jeudi 5 décembre 2019

Marc-Alain Ouaknin: “Je mets Dieu à la porte de la Bible“


Intellectuel à la curiosité insatiable, jongleur de mots aux idées iconoclastes, le philosophe et passeur de savoir Marc-Alain Ouaknin s'attaque au monument des monuments, la Bible. Avec lui, toute lecture est une aventure.......Détails........


Marc-Alain Ouaknin a 62 ans. Depuis le Livre brûlé (1986), il n'a cessé d'interpréter avec originalité et liberté les grands textes de la tradition juive, à commencer par le Talmud. 
En 2001, il traduit le livre de Jonas, en collaboration avec Anne Dufourmantelle. En 2007, il lance le « projet Targoum » pour une nouvelle édition de la Bible hébraïque.

À la fois livre d'art et nouvelle traduction, votre Genèse de la Genèse revisite le premier livre de la Bible. Mais pourquoi vous en tenir aux 11 premiers chapitres ?
Ces 11 premiers chapitres forment un ensemble cohérent. C'est la partie babylonienne de la Genèse, très différente des deux autres, qui racontent l'histoire des patriarches, puis le cycle de Joseph. Elle s'inscrit dans un contexte précis. 
En 536 avant notre ère, l'empereur perse Cyrus autorise les Judéens à quitter leur exil pour aller reconstruire le Temple de Jérusalem. Or, la plupart d'entre eux, non assimilés mais parfaitement intégrés, se sentent tellement bien en Babylonie qu'ils choisissent d'y rester. 
Presque un siècle après, en 450, le scribe Esdras veut donner au peuple le désir de retourner sur la terre de ses ancêtres. Esdras, que l'on nomme aussi Ezra, construit la nation en écrivant un ensemble de livres qui donne aux Judéens envie de retourner en terre de Judée. 
C'est la Torah, le Pentateuque, autrement dit les cinq premiers ouvrages qui composent la Bible. Dans cet ensemble, les 11 premiers chapitres du premier livre sont comme une signature.

Vous faites d'un livre anonyme, la Genèse, celui d'un homme. Auriez-vous trouvé l'auteur de la Bible ?
La Bible ne commence pas par les mots d'un dieu qui dirait « Bonjour, je m'appelle Dieu, ce que vous allez lire est une révélation, et je vais maintenant vous expliquer comment j'ai créé le ciel et la terre... » La Genèse ne dit pas « Au commencement, moi, Dieu, j'ai créé... », mais « Au commencement, Dieu créa ». 
On nous indique d'emblée que Dieu n'a pas écrit ce texte. Il y a donc bien un narrateur. Qui est cet homme, qui parsème le texte qu'il est en train de produire de clins d'oeil à ce qu'il pense au moment même ? À la lecture de deux autres livres bibliques, Esdras et Néhémie, qui racontent le retour des Judéens à Jérusalem, je pense qu'il s'agit d'Esdras. 
Esdras n'est pas l'inventeur de la Genèse, mais il en est le rédacteur, à partir de traditions orales et de manuscrits existants. Il reprend des histoires, comme celle de Gilgamesh, pour en livrer sa propre version.
La Bible traduit en hébreu des mythes mésopotamiens, écrits en sumérien ou en akkadien. 
Génie de la littérature, de la philosophie et de la poésie, Esdras semble s'appuyer sur le programme des manuels scolaires des écoles babyloniennes - c'est mon hypothèse -, où l'on enseignait l'arithmétique et la géométrie, la littérature, l'histoire et la géographie. 
Il utilise l'horizon mental de ses contemporains pour leur dire quelque chose de nouveau. Surtout, il écrit dans un nouvel alphabet. L'invention de cette écriture est, selon le Talmud, un événement aussi important que la montée de Moïse au Sinaï, où il reçoit les tables de la Loi.

