vendredi 7 janvier 2022

Des jeunes Lyonnais ravivent le souvenir des enfants juifs d’Izieu


Restituer un dessin animé inachevé, conçu par les enfants juifs avant la rafle du 6 avril 1944 : la classe allophone du collège Aimé Césaire de Vaulx-en-Velin ravive la mémoire grâce à un projet pédagogique sensible et ambitieux. Liant la mémoire historique et l’humanisme pur, un projet scolaire aussi ambitieux qu’inédit est actuellement mené par une classe spécialisée du collège Aimé Césaire de Vaulx-en-Velin. Impulsé par la direction du musée-mémorial d’Izieu (Ain), le projet consiste à finaliser une lanterne magique, imaginée par les enfants juifs qui ont séjourné dans la colonie du Bugey entre 1943 et 1944.......Détails.......

Depuis quatre mois, une quinzaine de collégiens de la classe allophone (leur langue maternelle n’est pas française), âgés de 11 à 15 ans, travaillent aux sons, aux voix et aux affiches qui devraient donner une nouvelle vie au dessin animé qu’avaient commencé les enfants d’Izieu. 
Une étudiante de la prestigieuse école d’arts graphiques Émile Cohl est associée à l’entreprise, pour compléter les parties inachevées, en respectant l’esprit et l’esthétique de la création initiale.
Rencontre à travers le temps entre les enfants traqués par le nazisme, réfugiés dans la colonie située dans les montagnes du Bugey, et les collégiens accueillis à Vaulx-en-Velin, venus d’Irak, de Syrie, d’Algérie et des Comores, du Brésil, d’Espagne et du Portugal, ou encore d’Albanie, ballottés au gré des migrations et des grands désordres du monde : la lanterne magique tourne à nouveau, tel un flambeau porté vers l’avenir. 
Le projet illustre toute la vocation du musée-mémorial, particulièrement actif depuis quelques années. 
« Izieu n’est pas un lieu replié sur le passé, c’est un espace vivant qui transmet, enseigne, nourrit la réflexion collective et interroge son époque en résonance avec le passé », confie Dominique Vidaud, directeur du musée-mémorial d’Izieu. 

Izieu, un refuge pour les enfants juifs au cœur de la guerre

Une centaine d’enfants juifs sont passés par la colonie d’Izieu entre 1943 et 1944, dont 44 ont été arrêtés par la Gestapo de Lyon le 6 avril 1944, déportés et assassinés. 
Créé par Sabine Zlatin, assistante sociale pour la Croix-Rouge, avec l’aide de Pierre-Marcel Wiltzer, à l’époque sous-préfet de Belley, le lieu a offert un répit aux enfants juifs dont les familles étaient traquées dans toute l’Europe en guerre. Avec une cantine, des dortoirs, et même une classe d’école animée par l’institutrice Gabrielle Perrier, tout était organisé pour que la vie reprenne son cours dans le cocon des montagnes du Bugey. 
Des photos montrent des représentations théâtrales, des instants de bonheur, des sourires et des regards inquiets. 
Des dessins et des lettres contiennent les joies et les doutes, les peurs, l’amour et l’innocence des enfants arrachés à leurs familles, nous léguant un témoignage aussi puissant que Le journal d’Anne Frank.

