jeudi 25 mars 2021

«Née quelque part», destins croisés et fracassés


En enquêtant sur les origines de son patronyme, Michèle Halberstadt retrace le parcours de deux familles terrassées par la Shoah.........Détails........

Voilà un livre étonnant, qui part d’une quête personnelle sur les origines d’un nom et débouche sur un tout autre destin. «Je suis la dernière des Halberstadt. Ce nom s’éteindra avec moi. 
Je l’ai toujours su sans y prêter d’attention, sans y chercher du sens, écrit Michèle Halberstadt. […] Je partageais l’approche de mon père qui, lorsqu’on l’interrogeait sur sa famille, son passé, balayait les questions d’une main définitive : seul le présent lui importait.» 
Sauf que ce père, mutique sur la première moitié de sa vie hantée par les pogroms et la Shoah, a fini par mourir quelques jours après avoir posé sur sa fille un regard étrange, empreint d’amour et de nostalgie, et murmuré : «Tu me fais penser à ma mère.» 
Michèle Halberstadt l’avait alors vu sortir d’une enveloppe un peu jaunie une photo d’identité au contour dentelé montrant «le visage d’une femme brune portant un chemisier blanc», aux lèvres charnues et aux cheveux courts plaqués sur les tempes, «le front haut, un nez droit, un ovale parfait», regardant droit devant elle, pensivement, sans esquisser le moindre sourire. «Elle a l’air un peu triste, non ?» avait-elle noté. 
Son père, prénommé David, lui avait caressé la joue : «Moi, je dirais plutôt… melancholish…» 
Ce furent peu ou prou ses derniers mots.
Les rares parents encore en vie de Michèle Halberstadt (sœur aînée, cousins…) en étaient convaincus : «Tous les Halberstadt sont liés, nous appartenons tous à une seule famille» originaire de Pologne et décimée par l’antisémitisme. 
Jusqu’au jour où, lors d’un salon du livre, une attachée de presse chargée d’une biographie sur l’épouse de Freud interrogea l’autrice de ce livre, productrice distributrice dans le cinéma : 
«Vous saviez, bien sûr, qu’une de leurs filles, Sophie, avait épousé un Halberstadt ?» Non, elle ne le savait pas, Michèle Halberstadt entama alors une véritable enquête sur le destin de Sophie Freud et de ce mari nommé Max Halberstadt.
Ce récit est donc l’histoire de deux destins croisés, deux familles qui partagent juste le nom et les souffrances que celui-ci leur a values dans cette Mitteleuropa ravagée par la haine des juifs. 
«Max et mon père n’ont en commun, en dehors du nom, que le fait d’être juifs et descendants d’une lignée de rabbins», finit par noter l’autrice de Née quelque part après avoir mené l’enquête de Vienne, ville de Freud, à Johannesburg, où Max avait fui le nazisme, en passant par la petite ville polonaise de Wegrow, d’où David est originaire. 
Sous sa plume, chacun d’eux prend vie et l’on suit avec effarement leurs combats pour échapper au cauchemar et en protéger leurs familles. 
On a beau savoir ce qui menace, en connaître toutes les étapes, chacun de ces destins prend une lumière particulière et nous captive avec la même intensité. Leurs ancêtres viennent-ils tous de Halberstadt, cette ville d’Allemagne où, depuis 1978, on fabrique des wagons ? 
La fille de David en est certaine. «Ils ont arpenté le même quartier, marché dans les mêmes ruelles, prié dans la même synagogue. Ils se sont connus, côtoyés, fréquentés. 
Ils étaient simplement amis, à défaut d’être frères. Ils sont tous nés ici, à Halberstadt, une ville d’Allemagne de l’Est où jadis les juifs se sentaient chez eux.»

Michèle Halberstadt, Née quelque part, Albin Michel, 254 pp., 19,90 €

Source Liberation
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