Un avant-propos de l’auteur était nécessaire pour introduire une fiction aussi vraisemblable que Faux sanglants. Edmond Tran s’en acquitte ainsi : « En ces temps qui ne datent que d’hier, l’humanité a rarement fait preuve d’autant de fragilité face à la possibilité du chaos. » Le chaos est la trame du roman. Dès la scène d’ouverture, dans le camp de concentration de Buchenwald, à la veille de la dernière défaite, l’écriture cruelle et précise, la description clinique et érotico-morbide de l’univers concentrationnaire étouffent...
L’atmosphère est insoutenable d’étrangeté et de crudité. Un SS s’adonne aux pires tortures sur une jeune prisonnière juive, un autre s’est retrouvé là après avoir été moqué par sa fiancée pour son amour de Zweig, un troisième ne se laisse plus abuser par les idéaux : « Le monde ne nous pardonnera jamais d’avoir osé ainsi le défier ».
Mais le monde a la mémoire courte. Que ce soit en Israël, au lendemain de la guerre des Six-Jours, ou à Paris dans les années 1980, la violence des hommes n’est jamais tarie. David Pérez, ancien agent du Mossad, prétend être devenu chasseur de nazis, faisant sa spécialité du menu fretin de Buchenwald. Son neveu, Emmanuel Ascher, fils d’un soi-disant héros de Tsahal, tabasse les « fafs » à la sortie des boîtes de nuit et lui sert de bras droit pour éliminer froidement ceux qu’il considère comme des ennemis mortels. Sans doute a-t-il trouvé dans les compétitions de krav maga et les réunions du Betar le moyen de faire payer à l’Histoire ce qu’elle doit à son peuple.
Qui est le monstre ?
Jusqu’au jour où sa conception du bien et du mal vacille. Envoyé par Pérez pour liquider une vieille kapo du nom de Maria Cohen, Emmanuel est saisi par le doute. « Emmanuel remarqua les chiffres noirs qui semblaient fondus dans la peau presque transparente. Cadavérique. Un numéro d’immatriculation. (…) Exit son double qui accomplissait des missions au nom de l’Histoire. Emmanuel n’était plus un tueur de monstres. Il était un monstre. »
Dès lors, tous les événements se précipitent et l’abominable nature humaine reprend ses droits.
La mère d’Emmanuel disparaît, en se lançant à sa recherche, son fils découvre la véritable identité de son père, de son oncle et de ses amis. Les choses ne sont jamais si simples que l’Histoire les présente. Sous les uniformes de la Schutzstaffel se dissimulent aussi bien les héros romantiques que les traîtres à leur sang.
Les pyjamas de déportés ne lavent pas la conscience de ceux qui les portent. Être innocente dans les mémoires ne rachète pas une âme. Qu’Emmanuel Ascher ne soit pas le jeune juif épris d’idéal et de revanche au nom du souvenir de son père n’étonnera personne. Que son meilleur allié s’avère être un militant d’extrême droite non plus.
Faux Sanglants raconte les destins troubles de ces hommes jetés malgré eux dans l’enfer du XXème siècle. Une Histoire de la violence, écrite avec le sang de ses acteurs, sans parti pris idéologique ni concession sociologique, car l’Histoire ne connait ni bien, ni mal, mais reconnaît ceux qui la défient.
Faux Sanglants, Edmond Tran, Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 360 pages.
Source Causeur