Ni guirlandes, ni sapins décorés, ni Père Noël. À Abu-Gosh, un village arabe israélien à une douzaine de kilomètres à l'ouest de Jérusalem, rien n'indique que la fête de la nativité est toute proche.
Il faut dire que les habitants sont musulmans. Pourtant, dès que l'on pousse la porte de l'abbaye bénédictine Sainte-Marie de la Résurrection, la magie opère. Avec d'abord la cour d'entrée où se dressent palmiers et pins maritimes, l'antichambre d'un magnifique jardin qui court en hauteur. À gauche, le bâtiment où habitent les frères.
Dès l'auvent, Noël est là avec ses décorations traditionnelles. Et il suffit de pousser la porte pour que la beauté de la fête se déploie. Le grand sapin illuminé, les guirlandes qui s'entrecroisent, les étoiles or et rouge qui descendent du plafond et bien sûr la crèche.
Au même moment, dans l'église croisée, construite au XIIe siècle par l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, moines et bénévoles s'affairent pour que la célébration de la Nativité soit la plus belle possible.
Don de l'Empire ottoman en 1873
C'est le frère Louis-Marie Coudray qui me reçoit. Après le décès, le 6 juillet dernier, du révérend père abbé Charles Galichet, c'est lui qui préside aux destinées de ce monastère bénédictin, domaine national français depuis qu'en 1873 l'Empire ottoman en a fait don à la France.
L'autre particularité de cette communauté religieuse est d'accueillir sur le même site, mais dans des bâtiments séparés, des moines et moniales.
Soit huit frères bénédictins olivétains et quinze sœurs oblates de Sainte-Françoise-Romaine. Tous se retrouvent pour prier ensemble, lors de trois des six offices quotidiens.
Comment fait-on pour vivre Noël dans un village musulman et un pays à majorité juive ?
Sans détour, le frère Louis-Marie évoque d'abord la tradition : « Quand nous sommes arrivés ici en 1976, nous avons inauguré deux traditions qui, en plus de quarante ans de présence, ne se sont jamais démenties. La première a lieu une dizaine de jours avant Noël.
Nous nous faisons enfermer dans la grotte de la Nativité de Bethléem pour une nuit de prière, une préparation à la célébration de Noël. La seconde consiste, quelques jours avant la fête, en un pèlerinage à Nazareth. Une façon de mettre nos pas dans ceux de Marie.
N'est-elle pas allée de Nazareth à Bethléem ? Une occasion aussi de présenter nos vœux de bonne fête et de bonne année au vicaire patriarcal pour Israël. Et c'est ce que nous avons fait cette année aussi. »
« J'admirais cette partie de l'assistance »
Pourtant, il y a une troisième tradition, celle-là même qui a participé à la renommée de l'abbaye d'Abu-Gosh : la messe du 24 décembre. Commencée à minuit pile, elle se déroule en latin et en français.
Mais là, on est en plein changement. Non pas dans l'ordonnance de la messe, mais dans l'assistance. Jusqu'il y a une vingtaine d'années, l'église était pleine à craquer.
Et chose étonnante : à part les deux premiers rangs constitués de chrétiens, pour le reste des 200 à 300 personnes présentes, il s'agissait d'Israéliens juifs venus dans un souci de découverte, de connaissance.
« J'avoue que j'admirais cette partie de l'assistance, qui en plus ne comprenait rien, car, même si nous distribuions des feuillets avec des textes en hébreu, tout était en latin et en français.
Et pendant une heure et demie, serrés comme des sardines, souvent debout, car il n'y avait pas assez de places assises, ils écoutaient, regardaient, en silence, respectueux. »
Aujourd'hui, on en n'est plus là. S'il y a encore du monde pour la messe de minuit, on parle d'une centaine de personnes- des expatriés, des membres du personnel du consulat de France à Jérusalem, parfois des groupes de pèlerins – les Israéliens juifs, eux, se font rares.
La raison de cette désaffection ? Pour frère Louis-Marie, c'est tout à la fois : l'évolution du mode de vie, l'Internet, les réseaux sociaux : « Si quelqu'un veut regarder une messe de minuit, il n'a plus besoin de sortir de chez lui, il va sur le Web et il a tout ce qu'il veut dans tous les styles. »
Pourtant, aux yeux de ce frère bénédictin, dont la raison d'être en Terre sainte est de constituer une présence d'accueil cordial à l'écoute de l'Israël biblique en son histoire juive, il y a peut-être autre chose : « Se dire que les nouvelles générations, les enfants, les petits enfants de ceux qui emplissaient notre église pour la messe de minuit, vivent aujourd'hui, en Israël, dans une espèce d'entre soi, où l'on est pas intéressé par le monde chrétien. On en entend parler, mais cela ne va pas au-delà. »
Mixité et partage
On l'aura compris, à l'abbaye bénédictine Sainte-Marie de la Résurrection, la vie monastique ne prend tout son sens que si elle s'accompagne de rencontres avec tous ceux qui l'entourent : les villageois musulmans d'Abu-Gosh, les juifs d'Israël, les Druzes, les chrétiens catholiques et autres.
« Comment vivons-nous notre présence dans la société israélienne ? Eh bien c'est en se créant un réseau d'amis. Tenez ! Qui, cette année, nous a aidés à installer les décorations de Noël ?
Des amis juifs, des amis druzes. À mon sens, la seule solution qui permettra de sortir le pays d'une situation globalement difficile, c'est de faire société ensemble, de se découvrir homme ensemble. On ne peut pas toujours rester figé sur nos positions. C'est une impasse mortelle. »
Coexistence, fraternité, les « hommes ensemble ». Cette année, pour le père Louis-Marie, c'est aussi une histoire de calendrier, avec la concordance de date entre la fête juive de Hanoukka et Noël.
« Rendez-vous compte : au même moment deux célébrations, avec en commun l'intervention de Dieu et cette même idée de lumière qui vient dans le monde. Cette simultanéité m'enchante. Nous sommes vraiment ensemble. Même à l'extérieur, on le ressent.
Voyez les décorations de Hanoukka dans les villes israéliennes. Cela leur donne un côté festif, comme en Occident avec les décorations de Noël. »
Source Le Point
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