Vous évoquez la création d'un nouvel alphabet. Cela signifie que les Hébreux n'utilisaient pas l'alphabet hébraïque ?
Nous, les Français d'aujourd'hui, par exemple, nous écrivons avec des lettres issues de hiéroglyphes simplifiés, de ce que l'on appelle le protosinaïtique, devenu ensuite le cananéen. 
Transmis par les Cananéens du Nord, autrement dit les Phéniciens, le cananéen s'est transformé en grec, en étrusque et en latin. L'écriture paléo-hébraïque, en usage avant l'exil, est de la même famille. 
Elle vient aussi de l'égyptien. Le roi Salomon ne lisait pas ce que nous appelons l'hébreu. Certes, il utilisait la langue hébraïque, mais écrite dans un alphabet différent de celui qui est en usage aujourd'hui. Les pièces de monnaie en usage sous Salomon ou David sont en paléo-hébraïque. 
Avec quelques variantes, la même écriture se trouve au musée de Beyrouth sur le sarcophage d'Ahiram, le roi de Byblos, qui a régné vers l'an 1000 avant notre ère. Ou au Louvre, sur la stèle de Mesha, le roi de Moab (IXe siècle av. J.-C.).

L'alphabet hébreu actuel n'est donc pas biblique ?
C'est à tort que l'on appelle en français « alphabet hébraïque » ce qu'en hébreu on appelle « ktav ashouri », « alphabet assyrien ». Cela indique clairement son origine, du côté de Ninive, de Mossoul. Mais ashouri, en hébreu, veut aussi dire « ce qui est beau, qui rend heureux ». 
L'ashouri est donc une « belle lettre » ! Et cette filiation est suggérée dès le premier verset de la Genèse, qui est pour moi comme la signature d'Esdras. L'une des anagrammes de beréshit, le tout premier mot de la Bible, que l'on traduit en général par « au commencement », est be ashourit, « écriture assyrienne ». 
En lieu et place de l'habituel « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre... », on pourrait donc traduire : « C'est en alphabet assyrien que Dieu créa l'alphabet du ciel et l'alphabet de la terre. » 
Les premiers chapitres de la Genèse font comprendre qu'être en Judée, dans la terre de la promesse, c'est être venu d'ailleurs, autrement dit de Babylone.

Vous signez une forme de reconnaissance de dette culturelle ?
Le Juif est juif parce qu'il prend conscience de sa dette vis-à-vis de ceux qui l'ont hébergé à travers l'Histoire, depuis les Égyptiens et les Babyloniens. J'ajouterai que si, historiquement, le Juif est juif (yehoudi) parce qu'il vient de la tribu de Juda, sur le plan éthique, le mot se rapproche d'un autre (lehodot), qui signifie notamment « remercier ». 
Dire « Je suis juif », c'est donc dire « merci ». Un merci d'autant plus grand qu'il n'y a rien de juif dans les 11 premiers chapitres de la Bible. Adam et Ève ne sont pas juifs. Ni Caïn et Abel. Le commencement de la Bible est universel.

À vous entendre, la Babylonie prend une importance essentielle, fondatrice. L'exil, pourtant, est censé être un mauvais souvenir...
Vous faites allusion au psaume : « Sur les rives du fleuve de Babylone nous étions assis et nous pleurions. » 
Mais les Judéens ne devaient pas tous être si malheureux que ça, puisque les quatre cinquièmes d'entre eux sont restés en exil. En fait, ils n'ont même jamais quitté la Babylonie ! 
La preuve de la persistance et de l'importance de ces communautés, pendant au moins 1 000 ans, n'est autre que le Talmud lui-même. En Judée, les maîtres parlaient hébreu, et c'est en hébreu qu'ils ont écrit la Mishna, l'autre grand corpus du judaïsme. 
Mais on ne trouve pas beaucoup de mots d'hébreu dans le Talmud, en dehors des citations bibliques. Ce texte, qui fonde le judaïsme actuel, ne s'appelle pas pour rien Talmud de Babylone.

La suite sur leur site....

Source Le Vif
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