Anne Oukhemanou, docteure en Histoire, travaille et a écrit plusieurs ouvrages sur les Juifs de Bayonne. Une communauté à laquelle on doit l’arrivée du chocolat dans la ville et au Pays basque.......Entretien.......
"Sud Ouest" : Comment les Juifs se sont-ils établis à Bayonne ?
Anne Oukhemanou : Ils sont venus très progressivement. Ils cherchaient à se réfugier en France, après leur expulsion d’Espagne ordonnée par l’édit de 1492, puis celle du Portugal avec la création de l’Inquisition en 1536.
Le choix de Bayonne, et plus largement du sud-ouest, est probablement lié à la proximité avec l’Espagne. Ils s’installent massivement dans le quartier de Saint-Esprit.
Y a-t-il consensus pour dire que cette communauté est à la source de la production de chocolat ?
Oui. En revanche, la date des premières importations de cacao et du début de la fabrication du chocolat reste inconnue.
Certains historiens souhaitent imposer 1609. Mais à ma connaissance, aucune source fiable ne permet de croire à une activité chocolatière avant la fin du XVIIe siècle.
Quelle place les Juifs occupent-ils dans la production du chocolat à cette période ?
Ils ont un rôle commercial évident, car ils bénéficient de réseaux commerciaux internationaux grâce aux membres de leurs familles installés en Europe et en Amérique.
Jusqu’au début du XVIIIe siècle, les négociants et marchands juifs semblent avoir le monopole du commerce de cacao. Les experts chargés de contrôler la qualité du cacao arrivé par bateau sont tous juifs. Du point de vue du savoir-faire, ce sont eux qui ont transmis le métier aux Bayonnais non-juifs.
Et pendant le reste du XVIIIe siècle ?
Ils vont être frappés d’interdictions commerciales. En 1760, les marchands de tabac et les droguistes décident de créer une corporation de chocolatiers pour exclure les Juifs du marché du chocolat au détail.
L’affaire arrange le corps de ville, composé du maire et des échevins, qui sont une majorité de négociants en concurrence avec les Juifs.
Le problème, c’est que l’interdiction frappe aussi les marchands de chocolat et épiciers non-juifs, qui s’allient avec les chocolatiers de Saint-Esprit.
Les consommateurs de chocolat à Bayonne, très satisfaits de la qualité de leurs produits, signent une pétition. Les statuts de la corporation sont finalement cassés en 1767.
Progressivement, les Juifs se sont effacés de la filière chocolatière…
Au début du XIXe siècle, il y a encore sept chocolatiers juifs. Mais dans l’almanach du commerce de Bayonne de 1822, sur les vingt-deux chocolatiers répertoriés, aucun n’est juif.
Je me demande si le métier n’a pas perdu de son attractivité à partir de la fin du XVIIIe siècle.
Pourquoi ?
Parce que les Juifs ont trouvé en face d’eux des concurrents parmi ceux qu’ils avaient formés.
Parce qu’ils ont cherché un métier plus lucratif. Et parce que, travaillant souvent seuls, ils n’ont pas voulu ou réussi à passer de l’atelier à l’entreprise, comme les non-juifs.
Le quartier de Saint-Esprit reste associé à l’histoire des Juifs. Étaient-ils intégrés ?
Il y avait des immeubles uniquement composés de familles juives, mais bien d’autres ou Juifs et non-Juifs cohabitaient sans animosité. Via ses syndics, la communauté – qui représentait 30 % de la population de Saint-Esprit – a contribué à développer le quartier.
Il est associé aux Juifs mais aussi au chocolat : les vingt-deux chocolatiers répertoriés à Bordeaux au XVIIIe siècle étaient tous nés à Saint-Esprit.
Qu’est-ce qui différencie le chocolat de l’époque avec celui d’aujourd’hui ?
Au début, le chocolat était consommé sous forme de boisson. Il était réservé à l’élite, car rare et cher.
Le café devient la boisson du XVIIIe siècle, le chocolat sous forme liquide est abandonné au profit des billettes.
De là, il connaît une lente popularisation, jusqu’à l’industrialisation de sa production au début du XIXe siècle.
Les chocolatiers juifs travaillaient avec une pierre à chocolat, la fabrication du chocolat telle qu’on la connaît n’a plus rien à voir.
Source Sud Ouest
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