L’intention profonde n’était pas de bâtir un grand Temple magnifique à la gloire de Dieu, mais un lieu de « rendez-vous » où le peuple pourra sentir la présence de Dieu parmi eux. En fait, pour permettre ce dévoilement au vu de tous, la conception du Sanctuaire tout entier relève paradoxalement d’une symbolique mystérieuse, aux sens profonds et cachés, comme l’écrit Rabbi Yéhouda Halévi dans son Kouzari (Livre III, 23). Que Dieu veuille qu’Israël lui construise un Tabernacle est en soi une forte interrogation, Lui Qui emplit le monde de Sa gloire, Qui est Le Lieu du monde. Etant omniprésent, a-t-Il besoin d’un espace réduit à sa plus simple expression pour y résider ?
De plus, Il en donne les dimensions précises ainsi que le plan exact et minutieux pour sa réalisation, les matériaux de sa structure et de ses ustensiles, les couleurs et la texture de ses étoffes : tout cela est assurément empli de symboles et de significations qui sont le reflet de la Sagesse divine et des intentions du Très Haut. Nombre de commentateurs se sont essayés à comprendre précisément cette intention cachée du Créateur. Il apparaît que la Volonté de Dieu fut tout simplement de résider au milieu de Son peuple, dans un espace géométrique visible. Pourquoi ? Parce qu’une telle proximité permettait à Dieu de mieux contrôler les fils d’Israël, d’éviter même des égarements coupables comme celui du veau d’or, qui venait de se produire.
Le mystère de l’Arche de l’Alliance
Mais il y a un objet particulier qui stupéfie bien plus que les autres, parce que revêtu d’un mystère épais : l’Arche de l’Alliance. Celle-ci enfermait des objets très différents : les tables de la Loi, entières et brisées ; l’urne contenant un échantillon de la manne qui nourrit providentiellement Israël durant les quarante années passées dans le désert ; le bâton d’Aharon ; le flacon contenant l’huile d’onction ainsi que, selon un avis, le séfer Torah écrit par Moshé lui-même. Pour d’autres, il était posé sur une étagère fixée à l’Arche, à l’extérieur. Ces objets représentaient en fait tous les éléments mystérieux, au-dessus de la capacité humaine à comprendre, qui avaient marqué l’Histoire de notre peuple et son existence spirituelle.
Cependant, l’Arche a toujours excité notre imagination non seulement pour ce qu’elle contenait, mais aussi pour ce qui la recouvrait ; je veux parler du couvercle surmonté des deux chérubins d’or pur. Voici l’objet de notre stupéfaction. Comment ? Au cœur du Saint des Saints, à l’épicentre du lieu le plus sacré et au-dessus des tables de la Loi sur lesquelles était gravé la deuxième parole bannissant l’adoration de toute image taillée ou sculptée, Dieu Lui-même demande d’y placer deux petites statuettes représentant deux anges aux visages d’enfants, garçon et fille, ainsi qu’il est enseigné dans le Talmud ! (Haguiga 13A).
Afin d’éclaircir superficiellement ce mystère, nous apporterons un enseignement du Midrash Rabba sur Chir haChirim (chap.1 § 24). Au moment de donner la Torah, Dieu requiert des garants de la part d’Israël pour S’assurer qu’il l’appliquera et l’observera. Après avoir proposé leurs patriarches et leurs prophètes, refusés de façon surprenante par Dieu, les fils d’Israël présentèrent leurs propres enfants présents et à venir ; alors Dieu les accepta immédiatement. Ce très beau Midrash nous apprend d’abord un principe fondamental : la Torah n’appartient pas aux générations passées, aussi grands et méritants qu’aient été leurs dirigeants, mais aux générations à venir. Ce sont elles qui assurent la pérennité de la Torah.
Cette idée maîtresse préside à la conception et à la fabrication des chérubins de l’Arche sainte. Ils sont là d’abord pour rappeler l’engagement d’Israël à travers ses garants proposés au mont Sinaï ; ceci explique leur visage d’enfant. Mais la symbolique va beaucoup plus loin et englobe la raison d’être de ces figures sur le propitiatoire. La posture des deux chérubins est capitale : ils se faisaient face et leurs ailes déployées étaient étendues vers le haut jusqu’à se rejoindre (XXV, 20). Ainsi, dans la Torah, il faut toujours regarder loin vers le haut pour se dépasser et repousser sans cesse les limites de la compréhension, sans jamais se contenter de l’acquis : qui ne progresse pas, recule, c’est bien connu.