Un formidable outil pédagogique

Parmi cette production, trois rouleaux de dessins racontent des histoires d’aventuriers ou de guerriers. Collées à un abat-jour, les bandes étaient destinées à tourner en se projetant sur un mur, selon le procédé de la lanterne magique. Le trésor du capitaine Blood, À la poursuite du bandit, et Ivan Tsarawitch sont exposés à plat, dans l’ancienne salle du réfectoire de la colonie, à gauche de l’entrée de la maison. 
Ces créations doivent sans doute beaucoup à Philippe Dehan. Employé par l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), le cuisinier de la colonie animait ces ateliers cinématographiques, selon plusieurs témoignages. 
Probablement inspirée par les récits épiques et les films d’Eisenstein, l’histoire d’Ivan Tsarawitch raconte la lutte d’un cavalier tatar dans les steppes, qui peut se lire comme une allégorie de la guerre ressentie par les enfants en 1944. Un langage partagé par les enfants d’aujourd’hui.
« Ils ont bien compris la situation des enfants d’Izieu. Mais ils ne se comparent pas. Nous ne faisons pas de confusion entre les réalités historiques. L’idée, c’est bien sûr de prolonger le travail des enfants d’Izieu, mais c’est surtout d’utiliser cet outil pédagogique formidable pour nous. 
On apprend le français, l’histoire, la géographie, le cinéma dans un même projet ! », précise Géraldine Tamet, 45 ans, responsable de l’Unité pédagogique pour les élèves allophones et arrivants (UPEAA) du collège Aimé Césaire. 
« Dans cette classe, les élèves viennent de pays en crise. Ils font un travail titanesque. Ils apprennent à vivre ensemble, à tenir un crayon, à s’asseoir correctement, à lire, à écrire. 
Ils parlent plusieurs langues souvent, avec des capacités peu reconnues. Au bout d’un an, ils deviennent des élèves français », confie l’enseignante à l’inépuisable énergie.

Une création attachée au passé

L’équipe du musée et les enseignants prennent garde de respecter la création initiale des enfants d’Izieu, en harmonie avec l’esprit des lieux, ouvert. Étudiante de l’école Émile Cohl, Clélia Ducrocq, 23 ans, a complété les silhouettes et les paysages manquants, pour achever la bande de dessins. 
« Les enfants ont une grande qualité de dessin, avec un talent pour des images miniatures. Je me suis demandée comment je dessinais enfant pour me projeter dans leurs dessins », raconte l’étudiante qui vient ainsi de terminer son stage de fin d’études. 
Le 8 décembre dernier, les collégiens de la classe allophone ont enregistré les bruitages et les voix sur la bande dessinée complète, dans la salle même où sont exposés les dessins. 
Ainsi restitué sous la forme d’un film d’une douzaine de minutes, Ivan Tsarawitch devrait être projeté dans l’exposition permanente du musée-mémorial à partir du printemps 2022.
Dessins, lettres, photos… En janvier 2022, la collection permanente du musée-mémorial d’Izieu sera entièrement renouvelée. Tous les documents reproduits et exposés seront remplacés par une version de haute qualité. 
L’essentiel de cette collection est constitué des reproductions des documents réalisés des mains des enfants réfugiés dans le hameau de l’Ain entre 1943 et 1944, racontant la vie de la colonie, les migrations et les déchirures familiales. 
Les originaux des documents ont été à nouveau numérisés, et tirés sur des papiers, selon les procédés dernier cri de la branche photographique des papiers Canson. 
« Les couleurs et les contrastes sont restitués, l’exposition va retrouver un nouvel éclat », se félicite Dominique Vidaud, l’actif directeur du mémorial.

Couleurs de l’insouciance

Cette opération s’accompagne de la sortie d’un catalogue de 224 pages réalisé par la Bibliothèque nationale de France (BNF), contenant les 287 documents remastérisés de la collection d’Izieu, sous le titre Couleurs de l’insouciance. Il s’agit des documents présentés au mémorial et d’autres qui restent en réserve. Le livre en grand format s’annonce de grande qualité. 
Le tout provient du fonds Sabine Zlatin, du nom de la directrice de la colonie qui avait préservé et déposé les documents à la BNF, et s’était battue avec le préfet Pierre-Marcel Wiltzer pour la réalisation du mémorial, inauguré en 1994. Un récit historique de la vie de la colonie, et un texte sur la mémoire du lieu accompagneront les images.
Dans le mouvement de cette grande restauration documentaire, une exposition exceptionnelle est prévue le 6 avril 2022, jour de commémoration de la rafle des enfants d’Izieu. Vingt documents originaux vont sortir de la BNF et seront présentés dans une vitrine du mémorial. 
Jamais la BNF n’a prêté des documents sortis de ses réserves pour une exposition extérieure de plusieurs mois, signe d’un engagement très fort. Des travaux de sécurisation, de lumière et d’hydrométrie sont prévus pour réceptionner les trésors historiques dans de bonnes conditions. 
L’expo comprendra aussi des documents des archives de Serge Klarsfeld, l’avocat et historien qui a retracé le parcours de tous les enfants d’Izieu, et qui a permis de donner vie au mémorial.


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