dimanche 2 juin 2013

L’Oligarchie et le Sionisme : la haine antisémite sur grand écran



Télérama, Libération, Le Nouvel Obs, Le Point, L’Express, Le Figaro, Europe 1, Ouest-France, TF1, Première, Allociné, Evene… Aucun de ces médias n’est complotiste ou d’extrême droite. Pourtant, tous assurent depuis la semaine dernière la promotion sur leurs sites du dernier film de Béatrice Pignède : L’Oligarchie et le Sionisme.

Brisons immédiatement le suspense : ce documentaire prétendument «indépendant» (il est distribué par la même officine iranienne qui a produit l’année dernière le film de Dieudonné, L’Antisémite) ne donne pas dans la subtilité. Infiltrés dans tous les pays occidentaux, les «réseaux sionistes» actionneraient partout les leviers de pouvoir pour imposer leur loi et mettre en œuvre leur plan de domination, le «Nouvel Ordre Mondial». Le «Sionisme», idéologie mortifère par laquelle l’«Oligarchie» étendrait son règne sur le monde, s’emploierait en effet à exploiter les événements de la Seconde Guerre mondiale à des fins politiques en jouant cyniquement sur la mauvaise conscience des Européens et en interdisant toute discussion libre sur la réalité de la Shoah. Avant-poste de cet impérialisme prédateur, l’État d’Israël menacerait à lui seul l’équilibre de la planète.
L’Oligarchie et le Sionisme fait intervenir à leur insu quelques-uns de ceux qui sont censés incarner l’élite honnie : Jacques Attali, Bernard Henri Lévy, Barack Obama… Mais ce sont les interviews de personnalités bien connues de la complosphère qui donnent au documentaire son fil conducteur : Thierry Meyssan, Alain Soral, Jacob Cohen, Gilad Atzmon ou encore Webster Tarpley.
Les vulgates anticapitalistes (la condamnation des «banksters», de Wall Street, de la «spéculation financière»…) et populiste (les «élites mondialisées», «l’oligarchie»…) n’ont d’autre fonction ici que de faire passer en contrebande un discours complotiste radical. Reposant tout entier sur une reformulation syncrétique du mythe du complot juif mondial (avec l’euphémisation qui convient à la sensibilité de l’époque : on ne dira pas «juif», mais «sioniste»), le film de Béatrice Pignède va au-devant du procès en antisémitisme qui pourrait lui être fait en faisant intervenir des auteurs d’origine juive et/ou de nationalité israélienne comme Jacob Cohen et Gilad Atzmon, déjà cités, mais aussi et surtout Shlomo Sand, l’auteur du best-seller Comment le peuple juif fut inventé ? (Fayard, 2008).
Qu’on ne s’y trompe pas : l’«antisionisme» revendiqué par Béatrice Pignède n’a rien à voir avec la critique d’une politique conjoncturelle, celle des gouvernements qui ont pu se succéder à la tête de l’État d’Israël. Il ne relève pas d’un anticolonialisme que satisferait le retrait d’Israël des territoires occupés à l’issue de la guerre des Six Jours et la création d’un État palestinien. Il ne procède pas non plus d’un internationalisme qui tiendrait en suspicion, par principe, tout mouvement national d’où qu’il vienne. L’antisionisme revendiqué ici va au-delà de la contestation de la légitimité de l’État d’Israël. Il fantasme l’existence d’un «pouvoir sioniste mondial» qui constituerait le seul obstacle à la paix dans le monde et à la réconciliation de l’humanité avec elle-même.
Cet antisionisme métaphysique, démonologique, ne prétend pas combattre un mouvement national – le sionisme – envisagé dans la diversité de ses expressions historiques, mais une hydre maléfique qui tire les ficelles du monde en coulisses. Projetant sur les «Sionistes» les traditionnels stéréotypes négatifs prêtés aux Juifs – réputés «riches», «cosmopolites», «élitistes», «ethnocentristes», «subversifs», «intrigants», «belliqueux»… –, cet antisionisme est-il autre chose qu’un antisémitisme par procuration ? Et qu’il se trouve des personnalités juives pour y apporter leur caution doit-il étonner ?

La réalisatrice Béatrice Pignède avec Mahmoud Ahmadinejad.
Source http://www.conspiracywatch.info


Béatrice Pignède ne fait nullement mystère de son adhésion à la thèse d’un complot «sioniste» mondial. C’est ainsi que l’année dernière, elle relayait sur sa page Facebook un schéma présentant le «Lobby sioniste israélien» comme le grand tireur de ficelles des gouvernements occidentaux et de l’ONU, accompagné d’un commentaire en anglais commençant par ces mots :
Le Sionisme est la principale cause des guerres et des meurtres...