dimanche 3 janvier 2021

Un an après l'assassinat de Soleimani, Nasrallah et Téhéran tentent de combler le vide


Peu de dirigeants iraniens ou responsables politiques gravitant dans l’orbite iranienne n’ont suscité autant d’intérêt que Kassem Soleimani, chef de la force al-Qods, l’unité d’élite des gardiens de la révolution iraniens, et n’ont eu autant d’envergure que lui. Le général assassiné le 3 janvier 2020, par une frappe américaine à Bagdad, était la figure de proue de l’expansion de la révolution islamique et du projet iranien dans la région........Décryptage.........

Admiré en Iran et par ses alliés, redouté par ses ennemis, Kassem Soleimani est jugé irremplaçable par l’axe iranien, de Téhéran, à Beyrouth, en passant par Bagdad. 
Son assassinat est considéré par le mouvement terroriste chiite libanais Hezbollah comme le coup le plus dur que Washington puisse asséner à l’Iran afin de réduire son influence au Moyen-Orient. 
Le chef d’al-Qods était un homme central dans la stratégie expansionniste iranienne. 
Il passait les frontières des pays alliés avec une facilité redoutable. Il pouvait tenir une réunion dans la matinée avec Bachar el-Assad à Damas, avant d’atterrir à Beyrouth pour des discussions en début de soirée avec le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et de s’envoler par la suite à Téhéran pour des entretiens nocturnes avec le guide suprême iranien, Ali Khamenei, raconte un proche de la formation chiite. 
C’était lui qui tenait les commandes au double plan politique et militaire en Irak, qui ordonnait l’envoi d’avions chargés d’armes aux Kurdes d’Erbil, qui assurait l’acheminement de missiles au Hamas et au Jihad islamique à Gaza, via le Soudan et l’Egypte, poursuit-il. 
Avec sa disparition, l’Iran a perdu une pièce maîtresse. Les décisions stratégiques ne sont plus prises avec la célérité qui caractérisait son leadership. Depuis son assassinat, une forme de bureaucratie a repris le dessus.

Un rôle accru pour Nasrallah

Selon un responsable militaire du Hezbollah, qui était un proche de Kassem Soleimani, une commission a été formée suite à l’assassinat de ce dernier pour poursuivre le rôle de trait d’union qu'il assumait entre toutes les composantes de l’axe iranien, en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et en "Palestine". 
Celle-ci est composée de responsables irakiens et libanais qui font la coordination avec les dirigeants iraniens. 
Toutefois, poursuit ce responsable, cette commission n'a pas réussi à prendre la relève parce qu’elle est incapable de prendre des décisions aussi rapidement que Soleimani et se réfère en permanence au commandement iranien. 
Quant à son successeur, Esmaïl Qaani, sa personnalité ne ressemble en rien à celle de l'ancien chef de la force al-Qods, indique-t-on de même source, ce que Hassan Nasrallah a lui-même souligné lors d'une interview accordée à la chaîne al-Mayadine, dimanche dernier. 
Le chef du Hezbollah avait considéré qu’Esmaïl Qaani avait besoin de temps pour prendre ses marques d’autant qu’il se concentrait dans le passé sur le seul dossier palestinien. 
En attendant, poursuit ce responsable hezbollahi, c’est Hassan Nasrallah qui a pris à charge le suivi de nombreux dossiers dans la région, notamment en Irak et au Yémen, et c’est lui qui, en quelque sorte, assume aujourd’hui une importante partie des missions qui relevaient du général iranien assassiné. 
Par la force de choses, le rôle régional du secrétaire général du Hezbollah s'est dès lors accru. 
De sources concordantes iraniennes, on rappelle que Soleimani avait refusé le poste de commandant des gardiens de la révolution et n’a pas non plus voulu se présenter à la présidence de la République. 
Il préférait l’action militaire directe et l’intervention rapide au niveau des dossiers militaires et politiques de la région. 
Il tenait des réunions avec des chefs d’Etats, comme le président russe, Vladimir Poutine, pour s’entendre avec lui au sujet de l’intervention en Syrie, ou turc, Recep Tayyip Erdogan, pour des discussions au sujet de la situation à Idleb, en Syrie, ou autres. 
Après sa liquidation, l’Iran et le Hezbollah se sont certes efforcés d’absorber l’onde de choc, mais sans vraiment y parvenir. L’impact de son assassinat s’est fait surtout sentir en Irak, avec l’émergence de conflits entre les alliés des Iraniens ainsi qu’au niveau politique dans le pays, où Moustafa al-Kazimi a été désigné à la tête du gouvernement sachant que certaines parties iraniennes l’accusaient d’être impliqué dans le raid contre Soleimani. 
Ce dernier s’opposait à son accession à la tête du gouvernement irakien parce qu’il le soupçonnait d’être l’allié des Américains.

