Il n’y a jamais eu autant d’argent pour financer les jeunes pousses suisses. Mais dans le milieu entrepreneurial, on a davantage besoin d’«argent intelligent» que d’argent frais. Il est de passage en Suisse pour prospecter. Associé du fonds d’investissement israélien Meron Capital, Daniel Roditi (26 ans) est à la recherche de start-up «core tech», des pépites qui se démarquent par une innovation technologique plutôt que par son application. En d’autres termes: l’algorithme avant le logiciel......Détails......
Le Genevois d’origine, qui réside à Tel-Aviv depuis plusieurs années, espère trouver ce type d’expertise dans la région. «Il y a un bel écosystème de technologies algorithmiques avec les écoles polytechniques. La Suisse est mûre pour la transformation numérique.»
Créé en décembre, le fonds Meron Capital – 70 millions de dollars sous gestion (67,9 millions de francs) – dispose de montants oscillant entre un demi-million et 2 millions de dollars à investir dans des solutions technologiques.
Pas que les sciences dans la vie
Et la mise en relation, c’est justement le travail de programmes d’accélération comme Venture Kick et Venturelab. Les fondateurs de ce dernier, Jordi Montserrat et Beat Schillig, organisent notamment des «roadshow» (tournées) dans la Silicon Valley, à New York ou en Chine.
Pour Beat Schillig, il est faux de dire que les investisseurs n’ont d’yeux que pour les start-up actives dans les sciences de la vie. «Si c’était vrai, Google, Microsoft ou Apple ne rachèteraient pas des jeunes pousses helvétiques. Les investisseurs ont souvent une orientation très verticale. Ils scannent le globe à la recherche de la perle rare dans un secteur bien précis.»
A partir de là, la tâche de Beat Schillig consiste à définir le profil de risque de l’investisseur.
«Hormis quelque business angels débutants, la plupart des investisseurs sont des professionnels et préféreront une approche portfolio afin de diminuer les risques.»
On estime le taux de survie des start-up après cinq ans à 50%. Davantage si elles ont été encadrées et coachées par un accélérateur.
Parmi ces fonds de capital-risque, mentionnons le saint-gallois Brains to Venture ou le zurichois Redalpine, qui proposent des portefeuilles sectoriels de start-up: technologies médicales (medtech), financières (fintech) ou industrielles. Une approche indirecte – la société de participation investit, selon des critères préalablement définis, et gère les relations avec les entrepreneurs – qui implique des frais de gestion et des rendements, par définition, moins volatils.
Autre possibilité: prendre des parts dans un groupe coté en bourse qui va, lui, investir dans un portfolio de jeunes pousses.
A l’image de BB Biotech, et ses 3,5 milliards de francs de capitalisation boursière, qui finance des start-up actives dans les biotechnologies (oncologie, maladies cardiovasculaires, infectieuses et auto-immunes).
Qui pour retenir les start-up?
En Suisse, les fonds investis dans le private equity ont pris l’ascenseur, passant de 4,5 millions de francs en 2009 à 860 millions en 2016, selon le dernier rapport de l’accélérateur Venture Kick, qui a triplé l’année passée le bilan investi dans ses start-up «accélérées».
Pourtant, à chaque fois qu’une start-up prometteuse s’expatrie (qu’elle s’appelle Biocartis, G-Therapeutics ou Xeltis), le débat sur la capacité de la Suisse à financer la croissance des start-up est relancé.
Pour Daniel Roditi, il s’agit là du cours naturel des choses, au vu de la petitesse du marché suisse et du handicap des salaires élevés. «En tant qu’investisseur, je ne vois pas pourquoi je paierais un premium pour maintenir des structures de R&D ici alors qu’on peut faire 50 à 70% moins cher à Tel-Aviv.»
Il voit pourtant déjà émerger de nouveaux champions, grâce à la puissance des groupes pharmaceutiques et des banques suisses. Il explique: «Au départ, tout le monde voulait révolutionner la banque depuis zéro, en imitant des services financiers.
Maintenant, les start-up cherchent à livrer des solutions aux banques. On est davantage dans les «techs for fin» que dans la «fintech». C’est pour ça qu’il faut être en Suisse.»
Une lacune à un demi-milliard de francs ?
Malgré la puissance financière de groupes suisses, l’idée de constituer un «fonds de fonds» d’un demi-milliard de francs continue à faire son bout de chemin. Soutenu moralement par la Confédération (pour l’heure), il serait destiné à combler les lacunes de financement de croissance des start-up et permettrait d’attirer les institutionnels dans l’impossibilité de faire fructifier leur argent au vu des taux actuels.
Certaines voix (notamment celle de l’Association suisse des banquiers) s’élèvent également pour appeler à modifier le cadre juridique limitant à 15% les investissements des caisses de pension dans les alternatifs: hedge funds, matières premières et private equity, dont le capital-risque.
Le «faux problème» de la prévoyance
Une limite qui n’a pas empêché la caisse de pension Nest (20 000 assurés) de communiquer largement sur ses 2,5 millions de francs investis dans six projets, avec pour objectif de faire passer cette somme à 7 millions.
Une somme qui ne devrait pas représenter plus de 0,5% du portefeuille total, précise la fondation.
«La réalité du marché, c’est que la proportion investie dans le capital-risque est très faible», souligne Pascal Frei, associé du cabinet de conseil en placements PPCmetrics.
«La question des 15% est un faux problème. Les caisses de pension peuvent déjà déroger à cette limite, du moment qu’elles peuvent le justifier. Mais je ne suis pas sûr que cette stratégie risquée corresponde à la tolérance au risque de nombreuses caisses, qui est plutôt limitée.»
Il n’est pas le seul à exprimer des réserves. Daniel Roditi ne voit pas non plus ce potentiel afflux d’argent d’un bon œil. «Ce qui risque de se passer, c’est qu’il y aura une inflation de la valeur des boîtes.
Dans l’écosystème mondial dans lequel s’inscrivent les levées de fonds, cela peut induire des attentes totalement irréalistes pour les futurs tours d’investissement.
Et personne ne sera prêt à payer pour la bêtise de l’investisseur précédent. On a besoin d’argent plus intelligent.» En d’autres termes, à chacun son métier.
Source Le Temps
Suivez-nous sur FaceBook ici: