vendredi 26 février 2016

Haftara Ki Tissa : Qui a répondu au prophète Elie…



Dans la Paracha Ki Tissa, Moshé lutte contre le paganisme, dans la Haftara, c’est la prophète Elie qui à l’époque des rois cherche à rétablir le monothéisme oublié par Israël. Voici la Haftara traduite suivie de deux analyses...




Traduction du texte :


Bien des jours s’écoulèrent, et la parole de l’Éternel fut ainsi adressée à Élie, dans la troisième année : Va, présente-toi devant Achab, et je ferai tomber de la pluie sur la face du sol.
Et Élie alla, pour se présenter devant Achab. La famine était grande à Samarie.
Et Achab fit appeler Abdias, chef de sa maison. -Or Abdias craignait beaucoup l’Éternel ; et lorsque Jézabel extermina les prophètes de l’Éternel, Abdias prit cent prophètes qu’il cacha cinquante par cinquante dans une caverne, et il les avait nourris de pain et d’eau. -
Achab dit à Abdias : Va par le pays vers toutes les sources d’eau et vers tous les torrents ; peut-être se trouvera-t-il de l’herbe, et nous conserverons la vie aux chevaux et aux mulets, et nous n’aurons pas besoin d’abattre du bétail.
Ils se partagèrent le pays pour le parcourir ; Achab alla seul par un chemin, et Abdias alla seul par un autre chemin.
Comme Abdias était en route, voici, Élie le rencontra. Abdias, l’ayant reconnu, tomba sur son visage, et dit : Est-ce toi, mon seigneur Élie ?
Il lui répondit : C’est moi ; va, dis à ton maître : Voici Élie !
Et Abdias dit : Quel péché ai-je commis, pour que tu livres ton serviteur entre les mains d’Achab, qui me fera mourir ?
L’Éternel est vivant ! il n’est ni nation ni royaume où mon maître n’ait envoyé pour te chercher ; et quand on disait que tu n’y étais pas, il faisait jurer le royaume et la nation que l’on ne t’avait pas trouvé.
Et maintenant tu dis : Va, dis à ton maître : Voici Élie !
Puis, lorsque je t’aurai quitté l’esprit de l’Éternel te transportera je ne sais où ; et j’irai informer Achab, qui ne te trouvera pas, et qui me tuera. Cependant ton serviteur craint l’Éternel dès sa jeunesse.
N’a-t-on pas dit à mon seigneur ce que j’ai fait quand Jézabel tua les prophètes de l’Éternel ? J’ai caché cent prophètes de l’Éternel, cinquante par cinquante dans une caverne, et je les ai nourris de pain et d’eau.
Et maintenant tu dis : Va, dis à ton maître : Voici Élie ! Il me tuera.
Mais Élie dit : L’Éternel des armées, dont je suis le serviteur, est vivant ! aujourd’hui je me présenterai devant Achab.
Abdias, étant allé à la rencontre d’Achab, l’informa de la chose. Et Achab se rendit au-devant d’Élie.
A peine Achab aperçut-il Élie qu’il lui dit : Est-ce toi, qui jettes le trouble en Israël ?
Élie répondit : Je ne trouble point Israël ; c’est toi, au contraire, et la maison de ton père, puisque vous avez abandonné les commandements de l’Éternel et que tu es allé après les Baals.
Fais maintenant rassembler tout Israël auprès de moi, à la montagne du Carmel, et aussi les quatre cent cinquante prophètes de Baal et les quatre cents prophètes d’Astarté qui mangent à la table de Jézabel.


