C’est une partie de l’histoire souvent méconnue et pourtant si fascinante. À Rome en 1943, des médecins italiens inventent une fausse épidémie pour sauver des centaines de juifs des nazis. Alors que le monde est aujourd’hui confronté au coronavirus, il est curieux de se rappeler qu’il y a 77 ans, une mystérieuse épidémie, le Syndrome K, a sauvé des vies........Détails.......
Giovanni Borromeo, Vittorio Emanuele Sacerdoti et Adriano Ossicini... Ces trois noms ne vous disent peut-être rien, pourtant ces trois médecins sont à l’origine d’un subterfuge qui a permis de sauver des centaines de juifs italiens pendant l’Occupation nazie à Rome en 1943.
Trois médecins contre le fascisme
Le Dr Borromeo était un anti-fasciste convaincu, ce dernier avait refusé par deux fois un poste de chef dans les hôpitaux romains détenus à l’époque par le Parti National fasciste.
Le médecin avait choisi de travailler dans l’hôpital Fatebenefratelli car l’établissement, appartenant à l’Église, était sous la direction de moines catholiques. Géré par l’ordre hospitalier de Saint-Jean-De-Dieu, le lieu faisait office de refuge pour la population juive romaine depuis 1938, bien avant l’arrivée des nazis dans la capitale.
Un choix évident donc pour ce médecin qui refusait de devoir s’associer au régime en place. Borromeo va plus loin dans ses convictions et crée une équipe avec deux autres médecins, partageant ses idéaux et son éthique. À l'instar de Vittorio Emanuele Sacerdoti, un médecin juif qui exerçait sous le pseudonyme Vittorio Salviucci et utilisait de faux papiers.
Il a notamment aidé des juifs à trouver refuge à Fatebenefratelli, lorsque Borromeo découvre sa véritable identité il décide de le recruter et de dissimuler son secret.
Le médecin-chef s’entoure aussi d’Adriano Ossicini, un psychiatre catholique abhorrant tout autant que lui le régime de Mussolini et ayant déjà échappé plusieurs fois à la prison à cause de ses idéaux. Les trois médecins vont très vite devoir agir ensemble et user d’ingéniosité face à la menace nazie qui ne cesse de s’étendre à Rome.
Le Syndrome K
En octobre 1943, Borromeo, Sacerdoti et Ossicini, comprennent qu’ils ne vont pas pouvoir continuer à soigner et cacher la population juive de Rome bien longtemps sans éveiller les soupçons des occupants allemands.
Alors Borromeo a l’idée d’inventer une épidémie, extrêmement mortelle, contraignant les malades à la quarantaine dans l’hôpital.
Le médecin-chef annonce aux autorités allemandes que, depuis quelques semaines, des centaines de patients présentant de mystérieux symptômes affluent à Fatebenefratelli.
Comme le rapporte l’émission Affaires sensibles sur France Inter, Borromeo annonce aux nazis que les patients présenteraient « les signes d'une dégénérescence neurologique brutale, des crises de convulsions, de démences, que leur corps les lâche complètement. Ils sont aussi victimes de crises de paralysie le condamnant à mourir d’asphyxie en quelques jours voire quelques heures ».
Pour finir d’effrayer les nazis, ils annoncent que des familles entières sont victimes de cette mystérieuse épidémie, pire, des médecins de l’hôpital ont été contaminés et en sont morts.
Ce virus, nommé Syndrome K par Borromeo, effraye les autorités nazies qui acceptent la mise en quarantaine des patients, comme le recommande l'intéressé.
Une vaste mise en scène
En vérité, ce « Syndrome K » n’existe pas. Les médecins l’ont inventé de toutes pièces pour empêcher les nazis de venir fouiller l’hôpital et notamment son sous-sol qui accueille les réfugiés juifs.
Le choix du nom porte de nombreuses origines. Tout d’abord, le K fait référence au bacille de Koch, bactérie responsable de la tuberculose, maladie mortelle dont ils s'inpirent des symptômes.
C’est aussi la première lettre des noms des deux généraux nazis en charge de la ville de Rome à l’époque : Kappler et Kesselring. De plus, les médecins s’organisent pour que tout semble réel, comme l'expliquait, il y a quelques années, le Dr Ossicini au journal La Stampa : « Nous avons créé des documents pour les Juifs comme s’ils étaient des patients ordinaires, et au moment où nous devions diagnostiquer la maladie dans les dossiers, nous indiquions que c’était le syndrome K.
Ils étaient tous en bonne santé, c’était juste un code qui signifiait secrètement que ces personnes étaient cachées dans l’hôpital ! ». Un pied de nez et un subterfuge qui fonctionnera. Le 16 Octobre 1943, les nazis organisent la rafle du ghetto de Rome.
Des centaines de familles juives tentent de se cacher comme elles le peuvent. En apprenant qu'elles fuient vers l’hôpital de Fatebenefratelli, les soldats nazis décident de perquisitionner l’établissement.
Les médecins se retrouvent alors seuls face aux milices allemandes mais ne se laissent pas intimider. Borromeo et ses collègues avertissent que leurs patients, atteints du Syndrome K, sont extrêmement contagieux et qu’en fouillant l’hôpital ils pourraient s’exposer au virus. Craignant d’être contaminés, les soldats nazis font alors demi-tour.
Une double victoire pour les médecins, car les milices ne tenteront plus jamais de rentrer dans l’établissement jusqu’à la libération de Rome, le 5 juin 1944.
Un devoir de mémoire
Avec l’aide des moines catholiques de l’hôpital de Fatebenefratelli, le trio a délivré des centaines de faux papiers afin de permettre aux réfugiés juifs de quitter Rome pour aller se cacher dans les campagnes environnantes.
Borromeo, Sacerdoti et Ossicini ont été salués pour leur bravoure en Italie. Décédé en 1961, Borromeo recevra même le titre de « Justes parmi les Nations » par le mémorial de Yad Vashem à Jerusalem, 43 ans après sa mort. Un titre qui salue la mémoire de ceux ayant risqué leur vie pour sauver les juifs pendant la Shoah.
L’hôpital accueillait également des résistants et des communistes pendant l’Occupation et le régime dictatorial de Mussolini.
En 2016, la fondation Raoul Wallenberg a honoré l’établissement du titre de « Maison de vie ».
« Cet endroit a été un phare dans les ténèbres de l’Holocauste, et notre devoir moral est de nous souvenir de ces grands héros pour que les nouvelles générations puissent les connaître et en prendre la mesure », peut-on lire sur la façade de cet hôpital, témoin du courage d’hommes qui ont risqué leur vie pour sauver celles des autres.
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