Des menaces et une attente

Pour toutes ces raisons, Téhéran ne peut  fermer les yeux sur l’assassinat de l’homme fort de son projet expansionniste. 
Des responsables iraniens assurent que la décision de venger la mort de Soleimani a été prise. Il ne s'agit que d'une question de timing. L’un d’eux confie d’ailleurs à L’Orient-Le Jour qu’une riposte est une affaire de jours. 
La riposte, dit-il, est « inéluctable parce que la République islamique est soucieuse de préserver sa force de dissuasion dont elle ne peut tolérer l’érosion ».
Sur le terrain, l’Iran et le Hezbollah montrent toutefois depuis un moment une volonté d'éviter toute escalade afin de ne pas donner de prétexte à Israël ou aux Etats-Unis pour lancer des opérations contre eux dans la région, en attendant l'investiture du nouveau président américain Joe Biden, le 20 janvier, et un possible retour à la table des négociations. 
Et cela, même s’ils ont haussé le ton récemment, à l’approche de la date anniversaire de la mort du chef de la force al-Qods. Vendredi, le chef de l'Autorité judiciaire en Iran, Ebrahim Raïssi, a ainsi averti que les auteurs de l'assassinat de Soleimani ne seraient "nulle part en sécurité". 
Et samedi, lors d'une cérémonie militaire organisée à Maroun el-Ras, au Liban-Sud, le cheikh Nabil Kaouk, membre du Conseil central du Hezbollah, a martelé que "la riposte est inévitable".
Si Téhéran et ses alliés, au-delà des déclarations menaçantes, semblent vouloir donc éviter toute escalade, les Etats-Unis ne prennent pas les menaces à la légère et prennent des mesures préventives. 
Fin novembre, le porte-avions américain USS Nimitz était déployé dans le Golfe. Le 10 décembre, deux bombardiers américains B-52 survolaient la région dans une nouvelle démonstration de force. 
Selon le New York Times, le ministre américain de la Défense Christopher Miller a, depuis, ordonné le retour du Nimitz. Un signal de "désescalade" envoyé à Téhéran pour éviter un conflit, selon le quotidien américain, citant un responsable. Le 21 décembre, un sous-marin nucléaire américain, le USS Georgia, empruntait toutefois le détroit d'Ormuz. 
Dans ce contexte, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a accusé, jeudi, le président américain sortant Donald Trump de chercher à fabriquer "un prétexte" pour lancer "une guerre" avant son départ de la Maison Blanche.

