Le sujet a pris parfois localement une telle ampleur qu’il a poussé certaines autorités locales, jusqu’aux gouvernements des Länder, à se pencher sérieusement sur la question et à engager des réflexions de fond à l’attention des enseignants, des familles et des élus.
Rien que pour l’année 2019, de nombreux cas d’agressions ont été recensés, notamment dans les quartiers dits « sensibles », tels que Neukölln ou Siemensstadt à Berlin, ou encore Offenbach en banlieue de Francfort, pour ne citer que ceux-là. Harcèlement, insultes, brimades, jusqu’aux attaques physiques – les enseignants et directeurs d’établissement tirent la sonnette d’alarme.
Une sous-culture de haine
Les agressions physiques ou verbales ad hominem ne sont d’ailleurs pas les seules expressions de ce fléau.
Les provocations gratuites sont en effet légion. Un cas récent fait par exemple état, en Hesse cette fois-ci, de trois adolescents contre lesquels leur collège a porté plainte après que ces derniers ont ostensiblement joué depuis leurs téléphones portables de la « musique antisémite » lors d’une visite du camp de concentration de Buchenwald.
Il est désormais très clair qu’une certaine culture du rap de cour d’école (« fais toi du cash comme les Rothschild » scande le rappeur berlinois Ufo361 dans un clip de 2018 ; ses homologues Celo & Abdi n’étant pas en reste avec des clips plus que douteux raclant les vieux clichés sur les fortunes juives, ou supposées telles) empêche parfois toute tentative sereine de dialogue, comme l’ont constaté et vécu personnellement de nombreux enseignants et associations de parents d’élèves.
L’insulte « Sale juif » devient d’ailleurs monnaie courante dans certains quartiers, y compris envers des personnes non juives.
Susanne Eisenmann, ministre (CDU) de l’Education du land de Bade-Wurtemberg, fait partie de ceux qui ont compris l’ampleur du problème : selon elle, non seulement l’antisémitisme scolaire est bien évidemment une attaque frontale envers les écoliers de confession juive, mais il menace plus généralement l’équilibre du système scolaire.
« L’antisémitisme met en péril la coexistence des élèves dans les établissements et dans la société ; c’est pourquoi le combattre est-il un devoir à la fois des institutions publiques et de la société tout entière ».
Alexander Dobrindt (chef du groupe CDU-CSU au Bundestag) prône lui la tolérance zéro face à ce qu’il nomme « l’islamisme de cour d’école ».
Une réalité très protéiforme, puisqu’elle va des insultes au harcèlement, en passant par l’échange de vidéos de l’Etat Islamique ou des provocations répétées lorsque l’Holocauste ou le journal d’Anne Frank sont traités en classe d’Histoire.
Selon Dobrindt, il n’y aura pas de progrès sans la mise en place de mesures disciplinaires fortes pour combattre ces phénomènes. Comme d’autres (notamment Christian Jung du parti libéral FDP), il dénonce le fait que bien souvent, les victimes sont poussées à changer d’école alors que leurs agresseurs restent au sein de l’établissement concerné, en écopant d’une sanction souvent inadaptée.
La détestation d’Israël comme toile de fond
L’un des points qui revient constamment chez les spécialistes de ce phénomène est le rôle que jouent les poncifs sur la politique israélienne, qui ont créé une véritable obsession anti-Israël chez de nombreux jeunes musulmans (qu’ils soient issus de familles pratiquantes ou non).
C’est ce qu’a pu observer le politologue israélien David Ranan dans son livre L’antisémitisme musulman.
L’auteur s’est en effet entretenu avec 70 jeunes musulmans (principalement en Allemagne mais aussi à travers l’Europe) et a constaté à quel point l’État d’Israël prenait une place centrale dans leur discours anti-juif.
Ranan fait d’ailleurs partie de ceux qui considèrent que cette fixation obsessionnelle est la cause primaire de leur préjugés tenaces (quand il ne s’agit pas purement de haine), en contestant l’idée que l’islam lui-même puisse intrinsèquement les mener vers l’antisémitisme.
Vaste débat qui fait couler beaucoup d’encre chez nos voisins comme ailleurs. Au demeurant, à l’instar de Corbyn ou Mélenchon, certains politiques de la gauche allemande n’hésitent pas à mettre de l’huile sur le feu, tel Sigmar Gabriel qualifiant l’état hébreu de « régime d’apartheid », aussitôt applaudi par certains jeunes de culture musulmane.
Des poncifs éculés qui prennent souvent leur source dans une méconnaissance totale de l’Histoire, à commencer par chez les écoliers, comme le rappelait récemment le journaliste et enseignant Rainer Werner dans le quotidien Die Welt.
La nécessaire émancipation des jeunes allemands de culture musulmane
Pour Ahmad Mansour, arabe israélien d’origine et établi en Allemagne depuis 2004 où il enseigne la psychologie et la sociologie, la tâche est immense – mais pas impossible.
Lui-même ancienne victime d’un imam radicalisé, et auteur de Génération Allah, il connait bien les rouages de la haine antisémite. Selon lui, le problème va au-delà de la détestation d’Israël.
« Il est très utopique de penser que l’antisémitisme musulman ne concerne que la politique au Moyen-Orient. Je connais des jeunes qui viennent d’Afrique, qui n’ont en fait rien à voir avec Israël, et qui me disent: « Le Coran dit que Dieu a maudit les Juifs et donc nous devons les maudire. »
Et j’entends toujours des théories du complot sur « les Juifs qui gouvernent le monde ». Les jeunes sont donc facilement influençables sur cette haine des juifs ».
Selon Mansour, au-delà d’une nécessaire réforme des programmes scolaires allemands, la clé est dans l’émancipation des jeunes musulmans, (notamment les réfugiés) qui doivent pouvoir s’affranchir d’une culture « patriarcale ». « Les migrants ne connaissent pas Kant (…) ni la Révolution française. Ils ne sont par conséquent par conscients de la manière dont les occidentaux chérissent et protègent la liberté ». Vaste programme.
Source Causeur
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