Diplômé de l’École normale supérieure et de Paris 4, l’universitaire franco-israélien Cyril Aslanov a occupé de nombreux postes au sein de l’université hébraïque de Jérusalem. Il y dirige aujourd’hui la section d’études françaises, le Centre international pour l’enseignement universitaire de la civilisation juive, ainsi que le centre Chais dédié aux études juives en langue russe...
Ce linguiste polyglotte compare pour EducPros l’enseignement des sciences humaines dans les deux pays.
Quel regard portez-vous sur l’enseignement français des sciences humaines par rapport à Israël ?
L’enseignement français des sciences humaines se présente comme un système à deux vitesses avec d’un côté les ENS financées par d’énormes budgets qui constituent un modèle de qualité et de sérieux ; et de l’autre, les universités, mal financées et moins performantes.
Dans les deux cas, le principe de sélection est méritocratique, y compris dans les universités où les meilleurs étudiants poursuivent leur cursus alors que les plus mauvais sont exclus au bout de la deuxième année.
Par contraste, l’enseignement israélien repose uniquement sur les universités où les frais sont onéreux par rapport au niveau de vie du pays (environ 3.000 dollars par an). Le coût des études exerce donc un certain impact sur la motivation des étudiants qui souhaitent rentabiliser leur investissement financier.
En termes de cursus, quelles sont les différences ?
L’autre grande différence tient à ce qu’en licence, un étudiant israélien est contraint de prendre deux disciplines : une majeure et une mineure qui n’a souvent de mineure que le nom. De plus, l’université oblige les étudiants de licence à présenter près de 20 unités de valeur sur 120 au total dans des disciplines soit très générales, soit volontairement très différentes des disciplines de spécialisation : un historien ou un littéraire sont tenus de prendre un cours d’introduction à la physique ou à la biologie…
Le système français exerce davantage de contrôle sur la durée des études – contrôle continu ; système master 1 et master 2 ; doctorat limité à quatre ans au maximum -, alors que le système israélien est plus souple parce que l’étudiant est un adulte souvent marié (l’âge moyen du mariage est beaucoup plus précoce en Israël).
À cela s’ajoutent les périodes de réserve militaire d’un mois par an. Et bien entendu, la nécessité de travailler parallèlement aux études. En Israël, certains étudiants restent des années en licence, en maîtrise ou en doctorat. Ces “éternels étudiants” prolongent une vieille tradition russe qui comme beaucoup d’autres traits de la culture est-européenne en général et russe en particulier s’est transplantée dans l’État juif.
Les universités françaises connaissent des difficultés budgétaires. Qu’en est-il en Israël, notamment dans les disciplines de sciences humaines ?
En Israël, cette crise est encore plus accentuée car le financement des universités par l’État est de moins en moins élevé. De plus, le calcul des budgets en proportion du nombre d’étudiants et les effectifs en sciences humaines sont en baisse.
De plus en plus, l’étudiant choisit ses cursus en fonction des débouchés professionnels qui sont évidemment moindres en sciences humaines. Pourtant, le système qui oblige l’étudiant israélien à prendre une majeure et une mineure permet de compenser le manque à gagner des inscriptions en sciences humaines. L’étudiant israélien peut choisir une majeure dans une discipline porteuse (psychologie ; économie ; relations internationales) et une mineure pour s’enrichir culturellement et intellectuellement.
La France n’est pas confrontée au problème de devoir intégrer socialement des milliers d’immigrants par an. Bien au contraire, elle doit tout faire pour que ses jeunes diplômés n’aillent pas tenter leur chance en Amérique du Nord… ou en Israël !
Vous avez été en charge du comité de l’intégration des universitaires ayant “immigré” dans l’État hébreu. Israël a-t-il des bonnes pratiques à partager avec la France dans ce domaine ?
L’intégration d’universitaires dans un pays d’immigration s’inscrit dans une stratégie d’insertion sociale pour des adultes souvent en fin de carrière auxquels il faut trouver un gagne-pain plus prestigieux que véritablement lucratif. Les universitaires ex-soviétiques arrivés sur le retour de l’âge ont ainsi malheureusement souvent été mis dans des voies de garage.
La France a une autre pratique qui consiste à attirer des jeunes très performants de certains pays émergents comme la Chine ou l’Inde. Elle n’est pas confrontée au problème de devoir intégrer socialement des milliers d’immigrants par an. Bien au contraire, elle doit tout faire pour que ses jeunes diplômés n’aillent pas tenter leur chance en Amérique du Nord… ou en Israël !
Quid de l’enseignement du français dans l’enseignement supérieur israélien ?
" L’enseignement du français dans les universités israéliennes se porte assez mal, estime Cyril Aslanov, qui parle 20 langues. Le français n’est plus perçu comme la deuxième ou troisième langue internationale comme il l’était avant 1967.
C’est une langue étrangère parmi d’autres et elle n’arrive pas à se mesurer avec des langues plus porteuses professionnellement (chinois, coréen, allemand) ou jugées plus attrayantes en raison de l’image positive qui y est associée (espagnol, portugais, italien).
À cela s’ajoute que la France s’est presque complètement désengagée de l’activité de soutien au français et aux études françaises dans les universités israéliennes. Une langue qui n’est pas soutenue par le pays où on la parle n’a aucune chance d’attirer les foules."
Source Israel Valley