mardi 11 août 2020

Collabo en 39-45, le triomphe de l’ignoble Dr Querrioux


Fleuri tous les ans le 11 novembre, le monument aux médecins « morts pour la France » de la faculté de médecine Paris-Descartes, à Paris, présente une singularité : un nom y a été masqué à la lettre « Q », celui de Fernand Querrioux. Explication, exhumée des poubelles de l’histoire. Cet été, « le Quotidien » retrace l'histoire de médecins qui se sont illustrés pendant la Seconde Guerre mondiale......Détails.......



Le 16 août 1940, le maréchal Pétain a consacré (« J.O. » du 19) le monopole d’exercice médical aux citoyens français « nés de père français » Également signée ce jour-là, la création des « corporations » pour revenir à l’organisation sociale de l’ancien régime, mais seule la profession agricole en sera dotée, au grand dam des corporatistes médicaux qui devront se contenter d’un « Ordre », créé, lui, par une loi du 26 octobre.
Le législateur n’avait pas eu à chercher bien loin l’inspiration puisqu’une proposition législative existait depuis 1933, facile à recycler et recueillant a priori l’assentiment de toute la profession qui en avait, vainement, réclamé l’adoption.
Cette tutelle ordinale n’était pourtant pas celle des Allemands qui lui auraient préféré leur propre organisation, avec un gauleiter des médecins, en charge de toute la police professionnelle, « éthique » et comptable. Le Dr René Leriche, premier praticien à prendre la présidence de l’Ordre, avait expliqué dans ses mémoires n’avoir accepté la charge de la nouvelle institution que pour éviter cette jurisprudence nazie et sur la demande expresse du ministre de la Santé, Serge Huard.

Dermatologue, activiste antisémite

Cet Ordre alimentait évidemment les espoirs les plus débridés de la droite extrême : « La première tâche de l’Ordre des médecins sera de faire appliquer la loi du 19 août [mais] tout notre effort doit maintenant tendre vers le rétablissement de la Corporation qui, pour nous, […] est devenu le mot magique que la résurrection », peut-on ainsi lire sous la signature d’un dénommé Fernand Querrioux. 
Auteur du libelle paru en novembre 1940 sous le titre « La médecine et les Juifs » aux « Nouvelles Éditions Françaises » - faux nez des éditions Robert Denoël qui avaient précédemment édité « Comment reconnaître le Juif » du Dr George Montandon – le médecin pouvait exulter à la perspective de voir triompher, enfin, la thèse qu’il défendait de longue date.
Le nom de Querrioux était familier aux médecins parisiens, comme l’un des leurs puisque le Rosenwald de 1939 le qualifie de dermatologue, thésé en 1922, exerçant à Saint-Ouen (Seine) au 9 rue de la Chapelle (voie aujourd’hui disparue). Fernand Querrioux était surtout un activiste de l’antisémitisme, son pamphlet n’étant que la synthèse d’une obsession ancienne et tenant en quelques phrases clés. 
Retenons en trois parmi un florilège de clichés nauséabonds étirés sur une cinquantaine de pages :
– […] En médecine, la question juive domine toutes les autres. […] Il y a une race juive qui se soutient, qui s’entraide, qui se dresse contre tous ceux qui ne la servent pas. Tous étaient solidaires dans le triomphe et l’opulence du Front Populaire. Ils doivent rester solidaires pour payer tout le mal qu’ils nous ont fait. […] Les juifs doivent être chassés de la médecine comme de toutes les professions libérales.
– Les métèques causent à eux seuls la pléthore médicale et avilissent la médecine avec les procédés mercantiles. Ils nous montrent que la plupart de ces métèques sont des […] des parasites au nez crochu, aux lèvres lippues, aux jambes arquées.
– Le médecin juif obséquieux, servile, promet tout, peut tout faire. Il est charlatan dans l’âme. Il est enjôleur comme ses frères de race qui vendent des tapis dans les villes méditerranéennes et ceux du bric-à-brac du marché aux puces.
Il ne se trouvera qu’une historienne américaine pour s’étonner que l’auteur évoquât exclusivement les médecins juifs quand rien dans la législation n’évoquait encore cette religion (ce ne sera le cas qu’en 1941) : « Les attaques antisémites de Querrioux étaient d’autant plus choquantes que la loi ne visait que les médecins nés de père étranger. » [1] Mais dans la France de l’époque, l’inférence était ordinaire. Et sous sa plume, elle allait de soi !

Une mission de quasi-auxiliaire de police

Sa carrière de bourreau de la communauté médicale juive se distingue en deux séquences selon qu’il se contentait, avant-guerre, d’une comptabilité sordide des stigmatisés et, sous l’Occupation, d’une mission de quasi-auxiliaire de police, préposé à la délation nominative.
Son engagement public remontait en fait aux années 1934-1935, marquées par les grèves étudiantes, où l’on vit les carabins descendre la rue pour stigmatiser la présence de trop de « métèques » sur les bancs de leurs amphis. La revendication avait pris la forme d’une seule exigence : la promulgation d’une loi, déjà votée, relative aux équivalences de diplômes préalables à la première inscription en médecine.
Querrioux faisait partie de la frange la plus radicale, exigeant beaucoup plus dans les colonnes d’une feuille de chou fondée par un antisémite plus notoire, Louis Darquier de Pellepoix, fondateur d’un « Rassemblement antijuif de France » en 1936 et futur directeur du Commissariat aux questions juives en 1942.

