Connaissez-vous Delphine Horvilleur ? Elle est rabbin, femme, jeune, séduisante. Point de longue redingote noire, elle est fille de son temps, fait ses courses au supermarché, danse le rock et aime la vie. Elle est savante, imprégnée de l'histoire et des textes hébraïques, férue de philosophie et de littérature........Détails........
Elle est rabbin d'une communauté libérale à Paris (elles ne sont que trois femmes en France), dialogue sans relâche avec des intellectuels chrétiens et musulmans (tel Rachid Benzine, avec lequel elle fit paraître il y a un an un livre de conversations), et attire l'animosité des orthodoxes juifs réfugiés dans la tradition, qu'elle prend souvent à contre-pied.
Elle est au centre des problématiques d'aujourd'hui qui interrogent l'identité, la différence, le progrès, l'altérité, et s'exprime sur ces sujets avec un langage simple et une grande culture.
L'exercice est réussi : soixante-dix ans après Sartre et ses Réflexions sur la question juive, Delphine Horvilleur publie chez Grasset ses Réflexions sur la question antisémite, sorte d'écho au livre sartrien.
D'où vient la haine des antisémites ? Et comment les sages et les textes interprètent-ils ce rejet millénaire ?
Là où Sartre définissait le Juif par le regard de ses ennemis, Horvilleur cherche dans la tradition, le Talmud, les légendes, les raisons de son éternelle détestation.
Son livre commence et finit par un constat : le Juif est "increvable", dit-elle, il s'acharne à ne pas disparaître, ce qui est exaspérant pour ceux qui ne l'aiment pas.
Ce peuple s'est construit sur l'arrachement à sa terre d'origine : Abraham quitte Ur en Mésopotamie pour donner naissance aux Hébreux ; Moïse fait sortir ses frères d'Égypte pour une terre promise aléatoire ; les Romains détruisent le Temple de Jérusalem et contraignent les Juifs à la diaspora.
Dans un chapitre pétillant, Horvilleur nous conte une sombre histoire de famille à l'origine de l'antisémitisme : la haine d'Ésaü pour son frère jumeau, Jacob, va se transmettre à toute sa descendance, via la figure d'Amalek, qui veut détruire ce peuple qu'il jalouse.
Et, de conflit familial, le combat vire à la guerre des sexes. Les héros du judaïsme sont vulnérables et ont toujours quelque chose "en moins" quand on croit que les Juifs ont quelque chose "en plus" : Abraham est stérile, Isaac aveugle, Jacob boite, Moïse bégaie.
Les antisémites ont de tout temps voulut féminiser les Juifs en pensant les minorer.
Or, dit Horvilleur en retournant l'argument avec virtuosité, c'est justement ce qu'ils revendiquent : ce peuple s'est construit sur la faille, la rupture, la béance, ce quelque chose de féminin qui fragilise les "intégristes de l'intégrité" que le Juif viendrait menacer, pour faire obstacle à la maîtrise du monde dont ils rêvent.
Ce livre, accessible et intelligent, jongle avec les références pour démontrer que le Juif, c'est l'anti-certitude, l'anti-complétude.
Delphine Horvilleur s'attaque en outre à la difficile question du "peuple élu", source de tant de jalousie. Elle s'en sort avec une pirouette, même si on reste un peu sur sa faim : selon des légendes rabbiniques, Dieu aurait proposé la Torah à d'autres peuples qui tous l'auraient refusée.
Si bien que les Juifs auraient hérité d'une révélation dont personne ne voulait!
Mais sur la détestation de l'État d'Israël, devenu pour le reste du monde un pays oppresseur, elle n'élude rien.
Et reconnaît – c'est assez rare chez des responsables de la communauté juive – que la politique de l'État lui-même a des responsabilités dans cette contestation qu'il suscite. Comme d'ailleurs les dérives ultranationalistes et messianiques que certains religieux encouragent.
Mais elle va plus loin et reprend pour le démonter le discours d'une partie de l'extrême gauche et des Indigènes de la République qui voient dans le Juif la quintessence de l'homme blanc, privilégié, dominant, complice des valeurs des Lumières et par définition tyran des minorités autrefois colonisées.
Ce livre, accessible et intelligent, jongle avec les références, de la Bible au Talmud, de Sartre à Derrida, de Levinas à Amin Maalouf, de Freud à Adorno, pour démontrer que le Juif, c'est l'anti-certitude, l'anti-complétude.
Si bien que le judaïsme, qui, au passage, n'est pas plus authentique en Israël qu'en diaspora quoi qu'en disent les intégristes juifs – et il y en a! –, est si difficile à définir, sinon par son éternelle contestation de la Vérité.
La haine qu'il suscite est le produit d'un rêve contrarié de totalité.
L'antisémitisme n'a ni sens ni fondement, et durera autant que son objet de haine.
C'est donc presque avec jubilation que Delphine Horvilleur nous annonce qu'il n'est pas près de disparaître.
Elle joue d'ailleurs avec l'humour juif tout au long du livre, et avec cette phrase pleine de dérision de Marceline Loridan : "Les antisémites ne nous pardonneront jamais le mal qu'ils nous ont fait"!
Vous nous aimez, prouvez-le....