lundi 23 décembre 2019

Israël et la tentation chinoise


Si l'Etat hébreu reste un des seuls régimes démocratiques de la région, il pâtit lui aussi de la crise de la démocratie libérale telle qu'elle s'observe dans bien des pays occidentaux. En outre, pour pallier le manque de fiabilité de son allié historique, les Etats-Unis, Israël est de plus en plus tenté de se rapprocher de la Chine pour s'en faire un nouveau protecteur.......Décryptage........


S'il est un pays où l'on sent comme un sentiment de fatigue à l'égard de la démocratie, c'est bien Israël. Alors que la nation s'apprête à connaître en mars 2020 ses troisièmes élections en moins d'un an, la lassitude commence à prendre le pas sur la passion. 
Qu'attendre d'une troisième échéance électorale, compte tenu de la polarisation profonde de la société ? 
Benyamin Netanyahu se voyait depuis longtemps déjà comme le Winston Churchill de l'Etat juif, le rempart ultime face au risque d'un nouvel Holocauste, qui aurait pour cause, cette fois, l'arme nucléaire aux mains de l'Iran. 
Il se verrait bien désormais comme le Boris Johnson israélien qui - mélange de détermination de sa part et de lassitude de la part des électeurs - se forgerait, comme son modèle, une majorité indiscutable à la Knesset (le Parlement d'Israël).

Un « Poutine israélien »

Les électeurs d'origine russe veulent un « Poutine israélien », un homme fort au tempérament despotique. 
« Bibi » est sans doute le plus apte à remplir ce rôle. Mais la majorité des électeurs israéliens considèrent au fond d'eux-mêmes que l'après-Netanyahu a déjà commencé , que l'homme ne s'accroche plus au pouvoir que pour éviter la prison. 
Avec le risque d'une escalade en matière de sécurité pour détourner l'attention de l'électorat vers des enjeux extérieurs, comme la tension grandissante avec l'Iran en Syrie. 
Le Moyen-Orient, en cette fin d'année 2019, n'est certes pas l'Europe de 1869, à la veille du conflit entre la France et la Prusse. 
Il n'existe ni à Jérusalem ni à Téhéran, comme c'était le cas alors, à Paris ou à Berlin, de vrais « partis de la guerre » souhaitant détourner l'attention de leurs citoyens des difficultés internes : qu'il s'agisse de la crise systémique du système politique en Israël, ou de la contestation tant interne qu'externe (du Liban à l'Irak) du régime des Mollahs et de l'expansionnisme iranien, sinon chiite.
Mais Israël n'est pas seulement une illustration spectaculaire de la crise de la démocratie libérale.
S'il est un pays qui pense déjà la géopolitique en termes de G2, c'est l'Etat hébreu. Il est confronté à un défi stratégique majeur que l'on pourrait formuler ainsi : que faire quand le pays dont vous dépendez le plus, les Etats-Unis, vous déçoit et vous inquiète tout à la fois, en dépit des cadeaux (empoisonnés) qu'il vous prodigue de manière quasi-systématique  ? 
Ne pas affaiblir le présent est une chose, ne pas insulter l'avenir en est une autre. Avec opportunisme disent les uns, avec lucidité disent les autres.

Boîte de Pandore

Israël s'ouvre toujours davantage à la Chine. L'avenir du monde et donc celui d'Israël ne se joueront-ils pas demain en Asie ? 
Comment convaincre Washington qu'accepter de voir les Chinois construire un port au nord du pays, à Haïfa, et flirter avec l'idée d'adopter la 5G chinoise n'est pas dirigé contre les Etats-Unis ? 
Et les Israéliens de mettre en avant leur taille : « Nous sommes un tout petit pays, cela ne devrait pas vous troubler. » 
Les Américains ne le perçoivent pas ainsi. Si un pays, considéré comme un de leurs alliés les plus fidèles dans le monde, prend ainsi de telles libertés, n'ouvre-il pas la boîte de Pandore à d'autres alliés de l'Amérique, moins proches peut-être, mais beaucoup plus conséquents en termes de taille ? 
Et si Israël était en quelque sorte l'alibi idéal pour une Europe qui pourrait ainsi se tourner vers Washington et lui dire : « Comment pouvez-vous nous refuser de faire ce que font vos alliés israéliens ? »
Israël est bien conscient de ce dilemme. Mais il a très largement perdu confiance en l'Amérique. 
Non seulement la diplomatie de Washington est devenue totalement imprévisible, mais désormais le poison de l'antisémitisme se manifeste ouvertement aux Etats-Unis. En 2019, il y a eu plus de Juifs américains victimes d'attentats mortels que de juifs européens. 
Hier, les communautés juives américaines se mobilisaient financièrement pour aider Israël. Aujourd'hui, elles consacrent une part toujours plus importante de leurs ressources pour assurer leur propre sécurité.

Compétition d'indifférence

De fait, la distance prise avec la démocratie à l'intérieur du pays et la volonté de rapprochement avec la Chine vont de pair. Israël peut toujours se présenter comme la seule démocratie de la région. 
Comparée à l'Iran des Mollahs, à l'Egypte de Sissi et, de plus en plus, à la Turquie d'Erdogan, cela demeure vrai : pour peu que l'on puisse mettre entre parenthèses la question des Palestiniens. 
Il existe en réalité sur ce point comme une compétition d'indifférence entre Israël et les régimes arabes : difficile de savoir qui se soucie le moins d'eux. Mais, subtilement, une évolution se produit dans les esprits israéliens, qui n'est pas seulement une variation sur le thème : « La démocratie, c'est bien, la sécurité, c'est mieux. »
Si l'Amérique et Israël se rapprochent simultanément de ce que sont les démocraties « illibérales », peut-on encore parler d'une géographie des valeurs les unissant ?
Avec la Chine, c'est plus simple et plus compliqué à la fois. Les Chinois ne posent pas de questions. 
Ils sont d'un cynisme absolu. A l'inverse, on ne peut faire vibrer avec eux une quelconque carte émotionnelle. Ils ne sont pas animés par des restes de culpabilité, comme peuvent l'être les Européens, au premier rang desquels les Allemands. La lecture de la Bible ne leur donne pas un sens de mission, comme ce fut le cas de nombreux présidents américains.
Comment demeurer l'avant-garde et la première ligne de défense de l'Occident au Moyen-Orient, quand l'Occident se replie toujours davantage sur lui-même ? Les Israéliens seront-ils tentés un jour de se présenter comme le fer de lance de la modernité asiatique au Moyen-Orient, prêt à échanger la protection américaine pour la protection chinoise ? 
La question ne se pose pas encore, mais on sent qu'elle fait plus qu'effleurer le cerveau d'un certain nombre de stratèges israéliens.
Le pays de la Bible peut-il se couper sans risques de ses valeurs ? Heureusement, les citoyens de Hong Kong, par leur résistance, rappellent les Israéliens aux fondamentaux. Mais pour combien de temps ?

Source Les Echos
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