L’unité du peuple juif
Leurs visages se faisaient face, pour illustrer la concorde et l’harmonie qui doivent régner tant dans le domaine de l’étude que dans la Communauté d’Israël. Ce n’est que lorsqu’Israël se rassembla comme un seul homme au pied du mont Sinaï, que Dieu décida de lui donner la Torah (XIX, 2). Cette fraternité profonde est placée au-dessus des tables de la Loi, au-dessus de la Torah qui ne fait que l’exprimer et la concrétiser dans l’acte. Quand la discorde s’emparait du peuple, disent nos Sages, alors les chérubins ne se regardaient plus et leur visage s’orientait chacun dans une autre direction.
Ces chérubins représentent aussi l’harmonie extraordinaire qui règne dans les mondes supérieurs, au sein des cohortes d’anges au service de Dieu (cf. le Yotser dans la prière quotidienne). Cette sérénité propre aux anges se retrouve dans le Saint des Saints, dans ce lieu de sainteté ultime autour duquel s’organise l’ensemble du culte dans le Sanctuaire et qui a vocation de refléter les mondes supérieurs.
Dans l’étude et l’enseignement de la Torah, chacun aiguise l’esprit de son alter ego dont il retire l’acuité du raisonnement et la vivacité de l’interpellation. Toute la littérature talmudique est basée sur cet échange extrêmement bénéfique qui a permis l’extraordinaire richesse intellectuelle et spirituelle de cet océan de savoir. L’esprit d’humilité qui prévaut dans cette étude, permet d’accepter l’avis de l’autre autant que le sien propre, même au détriment du sien, le cas échéant ; c’est de là que découle la fixation de la halakha, la loi rabbinique.
Enfin, le verset précise que leurs visages étaient inclinés vers le contenu de l’Arche (XXV, 20), afin de bien montrer que toutes ces nobles vertus proviennent et s’orientent vers la Torah, qui en enrichit l’homme. Les chérubins n’ont de sens que sur et vers la Torah laquelle, bien que cachée et auréolée de ses secrets, diffuse sa bénéfique lumière. La controverse existe bien, mais elle est fondée sur la seule volonté de comprendre et d’interpréter la Torah, dans sa vérité ontologique. Tout ce qui importait chez les grands sages de la Michna et du Talmud, était la gloire de Dieu et la sincérité dans la recherche de la Torah. C’est ainsi que la parole de Dieu émanait du centre de l’espace entre les ailes des chérubins (25), provenant de cet esprit de paix et de justice spirituelles, de Vérité indubitable qui confère à la Parole son caractère permanent, éternel. La Parole divine rattachait parfaitement la Révélation divine à tous les enseignements ultérieurs liés à la Torah, ainsi qu’aux symboles liés à l’Arche et aux chérubins qui la surplombaient.
Quelle belle leçon à méditer aujourd’hui où l’on se déchire pour n’importe quel prétexte, où l’on dénigre son prochain sans hésiter, contredisant de façon flagrante les principes fondamentaux de la Torah tolérante et unificatrice.
Quelle leçon pour les maîtres de notre génération, à des années-lumière de ce qu’étaient les Sages d’Israël, qui avaient comme seule préoccupation la vérité de la Torah et l’unité du peuple d’Israël, sa cohésion et son bonheur.
Quelle belle leçon, enfin, pour la presse toute puissante : elle croit que sa mission est de dénoncer des affaires sans intérêt, sans tenir compte des conséquences ravageuses de leur matraquage médiatique, face à l’intérêt supérieur de la nation. Où est donc l’unité de notre peuple et sa mobilisation éclairée pour les grandes causes ? Se manifesterait-elle seulement dans la guerre ? C’est pourtant la paix qui est notre bénédiction ultime, celle qui émane des chérubins et du cœur de la Torah.
Source JerusalemPost