Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, Kobili Traoré, pris d’une «bouffée délirante» selon les experts, s’était introduit chez sa voisine Lucie Attal - aussi appelée Sarah Halimi - au troisième étage d’un immeuble HLM de Belleville.
Aux cris d'«Allah Akbar», entrecoupés d’insultes et de versets du coran, ce jeune musulman de 27 ans l’avait rouée de coups sur son balcon avant de la précipiter dans la cour.
Cette affaire avait relancé le débat sur la persistance de l’antisémitisme dans certains quartiers populaires sous l’effet d’un islam identitaire, débat qui sera ravivé un an plus tard par le meurtre d’une octogénaire juive à Paris, Mireille Knoll.
La qualification antisémite de ce crime avait donné lieu à un bras de fer entre la juge, qui ne l’avait pas retenue au départ, et le parquet de Paris qui la réclamait, soutenu par les représentants de la communauté juive.
L’affaire avait aussi pris une tournure politique quand le président Emmanuel Macron avait réclamé à la justice «toute la clarté» sur les faits, en présence du Premier ministre israélien en visite à Paris en juillet 2017.
La semaine dernière, après deux ans de procédure, la juge d’instruction Anne Ihuellou a annoncé aux parties la fin de ses investigations, a appris jeudi l’AFP de sources proches du dossier.
Cette étape ouvre la voie aux observations finales des avocats et aux réquisitions du parquet avant la décision, très attendue, de la magistrate sur la tenue ou non d’un procès de Kobili Traoré, mis en examen pour meurtre à caractère antisémite.
- Abolition ou altération ? -
Trois expertises psychiatriques ont été réalisées depuis deux ans mais leurs résultats, contradictoires, font craindre aux parties civiles que le jeune homme, toujours hospitalisé, soit reconnu comme pénalement irresponsable et bénéficie d’un non-lieu.
Les trois expertises concordent pour dire que le jeune homme, sans antécédent psychiatrique, ne souffre pas de maladie mentale mais qu’il a agi lors d’une «bouffée délirante» provoquée par une forte consommation de cannabis.
Le premier expert en avait d’abord conclu que le discernement de M. Traoré devait être considéré comme «altéré», mais pas «aboli» au sens du code pénal, «du fait de la consommation volontaire et régulière de cannabis» dont il ne pouvait ignorer les effets, engageant ainsi sa propre responsabilité.
La contre-expertise, menée par un collège de trois médecins, concluait au contraire à l’abolition de son discernement, synonyme d’abandon des poursuites judiciaires.
La juge avait alors sollicité un nouveau collège d’experts dont l’avis, moins tranché, penche «plutôt classiquement vers une abolition du discernement» de Kobili Traoré car «au moment des faits, son libre arbitre était nul».
Pour les avocats de la famille Halimi, Mes Caroline Toby et Francis Szpiner, «l’expert psychiatre ne peut se substituer au juge»:
En l’absence d’unanimité entre les experts, «il appartient à une juridiction de jugement de discuter les circonstances de purs faits, comme la tentative de maquillage du crime en suicide» ou le choix, selon eux ciblé, de la victime, avant de pouvoir «confirmer ou infirmer les réponses des psychiatres».
«Depuis près de 40 ans que j’exerce ce métier, je n’ai jamais eu l’occasion de voir aussi peu d’empathie et de préoccupations pour le sort de la victime et de sa famille de la part d’un magistrat instructeur», s’insurge Me Gilles-William Goldnadel, avocat de la belle-soeur de la victime, qui réclame un renvoi aux assises.
Contacté par l’AFP, l’avocat du suspect, qui s’est déjà exprimé pour défendre l’irresponsabilité pénale de son client, n’était pas joignable dans l’immédiat.
Source Liberation
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