En octobre 2020, la maison Wetterwald et Rannou-Cassegrain à Nice proposait dans une vente aux enchères un petit tableau, Trois femmes sous la pluie, modestement estimé entre 60 et 80 €.
Attiré, un marchand parisien Édouard Cattagni l’a identifié comme étant une œuvre du peintre Giuseppe de Nittis (1846-1884), dont la valeur réelle pourrait s’élever à 20 000 ou 30 000 €.
La photo du revers du tableau le fait tiquer cependant. « On y voyait une étiquette “Vente du 24 au 28 juin 1942, Hall Savoy, Nice, Cabinet d’un Amateur parisien, n°356” », raconte-t-il.
Des mentions qui renvoient à une affaire connue de spoliation, dénoncée par l’historienne Emmanuelle Polack : celle de la collection de l’avocat juif Armand Isaac Dorville (décédé en 1941), dispersée aux enchères à Nice en juin 1942, à la demande de la famille mais en présence d’un administrateur provisoire nommé par le Commissariat général aux questions juives.
Les héritiers d’Armand Dorville n’ont pas pu toucher à l’époque le produit de cette vente.
Ils ne le percevront, lors du règlement de la succession, qu’en 1947. Sauf Valentine Dorville (une sœur d’Armand Dorville), ses deux filles et ses deux petites filles, décédées en déportation à Auschwitz…
Des propriétaires émus
Alertée par Édouard Cattagni, Emmanuelle Polack a prévenu alors le représentant des héritiers Dorville, le généalogiste Antoine Djikpa, du cabinet ADD associés.
Celui-ci a contacté la maison Wetterwald et Rannou-Cassegrain qui a suspendu aussitôt la vente de l’œuvre, dont elle aurait dû vérifier la provenance.
Des discussions se sont engagées alors avec les propriétaires du tableau à Nice : Valérie Bozzetto et Yann Schenowitz sont d’autant plus émus par cette affaire qu’ils ont eux-mêmes perdu une aïeule à Auschwitz en 1944.
Le petit tableau attribué à de Nittis leur a été légué avec une importante collection d’art de leur grand-tante. Ils viennent de le restituer aux héritiers Dorville, le 23 mars 2021.
C’est la quatrième fois, en un peu plus d’un an, que des œuvres issues de cette vente spoliatrice de 1942, sont ainsi rendues aux ayants droit d’Armand Dorville. L’État allemand a été le premier, le 22 janvier 2020, à leur restituer deux œuvres de Jean-Louis Forain et un lavis de Constantin Guys, retrouvés dans la collection litigieuse de Cornelius Gurlitt.
Christie’s, le numéro 1 mondial des ventes aux enchères, a suivi en rendant aux héritiers Dorville, le 5 octobre 2020 à New York, un dessin de Constantin Guys, puis le 10 mars 2021 à Paris, une aquarelle d’Auguste Raffet.
Du coup, les musées français qui détiennent toujours 17 œuvres (1) issues de cette même vente Dorville de 1942 paraissent à la traîne.
Saisie en novembre 2019 par les héritiers Dorville, la mission sur les spoliations au ministère de la culture a rendu un rapport détaillé en septembre 2020 à la Commission d’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS).
Désormais c’est à elle de statuer et de transmettre sa recommandation au premier ministre, qui en général la suit.
Après trois reports d’audience, elle devrait se réunir le 9 avril prochain.
Douze ont été achetées directement par les musées nationaux lors de cette vente de 1942, une a été rapportée d’Allemagne en 1944 et classée œuvre des « Musées nationaux récupération » (MNR), trois leur ont été données en 1970 par un collectionneur, une a été donnée à un musée municipal de Nice.
Source La Croix
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