jeudi 13 août 2020

Ce que les médecins français savaient du système nazi avant 1940


Les Français ont découvert incidemment, à la lecture d’un ouvrage paru en 1979 [1], que les deux tiers des médecins allemands appartenaient au NSDAP, le parti nazi en 1939 tandis que… le tiers paradait dans les rangs de la SS ! L'Allemagne amenait, avec l’Occupation, le KVD, son système de remboursement des soins à ceux dont il garantissait la couverture sociale. Mais de cela, les praticiens français ignoraient tout avant la déclaration de guerre. Cet été, « le Quotidien » retrace l'histoire de médecins qui se sont illustrés pendant la Seconde Guerre mondiale.......Détails.......



Au même titre que la police, la médecine allemande constituait l’un des piliers idéologiques du régime nazi. Mais les chroniqueurs de l’époque l’ont ignoré jusqu’aux travaux de la jeune génération d’historiens allemands sur la place de l’École de formation doctrinale du nazisme médical, nichée dans le petit village d’Alt-Rehse [2].
Inaugurée en 1935 par Rudolf Hess, représentant d’Hitler qui avait également dépêché son factotum personnel Martin Bormann, cette Führerschüle était obligatoirement fréquentée par les impétrants-médecins à raison de deux sessions de quatre semaines dans le cadre de leur cursus initial et une semaine de « formation continue » pour les médecins installés. 
On y apprenait le racialisme allemand par le menu ! 
Les archives de cet établissement ont disparu, emportées par les troupes russes en 1945 ; n’en subsiste plus qu’un « Livre d’Or » signé par les visiteurs de marque, dont… quelques médecins français à l’occasion des Jeux Olympiques de 1936. Il ne fut découvert qu’au lendemain de la chute du Mur.

De la répulsion à la fascination ambiguë

L’évolution des mentalités médicales, entre les deux guerres et des deux côtés du Rhin, était le fait du même profil « patriotique » de praticiens, mais le plus spectaculaire fut assurément celui des praticiens anciens combattants français passés, en vingt ans mais sans véritable transition, de la répulsion cocardière à la fascination ambiguë.
Retour sur image à la date du 23 mars 1921. La scène se passe à Carignan (Ardennes) où la population se pressait pour accueillir la dépouille de son ancien maire, le Dr Jules Gairal décédé quatre ans plus tôt sous les mauvais traitements au camp allemand de Celle-Schloss, où il avait été exilé de force en 1916 pour défaut de… souplesse dans ses relations avec l’occupant. 
Ce héros local était le président national de l’Union syndicale (ancêtre de la Confédération) et de l’AGMF (Mutuelle qui avait vu le jour en 1848), l’homme des synthèses impossibles, le notable respecté par toute la profession, pour une fois unanime. 
Et le ton était, ce jour-là, quasi-« revanchard », à l’unisson d’une opinion publique communiant à un seul mot d’ordre : « L’Allemagne peut, et doit payer ».
L’opinion médicale n’était pas moins germanophobe, avec des gazettes appelant à la traduction devant un tribunal pénal des médecins allemands coupables d’actes de torture sur des prisonniers français ou de complicité de proxénétisme dans les régions occupées. 

