mardi 19 décembre 2017

L’ONG russe Memorial orpheline de son fondateur....

 
L’association de défense des droits de l’homme Mémorial pour la «perpétuation de la mémoire des victimes des répressions» avait été cofondée à la fin des années 80 par Arseni Roginski, mort ce lundi dans une Clinique israélienne.....Détails.......
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   Il avait toujours une cigarette aux lèvres. Une voix râpeuse, des yeux rieurs, et un bon mot au bout de la langue.
Surtout pour parler du thème qui l’a passionné et occupé une grande partie de sa vie : la répression politique en URSS, et la nécessité de sortir de l’anonymat les millions de victimes, nommer les bourreaux, indiquer les lieux de répression. L’historien et dissident Arseni Roginski, le très charismatique cofondateur et directeur de la branche internationale de l’ONG Mémorial n’est plus. Il est mort à 71 ans, ce lundi dans une clinique israélienne.
Toute sa vie, Roginski l’a passée avec l’ombre du goulag dans le dos. Il est né en 1946 dans une petite ville du Grand Nord russe, dans la région d’Arkhangelsk, où sa mère avait déménagé pour se rapprocher du lieu d’«exil éternel» de son père. Boris Roginski, ingénieur d’une centrale électrique de Leningrad (Saint-Pétersbourg), avait été arrêté pour «sabotage» une première fois pendant les purges staliniennes de 1937-1938.
«Il n’a pas été fusillé tout de suite, et je suis un enfant d’entre deux arrestations», aimait raconter Roginski. Il a 5 ans quand son père est arrêté une seconde fois. Il mourra au camp.

Besoin de savoir

Pendant ses années d’études à l’université de Tartu (Estonie), en 1962-1968, Roginski commence à fréquenter le milieu des dissidents soviétiques et à «comprendre progressivement», ouvrir les yeux sur le régime.
Jamais il ne parle d’un sentiment de révolte, juste du besoin de savoir, convaincu de la nécessité de restaurer la mémoire historique, victime de la propagande et de l’historiographie soviétiques, ainsi que l’histoire elle-même en tant que science indépendante.
Dans ce but, il fonde dans les années 70 «Pamiat» (la mémoire), un recueil historique, diffusé en samizdat (tapuscrits illégaux circulant sous le manteau), qui se fixait pour «devoir de sauver de l’oubli les faits et noms historiques condamnés à disparaître, et avant tout les noms des morts, persécutés, calomniés ainsi que de ceux qui ont supplicié, dénigré, dénoncé».
En 1977, Roginski se retrouve lui-même dans le collimateur des autorités. En 1981, après avoir refusé de quitter l’Union soviétique, sur insistance du KGB, il est condamné à quatre ans de camp pour «fabrication de faux papiers». Il ne sera réhabilité qu’après la chute de l’Union soviétique, en 1992.
Dès sa sortie de prison, en 1985, Roginski reprend ses activités dissidentes et mémorielles et devient l’un des fondateurs, en 1988-1989, du mouvement Mémorial, pour la «perpétuation de la mémoire des victimes des répressions», qui deviendra la principale ONG de défense des droits de l’homme, de recherche et de sensibilisation de la Russie postsoviétique, avec des filiales dans toutes les grandes villes du pays.
Ces dernières années, Roginski s’est souvent exprimé avec inquiétude sur la réhabilitation de Staline dans le discours officiel. «Nous n’avions qu’un seul bourreau, c’est l’Etat.
Notre Etat soviétique, que nous cherchons à enjoliver et idéaliser par tous les moyens aujourd’hui. […] Ce pouvoir était organisé de telle sorte qu’il ne pouvait atteindre aucun de ses objectifs quotidiens sans recourir à la terreur.
Ce système étatique était criminel depuis le début, et c’est cette vérité que la conscience collective et le pouvoir ont tellement de mal à admettre», disait-il dans une interview au quotidien Vedomosti.

Listes des fusillés

La conscience collective et la mémoire historique russes sont malades de leur passé soviétique, et seules la remémoration et la vérité peuvent les guérir, a signifié Roginski avec toute son activité. En tant que directeur de l’ONG, il est à l’origine d’un grand nombre de «projets remarquables qui ont changé le climat dans le pays», note la journaliste et défenseuse des droits de l’homme Zoya Svetova.
Et notamment de «la restitution des noms», une lecture des listes des fusillés pendant les répressions, tous les ans, le 30 octobre, autour de l’un des rares monuments à ces victimes dans la capitale. «Cette action a cimenté la société plus que toutes les manifestations de l’opposition des dernières années», écrit encore Svetova.
Les historiens et surtout les défenseurs des droits de l’homme russes, autour desquels l’étau se resserre de plus en plus en Russie, se sentent orphelins. «Des années avant l’apparition de Mémorial, il a commencé à lutter pour la vérité historique et les droits de l’homme, il a payé de sa liberté, peut-on lire dans l’hommage sur le site de l’ONG.
Il a continué la lutte jusqu’au dernier jour, sans lui l’activité de Mémorial n’aurait pas été possible toutes ces années. Et nous n’arrivons pas à imaginer Mémorial sans lui aujourd’hui.»

Veronika Dorman   

Source Liberation
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