Fneich : Pas d’impulsivité

Pour l’ancien ministre du Hezbollah Mohammad Fneich, interrogé par L'OLJ, une riposte à l'assassinat de Soleimani est inévitable. Les déclarations des responsables iraniens « ne sont jamais impulsives mais étudiées et tranchées », souligne-t-il. 
Lui aussi juge qu’il s’agit d’une question de temps « tributaire principalement des conditions de la confrontation (avec les Etats-Unis), qui commandent le choix de l’objectif et le timing de l’opération ». 
Une façon pour Mohammad Fneich de dire que la décision de riposter dépend surtout d’une série de données stratégiques, la notion de temps étant comme on le sait très élastique.
La première riposte iranienne intervenue quatre jours après l’assassinat de Soleimani, avec le bombardement de deux bases américaines à Aïn el-Assad et à Erbil, en Irak, le 8 janvier 2020, avait été considérée comme un avertissement et n’était pas sérieuse, de l’avis d'un cadre militaire du Hezbollah. 
Après la guerre de 2006, le parti chiite et l’Iran ont en effet changé de tactique et considèrent qu’ils ne sont plus tenus de riposter rapidement à tout coup qui leur serait porté. 
C’est ce principe qui avait dicté leur stratégie après l’assassinat du cadre hezbollahi, Imad Moghniyé, en février 2008 à Damas, après le raid qui a coûté la vie au commandant d’al-Qods et plus récemment après l’assassinat, fin novembre dernier, du scientifique iranien en charge du dossier nucléaire, Mohsen Fakhrizadeh. L’Iran se fait ainsi un point d’honneur de ne riposter que suivant son intérêt stratégique. 
L’orientation actuelle de Téhéran est de tenir bon et de ne pas se laisser aller à des réactions impulsives qui pourraient entraîner des réactions américaines encore plus violentes. 
Selon la même source, les Iraniens savent que Washington et Tel Aviv les provoquent pour les pousser à des réactions militaires susceptibles de générer à leur tour des frappes beaucoup plus violentes. 
Le Hezbollah considère dès lors, selon ses milieux, que la période entre le 7 et le 20 janvier est excessivement délicate, le président Trump pouvant prendre des décisions imprévisibles avant de céder la place à son successeur. 
Il s’attend en revanche, avec l’accession de Biden au pouvoir, à un long processus politique devant éventuellement favoriser le règlement d’un ensemble de problèmes régionaux et internationaux qui affectent le Liban.

"Des répliques"

Il n’en demeure pas moins que le séisme provoqué par l’assassinat de Soleimani ne peut pas ne pas avoir « de répliques », insiste Mohammad Fneich qui écarte toute changement majeur quant à l’avenir de la politique iranienne dans la région. « Il existe un Etat, (l’Iran), une institution (le Hezbollah) et un axe (iranien) qui permettent à son rôle de se poursuivre, d’autant que son remplaçant est au courant de tous les dossiers qu’il suivait », affirme-t-il. Et d’ajouter : « Rien n’a changé pour ce qui est du projet iranien. 
La résistance se poursuit face au projet américain dans la région. L’appui iranien aux mouvements de résistance ne changera pas non plus. Si Kassem Soleimani n’avait pas fait échec au projet américain, il n’aurait pas été tué ». 
A la question précise de savoir ce qui a changé pour la formation chiite avec la mort du chef de la force al-Qods, M. Fneich répond : « Le Hezbollah et son public représentent un élément moteur fondamental dans l’axe de la résistance dont il émane. Et Soleimani en était le principal support ». 
Il insiste sur le rôle assumé par Hassan Nasrallah dans la région, en soulignant que ce dernier est considéré par les mouvements de résistance comme étant « un dirigeant modèle et influent », ce qui explique, selon lui, l’influence qu’il a aujourd’hui au niveau des consultations et des prises de positions en Irak et ailleurs.
Les éventuels scénarios d’une riposte font aujourd’hui l’objet de consultations au sein de la commission formée par l’assassinat de Soleimani, selon un responsable militaire du Hezbollah. 
Celle-ci examine une série de cibles potentielles : une base militaire américaine, des personnalités, des chancelleries... 
Selon les informations obtenues de même source, une riposte pourrait intervenir en Irak où les Américains ont déjà pris leurs précautions, en Syrie ou en Palestine, voire dans un pays du Golfe. Tout cela reste bien entendu de l'ordre des conjectures quand on sait que ce sont les considérations stratégiques et militaires qui restent déterminantes.

Source L'Orient le jour
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