L’activisme des associations de médecins anciens combattants

Les mêmes gazettes se montraient, pourtant, nettement plus indulgentes à la fin des années trente ! 
Plusieurs phénomènes avaient contribué à ce renversement de paradigme : d’une part, quoique sans doute à la marge car demeuré confidentielle, la création en 1935 d’un Comité France-Allemagne par Otto Abetz, futur ambassadeur d’Allemagne à Paris et qui le transformera, avec l’adhésion de quelques personnalités médicales, en groupe Kollaboration en 1941 ; ensuite l’activisme des associations de médecins anciens combattants, soucieux de préserver leurs cadets de toute concurrence « métèque », en l’occurrence et implicitement « surtout juive » ; plus tard, sous l’Occupation, ces organisations se transformeront en propagandistes de l’enrôlement des jeunes diplômés français dans le processus de « relève » des médecins prisonniers ; enfin du succès d’audience des thèses racialistes et/ou eugénistes, à l’œuvre en Allemagne mais dont la France comptait également quelques théoriciens notoires : René Martial, collaborateur du Concours, en passant par d’autres figures plus connues comme George Montandon ou Alexis Carrel.
Incroyable paradoxe quand on veut bien se souvenir qu’en réalité l’opinion – et pas seulement médicale – ne savait pas grand-chose de ce qui se passait réellement sur l’autre rive du Rhin. Indéniablement, la faute à la presse de l’époque !
Concernant les titres grand public, la réponse est univoque : oui, les journaux français étaient en mesure d’en savoir beaucoup sur les exactions du nazisme et singulièrement sur le programme T4 d’euthanasie des handicapés physiques et mentaux. 
Et elle n’en a rien dit au nom de la germanophilie de ses correspondants à Berlin [3], de peur de l’exclusion immédiatement prononcée par Goebbels en cas d’article jugé péjoratif.

Rien sur le sort des médecins juifs

La presse médicale fut atteinte de la même cécité pendant la même période, peut-être, plus simplement parce qu’elle n’y avait pas de correspondant. 
Dans « Le Concours médical » qui était LA référence éditoriale de l’époque, on trouve une petite dizaine d’échos sur la situation allemande : une analyse comparée de l’exercice en France et en Allemagne (1934), une brève sur « les réformes en cours » outre-Rhin (1935), la célébration du 50e anniversaire du système bismarckien d’assurance maladie (1936), un article renvoyant dos à dos Allemagne et États-Unis sur « la question des races » à l’occasion des Jeux olympiques, une enquête un peu plus exhaustive sur « la profession médicale en Allemagne » la même année, un focus sur « le budget du médecin allemand » (1937)… 
On sent à la lecture, rétrospective, de ces articles que la question divise à l’intérieur même de la rédaction et il faut attendre le 29 octobre 1939 (pratiquement deux mois après la déclaration de guerre), pour lire un papier réfutant enfin clairement les théories racialistes allemandes.
Mais rien de bien objectif et rien singulièrement sur le processus de nazification majoritaire du corps médical allemand. 
Sur le sort des médecins juifs, aucune dépêche après la première alerte de 1934 d’un dénommé G. Welter sur « La loi hitlérienne contre le médecin juif » (1937). Mais rien encore au fil de l’escalade législative qui allait préfigurer à quelques années de distance, le sort des médecins juifs français :

– rien sur la journée de boycott des praticiens juifs le 1er avril 1933, six semaines après l’arrivée d’Hitler à la Chancellerie ;
– rien donc sur l’OPA (réussie) de l’Association des médecins nazis sur la Chambre des médecins (1933-1934) et qui fit de 60 % des médecins allemands des adhérents du NSDAP (Parti national-socialiste), un tiers rejoignant même les rangs de la SS ! [1] ;
– rien sur l’exclusion de la fonction publique des médecins juifs (loi du 7 avril 1933) ; du conventionnement avec les Caisses (loi du 22 avril 1933) ; la loi du 13 décembre 1935) renforçant les dispositifs précédents, ou celle du 25 juillet 1938 interdisant aux médecins-juifs de soigner des aryens ; rien enfin sur la « nuit de Cristal » (8 au 9 novembre 1938) conduisant déjà 20 000 juifs dans les 3 camps de concentration ouverts (Dachau, Buchenwald, Sachsenhausen) ;
– rien sur l’émigration massive des praticiens juifs à partir de 1933-1934 (notamment venus de Sarre) ;
– aucun écho aux appels des quelques praticiens français pour inciter à l’accueil des migrants raciaux (Comité de défense des juifs persécutés en Allemagne du Dr Jules Lévi ; Œuvre de secours aux enfants du Pr Justin Godart, ancien ministre de la Santé) ;
– et à peine une brève sur la motion de soutien du conseil de la CSMF d’avril 1933 estimant « devoir élever une protestation indignée contre les véritables persécutions dont sont actuellement victimes certains médecins allemands et fait observer que dans tout pays civilisé le droit pour le médecin de soigner – et pour le malade de s’adresser au médecin qu’il entend librement choisir, – sont deux libertés essentielles, à juste titre revendiquées par tous les médecins du monde ».

