer les certificats de cacheroute, rien n'y a fait. La mode était lancée.
Aujourd'hui, donc, place à la fête. Et tant pis si le lendemain on travaille - en Israël, le 1er janvier est un jour ouvrable comme les autres -, les Israéliens, de plus en plus accros, entendent célébrer dignement le passage à l'an nouveau : "Sylvester" comme on l'appelle ici. Une référence à la Saint-Sylvestre, la sainteté chrétienne en moins. Mais peut-être s'agit-il aussi de faire la différence avec la nouvelle année juive, Rosh ha-Shana (littéralement en français "Tête de l'année"), qui ouvre les grandes fêtes d'automne. D'ailleurs, le 31 décembre ou le 1er janvier, les Israéliens vous souhaiteront une bonne année... civile !
Réveillon à la maison ou dans un restaurant. Partout, c'est la grande bouffe. Et il y en a pour tous les goûts - de l'asiatique à la cuisine locale, en passant par le bon vieux foie gras et les huîtres - et pour toutes les bourses - de 50 à plus de 250 euros par personne. Cette année, une nouveauté : le site Walla a publié une liste de plus d'une centaine de restaurants, bars, pubs, etc., offrant une soirée spéciale pour Sylvester. Avec un conseil : réservez au plus vite ! Et surprise : quelques salles "casher" sont de la partie.
À l'est de Jérusalem se dresse l'un des plus beaux hôtels de la région, l'American Colony. La soirée du réveillon qui y est organisée, "très chouette", m'a glissé une dame qui revient pour la troisième fois, est complète depuis des semaines. Familles chrétiennes locales, expatriés du monde entier ou touristes de pays lointains se retrouvent dans un décor de Noël et autour d'un menu, entre noix de saint-jacques sur polenta d'olive et mousse d'artichaut, viandes de trois sortes et un dessert aux parfums d'Orient. Sans oublier après les deux potages, crème d'oignons et soupe de crevettes, un drôle de trou normand : un sorbet aux poivrons rouges.
À l'Ouest, le célèbre hôtel du Roi David, pourtant très casher, s'est mis au goût du jour avec un menu de fête de neuf plats. Pour les plus jeunes, fauchés ou ceux sans préférence gastronomique : pas de souci ! Les bars et boîtes du centre-ville (le triangle rue des Prophètes, rue de Jaffa et rue de la Reine-Hélène) ont fait les choses en grand : DJ à gogo pour des rythmes hip-hop, funky et sexy, hits et électro. À moins qu'ils ne préfèrent la machine à remonter le temps du Oliver Twist avec musiques des années 70, 80, 90 pour finir sur des sons 2013-2014, de minuit jusqu'au petit matin.
Source Le Point