mercredi 19 février 2020

Gaz en Méditerranée: «La Turquie veut jouer les trouble-fête»


Chercheuse invitée du Middle East Institute à Washington, Hafsa Halawa est consultante indépendante sur les développements politiques, économiques et sociaux au Moyen-Orient. Voici son analyse concernant les enjeux et perspectives en Méditerranée autour du contrôle de ces gisements. et revient sur les rapports de force dans la région......Interview.......


Peut-on dire que les nouvelles ressources gazières en Méditerranée créent plus de tensions que de prospérité ?
Les tensions autour de la Méditerranée ont en effet été exacerbées par les rivalités pour le contrôle des gisements de gaz, mais cela ne conduit pas nécessairement à une situation conflictuelle. 
Les tensions dans la région remontent à des dizaines d’années et n’étaient pas liées au gaz. C’est le cas en particulier du conflit entre la Turquie et la Grèce à propos de Chypre. 
Mais il n’existe pas de risque de confrontation, d’autant que la Grèce et Chypre ont le soutien de l’Union européenne dont ils sont membres, ainsi que de l’Otan avec la présence de navires militaires dans la région protégeant les lignes de démarcation des propriétés gazières. 
Par ailleurs, l’émergence de l’Egypte comme acteur important au côté d’Israël dans le sud de la Méditerranée a envenimé ses relations rompues avec la Turquie depuis 2013. 
Mais les ambitions gazières du Caire sont limitées par ses problèmes internes, du fait de la démographie galopante et d’une dépendance grandissante au gaz. Israël, de son côté, veut profiter pleinement de ses découvertes gazières, mais a trouvé plus de faveurs auprès de son voisin égyptien qu’auprès de l’Europe. L’idée d’un gazoduc reliant la région reste du domaine du rêve, non seulement à cause de l’opposition turque, mais du fait des réalités du marché gazier et des coûts d’extraction et de transformation. 
Ainsi, le gaz israélien reste beaucoup plus cher à extraire par rapport aux autres producteurs et son exportation vers l’Europe peu viable.

Quelles sont les nouvelles perspectives de coopération au Moyen-Orient autour du gaz ?
L’Egypte est en passe de réaliser son ambition d’être le hub gazier dans la région, mais ses attentes ont dû être revues à la baisse récemment du fait de l’accroissement de sa consommation intérieure et son autosuffisance gazière pourrait être moins durable sur le long terme. 
En outre, la sécurité et l’économie demeurent porteuses de risques pour l’Egypte et Israël. 
Les menaces terroristes dans le Sinaï, même si elles ont diminué depuis 2013, continuent de peser sur le gazoduc à travers le désert. En outre, la capacité de la Jordanie et du Liban d’importer du gaz d’Egypte est tributaire de leur situation économique. 
Les perspectives d’exportation vers ces deux pays ainsi que le projet d’ouverture du marché syrien contribuent à conforter l’image d’une Egypte en bonne santé, mais trop d’incertitudes pèsent sur le statut du pays comme hub régional en Méditerranée du Sud. Le plus grand espoir entretenu par Le Caire reste le gazoduc de la Méditerranée vers l’Europe.

La Turquie, exclue de la manne gazière en Méditerranée, joue les trouble-fête à Chypre et plus récemment en Libye…
L’intervention de la Turquie en Libye répond purement à des motivations économiques. 
Elle s’inscrit dans une volonté de contrarier les plans de l’Egypte tant dans son soutien au maréchal Haftar que dans ses ambitions gazières. 
Car l’Egypte a œuvré pour l’isolement de la Turquie, notamment en l’excluant du Forum du gaz en Méditerranée orientale qui a réuni tous les autres pays de la région en 2019. En réponse, la Turquie a accru ses manœuvres maritimes agressives, notamment autour de Chypre. 
Néanmoins, ses menaces ne paraissent pas crédibles, d’autant qu’elle n’a ni la capacité ni la volonté de s’imposer militairement.
La Turquie veut au fond affirmer son intérêt pour le gaz en Méditerranée, essentiellement en jouant les trouble-fête.

Comment l’Union européenne et la Russie réagissent-elles face à ces tensions autour du gaz en Méditerranée ?
L’Europe a clairement affiché son soutien à ses Etats membres et a accru sa coopération avec l’Egypte et Israël ces deux dernières années. 
Mais son partenariat avec la Turquie sur des questions plus prioritaires comme la crise syrienne et surtout sur les migrants fait qu’elle n’ira pas au-delà de la réprimande face aux agissements de la Turquie en Méditerranée. 
Quant à la Russie, elle doit jouer un équilibre délicat dans ses relations avec la Turquie alors que leurs positions divergent sur la Syrie ou la Libye. 
Car Moscou entretient de bonnes relations avec les adversaires de la Turquie que sont l’Egypte ou les Emirats arabes unis. 
Sur le gaz, la Russie a des craintes de la concurrence de la production méditerranéenne mais, comme c’est le cas depuis des dizaines d’années, des adversaires politiques peuvent très bien devenir amis dans le domaine de l’énergie. 
La politique étrangère devient insignifiante quand la production de richesses est en jeu.

Source Liberation
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