lundi 1 février 2016

Ariel Goldmann, de la Fondation du judaïsme français : "Nous voulons lancer un cri d'alarme"



Ariel Goldmann, président de la Fondation du judaïsme français, analyse les résultats du sondage Ipsos sur le "vivre ensemble"....
 
Avec un tel sondage, ne redoutez-vous pas de jeter de l'huile sur un feu déjà ardent?

Je dois avouer que nous avons attendu et même hésité avant de le rendre public. Nous voulions éviter que ses conclusions ne soient détournées à des fins politiques pendant la campagne des élections régionales.
Mais les réactions à l'agression d'un enseignant juif à Marseille ont été un détonateur. Lorsqu'un responsable juif enjoint les juifs à ne plus porter la kippa dans la rue, c'est que la situation est très grave. Au lieu de le blâmer, il faut comprendre ce qui se passe et cette étude le montre…


Quels enseignements en tirez-vous?

La confirmation de ce que nous percevions. Les Français traversent une crise de confiance qui a des répercussions sur leur rapport à l'autre. Ils se sentent parfois en minorité dans leur quartier, ont l'impression que leur pays recule et se replient sur eux-mêmes. Cette défiance se transforme en une méfiance à l'égard de l'autre avec la conviction de vivre un choc des religions.


Vous risquez de creuser un peu plus le fossé entre les communautés…

Cette étude n'est ni accusatrice, ni généraliste. Elle est une mesure des maux qui nous rongent en tant que Français. Elle est destinée à tous ceux qui veulent combattre les préjugés. Nous voulons lancer un cri d'alarme et appeler à un sursaut. L'enquête est sérieuse.
Elle a été réalisée sous le contrôle scientifique de Dominique Schnapper, de l'École des hautes études en sciences sociales, et de Chantal Bordes-­Benayoun, du CNRS. L'institut Ipsos a pris toutes les précautions pour éviter les biais. Nous nous attardons sur l'antisémitisme car nous sommes la Fondation du judaïsme français, mais cette enquête va bien au-delà.


Elle montre surtout une défiance entre les juifs et les musulmans…

Lorsqu'on interroge les Français juifs sur leurs principaux sujets d'inquiétude, ils évoquent le terrorisme et l'intégrisme quand le reste de la population parle chômage, insécurité économique et intégrisme.
Et les juifs ont le sentiment que l'antisémitisme a particulièrement augmenté chez les musulmans au cours des cinq dernières années. Pourtant ils savent aussi qu'une large majorité des musulmans souhaite bien vivre en France avec toutes les composantes de la société.


Vous mettez en cause les pouvoirs publics?

Non, mais nous avons échoué à faire reculer les préjugés au cours des trente années écoulées, notamment au sein de nos écoles, là où la tolérance s'apprend et est mise en pratique.
Selon notre enquête, 56 % des Français, et parmi eux 66 % des musulmans, considèrent comme acquis que les juifs sont plus riches que la moyenne… Quel échec! Sur une communauté de 450.000 à 500.000 individus, nous comptons près de 40.000 personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté…


"Notre enquête montre une fracture nette au moment de l'affaire Ilan Halimi" Est-ce rattrapable?

Rien n'est jamais perdu. Lorsque les hommes politiques s'engagent, il y a un impact. Notre enquête montre une fracture nette au moment de l'affaire Ilan Halimi. La communauté juive s'est sentie abandonnée comme lors des manifestations propalestiniennes de l'été 2014 au cours desquelles on a crié "Mort aux juifs !"
En revanche, la mobilisation des pouvoirs publics au moment de l'affaire Merah et surtout de l'Hyper Cacher a immédiatement rassuré la communauté juive, qui a continué à fréquenter ses lieux de culte et ses écoles…


Plus de juifs quittent la France…


Plus de 70 % des juifs veulent rester dans ce pays car ils estiment à juste titre que c'est leur pays.
Face à l'accumulation des agressions, des drames et des morts, les juifs veulent surtout tenter autre chose! Nous avons constaté, après l'affaire Merah, que de nombreuses familles juives quittaient Toulouse. Il n'y a pas de statistiques mais on constate, par exemple, que les écoles juives enregistrent une baisse d'effectifs.
En Seine-Saint-Denis, il y avait, dans des villes comme Le Blanc-Mesnil ou Drancy, des communautés juives florissantes qui se sont étiolées. Ces alyahs sont, avant tout, motivées par la peur. Parmi les 26 % qui envisagent sérieusement de partir, 67 % disent vouloir quitter la France en raison de l'accumulation des drames dont les juifs ont été victimes.
L'idée d'Israël s'impose compte tenu de la place séculaire et théologique de Jérusalem dans le cœur des juifs. Pourtant, il ne faut pas croire que toutes ces émigrations se passent bien.


Le FN ne constitue pas un parti refuge pour les juifs...

La majorité des juifs de France connait le passé xénophobe et antisémite du FN composé à l'origine d'anciens collabos. Ses dirigeants actuels n'ont jamais prononcé les paroles de son fondateur, Jean-Marie Le Pen, mais d'anciens membres du GUD encadrent toujours Marine Le Pen. Le FN essaie de faire croire à un vote juif en leur faveur. C'est une supercherie!
 

Marie-Christine Tabet


Source Le JDD