Humilié à l’AG de la CSMF

Mais le médecin de Saint-Ouen ne devint « référent » de la question des médecins juifs en France que lorsque l’Action française de Charles Maurras lui fit l’honneur de reprendre ses statistiques. « À Saint-Ouen, sur 24 médecins exerçants, 10 sont juifs dont 7 ne sont pas naturalisés. […] En 1911, la région parisienne possédait 2,5 % de médecins juifs. En 1931, 10 %. En 1938, près de 30 % ! »
Des chiffres se révélant vite erronés mais dont l’intéressé avait fait son fonds de commerce démagogique expliquant à qui voulait l’entendre que la pléthore s’analysait par la seule inflation démographique juive. Il avait même tenté une incursion dans le syndicalisme en se faisant déléguer à l’AG de la CSMF en 1937, où il s’était fait humilier par le Dr Cibrie, secrétaire général et maître de cérémonie : « Un médecin […] annonce entre 40 et 90 naturalisations par jour. Que voulez-vous répondre à une énormité pareille ? Il y a eu en 1937, jusqu’au 4 décembre, 88 naturalisations de docteurs en médecine. C’est 88 de trop. […] Mais les vrais chiffres sont suffisants pour légitimer nos protestations ; ne tombons pas dans le ridicule et surtout la mauvaise foi. »

Délations massives

L’Occupation allait évidemment booster la carrière du Dr Querrioux et son torchon antisémite lui valut très vite une notoriété dépassant le simple cadre professionnel. Il fut préposé à la médecine au sein de l’Exposition « Le Juif et la France » de septembre 1941 dans les locaux du Palais Berlitz près de l’Opéra ; il deviendra dans la foulée responsable du département « Santé publique » au sein de l’IEQJ (Institut d’Études des Questions Juives), une officine subventionnée par l’Occupant, officiellement aux fins de « propagande », officieusement pour contribuer à la traque des juifs.
Fernand Querrioux y fit montre du plus grand zèle dans la mission qui lui était dès lors assignée, poursuivant ses activités éditoriales dans quelques journaux, et réservant l’essentiel de ses piges au « Cri du peuple », quotidien franchement pro nazi, où il désignait, publiquement et nominativement, les juifs se refusant à « déplaquer ».
Le Mémorial de la Shoah, qui dispose d’un joli dossier à son nom, rapporte plusieurs de ses délations massives : 120 noms dans une liste dressée le 20 février 1941, un nombre indéterminé mais documenté avec les adresses dans les XVIe et XVIIe arrondissements parisiens en août de la même année et 700 autres noms encore dans une liste du 1er décembre 1942. Juste retour des choses, le même dossier comporte également des lettres d’insultes, pas toutes anonymes, le qualifiant pour l’une de « traître à la France », de « raté, en médecine comme à la radio », pour le mettre finalement en garde : « Si un jour les rôles s’échangent, il vous faudra vous réfugier… en Palestine. »

Mort sous l’uniforme SS

L’intéressé n’en aura pas le loisir. La rumeur, par nature difficilement vérifiable, lui prête une mort violente – mais sous l’uniforme SS – dans le bombardement d’un train allemand par l’aviation alliée le 24 juin 1945, deux semaines avant le terme de la guerre.
Dans la confusion des lendemains de conflit, son nom se retrouva pourtant gravé sur le monument aux « Morts pour la France » de la faculté de Paris-Descartes. Jusqu’à ce que la communauté médicale israélite de Paris découvre l’imposture au détour d’une enquête approfondie de l’un des siens [3]. Bruno Halioua, auteur de cette investigation témoigne aujourd’hui que « faire retirer le nom de Querrioux de la plaque commémorative a demandé plusieurs années ! »

Appel à témoignages

Des histoires comme celle qu’il évoque aujourd’hui pour « Le Quotidien », Jean-Pol Durand en a des collections à raconter. Voilà dix ans que cet ancien rédacteur en chef du « Quotidien du Médecin » mène une recherche méthodique sur les médecins acteurs, parfois martyrs, de la Seconde Guerre mondiale. Son projet est de leur rendre hommage, en dressant un mémorial à ces confrères connus et inconnus.

Vous avez connaissance d'un médecin qui mériterait de figurer dans ce mémorial ? Vous pouvez contacter Jean-Pol Durand à l'adresse redaction@quotimed.com. 

[1] Julie Fette, Exclusions : « Practicing Prejudice in French Law and Medicine, 1920-1945 », p. 178, Cornell University Press (2012), non traduit .
[2] « Le Médecin de France », p. 151/1938, compte-rendu de l’Assemblée générale de la CSMF de décembre 1937.
[3] Bruno Halioua, « Blouses blanches, étoiles jaunes », Éditions Liana Levi, Paris, 2000.

Jean-Pol Durand

Source Le Quotidien du médecin
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