La seule information partiellement accessible aux médecins français résidait donc dans les échos rapportés par leurs confrères juifs-réfugiés, exclus de l’installation en France dans un milieu rigoureusement imperméable à leur détresse, pas forcément antisémite mais fortement xénophobe.

Germanophilie médicale

Les migrants se retrouvaient, en conséquence, condamnés, dans le meilleur des cas, à une pratique clandestine auprès de médecins français corrompus [4]. 
Ce climat xénophobe avait été entretenu de manière récurrente dans la profession organisée depuis le lendemain de l’armistice de 1918, sur une prétendue « pléthore » dont une seule voix – celle du Dr Armand Vincent, qui s’égarera plus tard dans le Conseil supérieur de l’Ordre – prétendait qu’elle ne correspondait à aucune réalité : « Il n’y a pas pléthore de médecins, juste une mauvaise répartition. » 
Et les médecins juifs étaient devenus les boucs émissaires (trop) faciles de ce fantasme démographique !
Quoi qu’il en soit, la germanophilie médicale ne connut pas non plus son heure de gloire à « l’heure allemande » ! 
Très vite, l’occupant imposa son régime d’assurance maladie – le KVD (Kassenärztliche Vereinigung Deutschlands) en vigueur chez eux depuis Bismarck et immédiatement appliqués à ceux des patients français placés « sous régime social allemand » : salariés des troupes d’occupation (interprètes) et/ou des entreprises allemandes en France.

Le KVD : un système honni par les médecins

Un système que les praticiens français abhorraient depuis… 1929 et la large diffusion d’un ouvrage [5] le dépeignant sous son pire aspect. Enveloppe globale + tiers payant + suppression du libre choix… il y avait là de quoi rafraîchir les ardeurs prosélytes des socialistes les plus convaincus !
L’expérience concrète du KVD allait d’ailleurs les dégoûter définitivement : des patients dispensés de tout honoraire ; un tarif inconnu jusqu’au versement, qui plus est variable selon la consommation de l’enveloppe affectée aux médecins français ; une paperasserie chronophage, Le Conseil de l’Ordre en avait été désigné gestionnaire « à l’insu de son plein gré » ; ce qui contribua inévitablement à dégrader rapidement son image dans la profession !

Appel à témoignages

Des histoires comme celle qu’il évoque aujourd’hui pour « Le Quotidien », Jean-Pol Durand en a des collections à raconter. Voilà dix ans que cet ancien rédacteur en chef du « Quotidien du Médecin » mène une recherche méthodique sur les médecins acteurs, parfois martyrs, de la Seconde Guerre mondiale. Son projet est de leur rendre hommage, en dressant un mémorial à ces confrères connus et inconnus.

[1] Jacques Attali, « L’Ordre cannibale », Grasset, 1979
[2] Denis Durand de Bousingen, « L’ancienne École du Führer interroge désormais l’éthique », « Le Quotidien du Médecin », 11 juin 2018
[3] Daniel Schneidermann, Berlin 1933, Le Seuil, 2018
[4] On pourra, à ce propos, utilement relire Arc de Triomphe, l’autre chef-d’œuvre d’Erich Maria Remarque, publié pour la première fois en France en 1946, réédité en poche dans les années 90
[5] Erwin Liek, Les méfaits des assurances sociales en Allemagne, préface du Pr Weill, traduction française des Drs Raoul & Edgard Lantzenberg, Payot éditeur, 1929 (encore trouvable chez les bouquinistes ou sur sites spécialisés dans l’ancien)

Vous avez connaissance d'un médecin qui mériterait de figurer dans ce mémorial ? Vous pouvez contacter Jean-Pol Durand à l'adresse redaction@quotimed.com. 

Par Jean-Pol Durand

Source Le quotidien du médecin
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