En Irak comme au Liban, le sentiment anti-iranien a resurgi à la faveur des manifestations actuelles.
Et, il est exprimé au sein même de la communauté chiite. « C’est aujourd’hui la supposée unité du “camp chiite” qui éclate sous la pression de la protestation populaire en Irak et au Liban, tant l’Iran et ses relais y sont dénoncés avec virulence », explique l’historien Jean-Pierre Filiu sur son blog.
Dans l’Irak en révolte, les contestataires ont attaqué les consulats iraniens à Kerbala et à Najaf, incendié les QG de factions pro-iraniennes et brûlé des portraits du guide suprême Ali Khamenei et du général Qassem Soleimani, le puissant patron des pasdaran.
Ce sentiment iranien était latent. C’est la façon dont il s’exprime qui est inédite. Les manifestants accusent le régime des mollahs d’ingérence dans leurs affaires intérieures. Ils n’ont pas vraiment tort.
Les députés pro-Iran forment le deuxième groupe parlementaire du pays. Le général Soleimani multiplie les visites chez son voisin depuis des années. Il s’est même réuni le 9 novembre dernier avec les partis au pouvoir afin de renouveler leur soutien au Premier ministre démissionnaire, Adel Abdel Mahdi. Le guide suprême iranien voit un « complot » derrière la révolte populaire. Ce qui n’est pas du goût de la rue qui scande « Iran, dehors ».
Elle voit la main de Soleimani et des milices chiites irakiennes de la « Mobilisation populaire » derrière la répression du soulèvement populaire.
Les manifestants reprochent aussi à leur voisin iranien d’inonder leur marché de produits (6 milliards par an d’exportations) et de tuer l’industrie irakienne.
A Najaf, l’ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité chiite de l’Irak, a pris fait et cause pour le mouvement populaire.
Il est opposé à une ingérence politique iranienne. Moqtada al-Sadr, autre leader religieux du pays, entretient des relations difficiles avec les dirigeants iraniens. Il affiche parfois des positions anti-iraniennes.
Sans oublier que les écoles religieuses des deux pays sont aussi en concurrence.
Deux registres.
Au Liban, le sentiment anti-iranien est très fort dans les communautés chrétiennes et sunnites – et aujourd’hui chez une partie non négligeable des chiites – qui accusent le Hezbollah, mouvement politico-confessionnel chiite, de promouvoir l’agenda régional de Téhéran.
Allié de Téhéran, le Hezbollah était à l’origine une armée de résistance contre Israël. Elle se bat dorénavant en Syrie au côté du régime de Damas et apporte du conseil aux combattants houthis au Yémen.
Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a récemment durci le ton à l’égard des manifestants libanais afin de préserver le système politique actuel.
Dernièrement, la tension est montée d’un cran après les attaques des militants des deux partis chiites (Amal et le Hezbollah) contre les protestataires à Beyrouth, à Tyr et à Baalbeck.
Les révolutionnaires libanais sont unis dans le combat avec leurs frères irakiens. Ils se sont rassemblés samedi dernier devant l’ambassade d’Irak à Beyrouth en solidarité des 420 Irakiens tués depuis le début du soulèvement. Dans la rue, ils scandent des slogans comme « Le Liban plutôt que la Syrie ».
« La République islamique d’Iran ne peut dès lors que s’inquiéter de voir sa puissance contestée dans les rues de Bagdad et de Beyrouth sur deux registres stratégiques : celui de la “résistance” à l’oppression et celui de l’hégémonie de la représentation chiite », conclut Jean-Pierre Filiu.
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