dimanche 17 janvier 2021

Derrière la Bergère de Pissarro, l’histoire d’un bien spolié


L’affaire de la toile intitulée « Bergère rentrant des moutons » révèle le passé trouble de certains tableaux spoliés… que des musées refusent de rendre. Une audience se tient au tribunal de Paris, mardi.........Détails........

« J’ai entamé cette année une action en justice devant le Tribunal de Paris, mais ce tableau, je le cherchais depuis 1996 ! » 
Quand elle évoque l’objet du litige, la toile intitulée « Bergère rentrant des moutons », peinte en 1886 par Camille Pissarro, Léone Meyer a en tête une chronologie précise ayant trait à sa famille, à l’Histoire, et aux spoliations des biens juifs pendant la seconde Guerre Mondiale.

La longue quête de Léone Meyer

Ce conflit a éclaté depuis deux mois déjà quand naît Léone Meyer, le 8 novembre 1939, de père inconnu. Les Juifs sont victimes des déportations et de l’extermination programmées par les nazis. 
Sa mère, modeste couturière, son frère et sa grand-mère sont d’ailleurs déportés à Auschwitz quand Léone Meyer a deux ans et demi. Ils n’en reviendront pas. La jeune enfant, placée dans un orphelinat juif, est adoptée, à sept ans, par Yvonne Meyer, née Bader, et son époux, Raoul Meyer. 
Yvonne Bader est la fille du fondateur des Galeries Lafayette et Raoul Meyer dirigera ce fleuron commercial de septembre 1944 jusqu’en 1970. Léone Meyer grandit donc chez ces passionnés d’art, amateurs de musique classique et collectionneurs de toiles, notamment impressionnistes. Parmi celles-ci, il y avait la Bergère.
Pourtant, Mme Meyer ne vit l’œuvre de Pissarro pour la première fois qu’en 2016, lorsqu’il est arrivé en France. 
« J’avais les larmes aux yeux… Mais je ne peux pas garder ce tableau ; j’en ai fait don au Musée d’Orsay », explique-t-elle, la voix encore empreinte d’une émotion qui trouve sa source dans l’histoire de sa famille, les atrocités de la guerre et, en trame de fond, une succession d’actes cupides.

La Bergère et d’autres tableaux pillés par la gestapo en 1941

En fait, au début de la guerre, les Meyer déposèrent leur collection dans un coffre du Crédit foncier de France, à Mont-de-Marsan. Il est pillé par la Gestapo en 1941 et les toiles sont dispersées. 
Après-guerre, une partie de la collection des Meyer se trouve parmi les œuvres rapportées d’Allemagne par les Alliés. Mais pas celle de Pissarro. Elle est donc inscrite en 1947 sur le répertoire des biens spoliés en France. Rebondissement en 1951 : Raoul Meyer la repère dans une collection suisse. 
Mais les juges helvètes estiment la spoliation prescrite et le déboutent. Un galeriste new-yorkais, David Findlay, fait alors l’acquisition du tableau qu’il vend en 1957 à des collectionneurs juifs, Aaron et Clara Weitzenhoffer. 
Ils le possèdent jusqu’à ce qu’en 2000, ils fassent don de 33 tableaux impressionnistes (Monet, Renoir…) au musée Fred Jones de l’université de l’Oklahoma.

Retrouvée aux USA, la toile est revenue en France…

Or, entre-temps, Léone Meyer a lu Le Musée disparu, d’Hector Feliciano, une enquête, publiée en 1996, qui révèle l’ampleur des vols d’œuvres d’art par le régime Nazi pendant la guerre. 
Elle cherche alors à récupérer le tableau. Au début des années 2000, son fils, David, le localise aux États-Unis sur internet. 
L’héritière intente un procès en 2013 à l’université d’Oklahoma pour récupérer la toile dérobée. S’en suivent trois années de tractations, y compris devant la Justice américaine. 
En 2016, Mme Meyer finit par signer un accord avec l’université, sous l’égide du Congrès juif mondial. Elle est reconnue propriétaire du tableau mais contrainte d’accepter une rotation perpétuelle de la toile : d’abord exposée cinq ans en France, puis, par phases de trois ans, en Oklahoma, ensuite en France et ainsi de suite.
Ainsi la Bergère rentre-t-elle en France en juillet 2016. Elle est léguée au Musée d’Orsay où elle est visible depuis dans la galerie impressionniste. Sauf que les conditions « perpétuelles », imposées par l’accord de 2016, n’assurent pas sa présence durable dans le musée.

… pour repartir aux USA ?

En cause : la « rotation », source de « difficultés que posent les charges, illimitées dans le temps, accompagnant ce projet de libéralité, tant sur le plan de la conservation de l’œuvre, que sur celui des finances publiques (coût du transport régulier de l’œuvre entre Paris et l’université d’Oklahoma) ». 
Pour Mme Meyer, la crainte est donc grande que ce bien reparte aux États-Unis… sans revenir en France. 
Son avocat, Maître Soffer, précise : « Si aucun accord n’est trouvé, le tableau pourrait devenir possession du département d’Etat américain ». 
« Pour moi, c’est le tableau que mon père a cherché à récupérer », souligne alors la rescapée de la Shoah. Elle tient à ce que cette œuvre soit visible par le plus grand nombre « afin d’honorer la mémoire de son père ». Ce que seul un musée est en mesure de réaliser…
Mais, du côté américain, la dimension morale semble éludée. Par peur d’un précédent, peut-être : il y aurait, dans la collection Weizehoffer léguée au Musée d’Oklahoma, d’autres biens spoliés. 
En attendant, le tribunal de Paris a demandé une médiation entre les deux parties pour trouver une issue au litige autour de la Bergère rentrant des moutons. Il se prononcera sur le fond, mardi prochain, et conférera à ce tableau une valeur symbolique attendue des deux côtés de l’Atlantique.

Source Le Telegramme
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