vendredi 21 juin 2013

Les malheurs de Lapid



Mi-avril, le nouveau ministre des Finances, Yaïr Lapid, avait le vent en poupe. Les sondages lui prédisaient 30 sièges à la Knesset, autant que le Likoud-Israël Beiteinou du Premier ministre Binyamin Netanyahou. Et le magazine Time venait de l’inclure dans sa liste des 100 personnes les plus influentes au monde, en 2013, au détriment de Netanyahou. Lapid parlait ouvertement de détrôner le Premier ministre aux prochaines élections. Mais c’était jusqu’à l’arrivée de la proposition budgétaire 2013‑2014.
Une énorme disparité éclate alors au grand jour, entre les promesses économiques de Lapid et ses premières mesures en tant que ministre des Finances. Du jour au lendemain, sa cote de popularité dégringole. Selon un sondage publié dans Haaretz à la mi-mai, seuls 19 % d’Israéliens sont satisfaits de l’action de Yaïr Lapid comme ministre des Finances contre 58 % d’insatisfaits.
Et toujours selon l’enquête, si des élections avaient lieu aujourd’hui, le Likoud gagnerait 32 sièges et Yesh Atid seulement 18. Pire encore pour Lapid, 52 % des personnes interrogées estiment que Netanyahou est l’homme d’Etat le plus qualifié pour servir en tant que Premier ministre, contre 10 % seulement pour le leader néophyte de Yesh Atid.
Le climat anti-Lapid se propage rapidement. À la radio comme à la télé, les infos débordent d’électeurs déçus de Yesh Atid, qui se plaignent d’avoir été trompés. De leur côté, les éditorialistes ne l’épargnent guère. Les manifestations en masse, qui avaient tant agité la classe moyenne au cours de l’été 2011, menacent de reprendre. Si Lapid semblait être le principal bénéficiaire des précédents troubles sociaux, il pourrait bien maintenant en faire les frais et en devenir la cible privilégiée.
Certes, il a hérité du précédent gouvernement, dirigé par le Likoud, d’un déficit budgétaire massif de 40 milliards de shekels. Le grand trou noir était clairement le fait de Binyamin Netanyahou et de son complaisant ministre des Finances Youval Steinitz. Le mauvais calcul des recettes fiscales et la distribution de cadeaux à l’approche des élections de janvier dernier n’étaient certes pas faits pour arranger la situation.
 

Le sauveur de la classe moyenne

Mais le véritable test pour Lapid était de savoir d’où il allait prendre l’argent pour combler le déficit. En d’autres termes, si, oui ou non, son projet de budget serait conforme à ses beaux discours de « sauveur de la classe moyenne ».
Pendant la campagne électorale, Lapid promet de représenter les intérêts de la classe moyenne avec le même zèle que Shas consacre à la communauté séfarade ultraorthodoxe.
Yesh Atid, déclare-t-il, sera « le Shas de la classe moyenne ».
Son cri retentissant « Où est l’argent ? » laisse entendre que même si les fonds ne manquent pas, l’argent ne profite jamais à la classe moyenne. Il semble servir plutôt les intérêts des lobbys et des groupes de pression, des magnats, des grandes entreprises, des implantations, des syndicats surpuissants et des ultraorthodoxes.
Lapid promet de redistribuer les parts du gâteau national. Il s’engage également à ne pas imputer de nouveaux impôts à la classe moyenne, qui croule déjà sous une charge beaucoup trop lourde.
Dans un de ses premiers messages sur Facebook après les élections, il promet d’aider « Riki Cohen de Hadera », figure typique de la classe moyenne qui, malgré un revenu familial avant impôt d’environ 20 000 shekels par mois, a encore du mal à joindre les deux bouts. Toujours dans la même veine, en présentant son projet de budget d’austérité, il affirme qu’il a été conçu pour donner davantage « aux travailleurs ».
Lapid définit ses choix comme une « nouvelle politique » basée sur un nouveau contrat social, plus égalitaire. Mais son budget à l’ancienne ressemble à tout sauf à cela : impôts généralisés qui touchent essentiellement la classe moyenne, et réductions drastiques des dépenses publiques qui frappent principalement les groupes à faible et moyen revenu. Victime de son propre discours, les promesses pré et postélectorales de Yaïr Lapid reviennent maintenant le hanter.
 

Toujours les mêmes qui trinquent

Pour couvrir le déficit de 40 milliards de shekels au cours des 18 prochains mois, Lapid a augmenté les impôts de 13,4 milliards et réduit les dépenses publiques de 25 milliards. Mais le problème, c’est la façon dont il le fait.
Il a augmenté les impôts de 1,5 % dans toutes les tranches, sans surtaxe sur les plus hauts revenus. Il a imposé un supplément de 1 % sur la TVA, infiniment plus difficile à supporter pour les pauvres que pour les riches. Il a relevé l’impôt sur les sociétés de seulement 1 %, alors que son taux de 25 % est relativement bas.
La réduction des dépenses publiques vient également frapper les moins bien nantis. Par exemple, les régimes d’assurancemaladie, les programmes parascolaires subventionnés et les allocations familiales vont être annulés ou fortement réduits, sans parler de l’impact possible sur le chômage.
Pour couronner le tout, Lapid a repoussé l’épreuve de force qu’il avait promis d’entreprendre face aux groupes d’intérêts puissants. Au lieu d’affronter, comme il s’en était tant vanté, les syndicats souverains des travailleurs portuaires ou de la compagnie d’électricité qui négocient pour leurs employés des salaires exorbitants, il a conclu un accord avec Ofer Eini, le patron de la Histadrout, pour obtenir le calme dans l’industrie.
Il n’a rien fait pour modifier les énormes allègements fiscaux dont bénéficient les grandes entreprises comme le géant pharmaceutique Teva.
Quant à la confrontation avec les harédim, Lapid a repoussé de six mois la décision de surseoir au financement des écoles ultraorthodoxes qui n’enseignent pas les matières scolaires essentielles comme les mathématiques et l’anglais.
En partie à cause de son alliance politique avec le parti de droite HaBayit HaYehoudi, il n’a pas touché aux allocations des implantations de Judée-Samarie. Il n’a pas non plus trouvé d’argent pour la classe moyenne dans le colossal budget de la défense qui, même réduit de 3 milliards de shekels cette année (et non de 4 milliards, comme Lapid l’avait initialement prévu), augmentera cependant dans les cinq ans à venir, pour passer à 59 milliards de shekels d’ici 2018 alors qu’il est de 51 milliards aujourd’hui.
 

