dimanche 27 janvier 2019

« The Little Drummer Girl » : l’actrice, l’espionne et le théâtre du réel


Les espionnes portées à l’écran n’ont plus grand-chose à voir avec les ­James Bond girls et leurs avatars plus ou moins incon­sistants depuis que des séries comme Le Bureau des légendes, d’Eric Rochant, ont présenté une vision réaliste de leur activité. Pour sa part, le maître britannique du roman d’espionnage, John le Carré, n’a quasiment jamais écrit de rôle d’espionne, si ce n’est dans The Little Drummer Girl (La Petite Fille au tambour, 1983).......Détails et Vidéo.......


Ce roman, adapté par Michael ­Lesslie et Claire Wilson, vient d’être mis en scène par le cinéaste sud-coréen Park Chan-wook (Old Boy, Mademoiselle) pour la BBC. 
Ce qui lui permet, avec cette première œuvre télévisuelle dense et complexe, de démanteler avec maestria les codes du thriller d’espionnage. Et de s’engouffrer dans le labyrinthe de la fiction au sein de la fiction (à l’image du théâtre dans le théâtre) : tout en faux-semblants et pièges dramatiques, The Little Drummer Girl met constamment en miroir, tant dans son scénario que dans sa mise en scène, le jeu auquel se livre l’acteur et le jeu auquel l’espion est contraint.
Lorsque l’on rencontre pour la première fois Charlie (22 ans, âge du personnage comme de l’actrice, Florence Pugh), la jeune femme interprète Jeanne d’Arc dans une pièce de théâtre expérimentale à Londres.
Sa troupe se voit alors invitée par un mécène anonyme à partir quelques jours en Grèce. Voilà qui va permettre à un beau et mystérieux jeune homme (Alexander Skarsgard), d’intriguer puis d’attirer Charlie. La comédienne acceptera de se séparer de ses camarades pour le suivre vers un très mystérieux rendez-vous. 
C’est là que le ­Mossad (les services secrets ­israéliens) va lui proposer, à elle qui se dit propalestienne, le rôle de sa vie.
On est alors à la fin des années 1970. Après l’assassinat, en septembre 1972, de membres de la ­délégation israélienne aux Jeux olympiques de Munich par l’organisation palestinienne Septembre noir, le Mossad traque toute cellule palestinienne à même de fomenter des attentats contre des intérêts israéliens en Europe. 
Ce travail de renseignement est dirigé par Martin Kurtz (Michael Shannon). Il recherche Khalil, suspecté d’avoir organisé une série d’attentats contre des juifs. Le plan diaboliquement complexe et ingénieux de Kurtz pour capturer l’insaisissable Palestinien s’appuie sur les talents d’actrice et l’instinct d’improvisation de Charlie.
Dans ce contexte politique particulier, qui ne prend jamais le dessus, Park Chan-wook envoûte le spectateur en focalisant sa scénographie sur le double jeu dans lequel chacun se trouve pris. Kurtz devient démiurge, à la fois producteur, scénariste et réalisateur de la fiction qu’il va créer pour atteindre le metteur en scène palestinien des attentats. 
Le mystérieux jeune homme qui a attiré Charlie dans les filets de l’espionnage va se brûler les ailes à jouer son amant lors de répétitions. Et elle-même se perdra plus d’une fois dans ce « théâtre du réel » inventé par le Mossad où réalité et fiction se font écho à tue-tête. 
A l’interprétation masculine, par moments passablement caricaturale, s’oppose l’intense clarté de jeu de celle sur qui la série repose, Florence Pugh.


Source Le Monde
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