Des espoirs déçus

Le chef de file de Yesh Atid s’est hissé tranquillement au pouvoir pour avoir mis le doigt sur la source de mécontentement général de la classe moyenne. En effet, celle-ci ressent comme un affront le fait d’être tenue à l’écart, alors qu’avec la croissance économique et la découverte d’importants gisements de gaz, le pays se porte plutôt bien. La promesse de Lapid de les inviter à la fête avait suscité un immense espoir. Mais l’incapacité du leader de Yesh Atid à produire un nouveau contrat social, alors qu’en tant que ministre des Finances il semble être en mesure de le faire, lui a fait perdre toute crédibilité.
Pour sa défense, Lapid avance qu’il a fait ce que toute personne responsable aurait fait à sa place. Que cette fois-ci, ce n’est pas seulement la classe moyenne qui paye, mais aussi les riches. Que son budget n’est que le début d’une importante réforme globale qui, à terme, réduira le coût de la vie et va améliorer la vie des travailleurs. Et que, dans 18 mois, une fois le déficit réglé, on commencera à sentir la différence.
Lapid mise clairement sur une reprise économique d’ici deux à trois ans, de préférence à la veille des prochaines élections. Comme l’ancien Premier ministre Ariel Sharon après le désengagement de Gaza, il est certain que les électeurs lui feront alors de nouveau confiance.
Le problème est qu’à court terme du moins, personne n’y ajoute foi.
D’après le sondage Dialog-Haaretz, 72 % des personnes interrogées doutent que l’économie sera meilleure dans 18 mois, et 69 % pensent que les riches ne seront pas mis à contribution de façon significative pour alléger le fardeau économique.
La vérité est que Lapid n’a jamais vraiment souhaité occuper le poste de ministre des Finances. Il briguait le ministère des Affaires étrangères, où il aurait pu côtoyer les grands de ce monde et se positionner pour atteindre la plus haute fonction. Mais c’était sans compter sur l’astuce du Premier ministre.
Binyamin Netanyahou a conduit Yaïr Lapid aux Finances, dans l’espoir de le voir encaisser les coups pour les mesures d’austérité qu’il lui faudrait prendre pour rétablir l’équilibre budgétaire. Plutôt que de faire passer un budget qui aurait posé problème l’an dernier, Netanyahou a provoqué des élections en janvier, et refilé à Lapid le sale boulot de prendre des mesures économiques forcément impopulaires.
 

Réactions en chaîne

Les critiques de l’opposition sont cinglantes. Ses adversaires de gauche à la Knesset, sous la houlette de Shelly Yachimovich, estiment qu’il aurait dû prendre davantage aux riches et que son budget trop austère manque de moteurs de croissance. Pour la députée travailliste, Lapid a tout faux. Son budget, en droite ligne avec la philosophie néoconservatrice de mise au ministère des Finances, pourrait conduire à un ralentissement économique paralysant, au lieu du redressement espéré. En revanche, pour relancer l’économie, Yachimovich préconise des dépenses publiques de type keynésien et la résorption progressive du déficit grâce à une activité économique plus solide.
Il s’agit là d’un grand débat idéologique : les sociaux-démocrates comme Yachimovich plaident pour plus de dépenses publiques et des outils plus précis pour la redistribution des richesses. Ils ajoutent que, même si le néoconservatisme de ces dernières années a eu une influence relativement positive pour le pays, il a laissé Israël avec une classe moyenne frustrée et le taux de pauvreté le plus élevé dans le monde développé.
En réaction, Lapid et l’establishment économique affirment que le modèle de lourdes dépenses proposé par Yachimovich entraînerait Israël sur une pente glissante vers un destin économique similaire à celui de la Grèce et de l’Espagne.
Il est clair que l’avenir politique de Lapid dépend des performances économiques d’Israël au cours des prochaines années. Si tout se passe sans accroc durant son mandat, il se positionnera en concurrent sérieux pour le Premier ministre, en dépit de la conjoncture actuelle. Dans le cas contraire, il pourrait vite déchoir de son piédestal et causer l’implosion de son parti. Ceux qui offrent à la classe moyenne une nouvelle alternative en seraient les premiers bénéficiaires. Cela concerne principalement Yachimovich, ou le nouveau dirigeant travailliste, si elle est évincée lors des prochaines primaires de son parti.
Le nom le plus en vogue dans le milieu travailliste est celui de l’ancien chef d’état-major Gabi Ashkenazi, qui, prétendent ses partisans, pourrait supplanter non seulement Yachimovich, mais aussi Lapid comme le nouveau chouchou de la classe moyenne.


Source JerusalemPost