Les sefaradim commencent ici


Achab envoya des messagers vers tous les enfants d’Israël, et il rassembla les prophètes à la montagne du Carmel.
Alors Élie s’approcha de tout le peuple, et dit : Jusqu’à quand clocherez-vous des deux côtés ? Si l’Éternel est Dieu, allez après lui ; si c’est Baal, allez après lui ! Le peuple ne lui répondit rien.
Et Élie dit au peuple : Je suis resté seul des prophètes de l’Éternel, et il y a quatre cent cinquante prophètes de Baal.
Que l’on nous donne deux taureaux ; qu’ils choisissent pour eux l’un des taureaux, qu’ils le coupent par morceaux, et qu’ils le placent sur le bois, sans y mettre le feu ; et moi, je préparerai l’autre taureau, et je le placerai sur le bois, sans y mettre le feu.
Puis invoquez le nom de votre dieu ; et moi, j’invoquerai le nom de l’Éternel. Le dieu qui répondra par le feu, c’est celui-là qui sera Dieu. Et tout le peuple répondit, en disant : C’est bien !
Élie dit aux prophètes de Baal : Choisissez pour vous l’un des taureaux, préparez-le les premiers, car vous êtes les plus nombreux, et invoquez le nom de votre dieu ; mais ne mettez pas le feu.
Ils prirent le taureau qu’on leur donna, et le préparèrent ; et ils invoquèrent le nom de Baal, depuis le matin jusqu’à midi, en disant : Baal réponds nous ! Mais il n’y eut ni voix ni réponse. Et ils sautaient devant l’autel qu’ils avaient fait.
A midi, Élie se moqua d’eux, et dit : Criez à haute voix, puisqu’il est dieu ; il pense à quelque chose, ou il est occupé, ou il est en voyage ; peut-être qu’il dort, et il se réveillera.
Et ils crièrent à haute voix, et ils se firent, selon leur coutume, des incisions avec des épées et avec des lances, jusqu’à ce que le sang coulât sur eux.
Lorsque midi fut passé, ils prophétisèrent jusqu’au moment de la présentation de l’offrande. Mais il n’y eut ni voix, ni réponse, ni signe d’attention.
Élie dit alors à tout le peuple : Approchez-vous de moi ! Tout le peuple s’approcha de lui. Et Élie rétablit l’autel de l’Éternel, qui avait été renversé.
Il prit douze pierres d’après le nombre des tribus des fils de Jacob, auquel l’Éternel avait dit : Israël sera ton nom ; et il bâtit avec ces pierres un autel au nom de l’Éternel. Il fit autour de l’autel un fossé de la capacité de deux mesures de semence.
Il arrangea le bois, coupa le taureau par morceaux, et le plaça sur le bois.
Puis il dit : Remplissez d’eau quatre cruches, et versez-les sur l’holocauste et sur le bois. Il dit : Faites-le une seconde fois. Et ils le firent une seconde fois. Il dit : Faites-le une troisième fois. Et ils le firent une troisième fois.
L’eau coula autour de l’autel, et l’on remplit aussi d’eau le fossé.
Au moment de la présentation de l’offrande, Élie, le prophète, s’avança et dit : Éternel, Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël ! que l’on sache aujourd’hui que tu es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur, et que j’ai fait toutes ces choses par ta parole !
Réponds-moi, Éternel, réponds-moi, afin que ce peuple reconnaisse que c’est toi, Éternel, qui es Dieu, et que c’est toi qui ramènes leur coeur !
Et le feu de l’Éternel tomba, et il consuma l’holocauste, le bois, les pierres et la terre, et il absorba l’eau qui était dans le fossé.
Quand tout le peuple vit cela, ils tombèrent sur leur visage et dirent : C’est l’Éternel qui est Dieu ! C’est l’Éternel qui est Dieu !


Première analyse :


Le midrache déjà (Yalcoutt Chimeoni, 209) a établi longuement et avec force détails un parallèle entre Moi'se et le prophète Elie. Nous y relevons, entre autres, les points suivants: "Moi'se a rassemblé le peuple d'Israël au pied du mont Sinai'; Elie, lui, l'a réuni au mont Carmel.
Moi'se s'est occupé de faire disparaftre le culte idolâtre en démolissant le veau d'or, Elie en a fait autant en s'attaquant aux prophètes de Baal. A la suite de cette intervention, Moi'se a adressé une prière à l'Eternel; Elie, de son côté, a procédé de la même façon ..."
 Ainsi donc est établi depuis toujours le facteur qui a déterminé le choix de cette haftara. Sans vouloir entrer dans tous les détails que cite le midrache, on peut dire, tout simplement, qu'en une circonstance donnée les deux prophètes, Moi'se et Elie, se sont trouvés tous deux confrontés au même problème: il leur fallait expurger l'idolâtrie du milieu du peuple d'Israël et ils y ont procédé avec énergie, n'hésitant pas même à verser le sang.
 Ceci étant, les circonstances sont néanmoins différentes. Moi'se, comme le rapporte notre sidra, s'est trouvé, à son retour du Sinai', face à un veau d'or que le peuple, découragé par son absence, s'apprêtait à adorer. S'il lui a fallu punir les coupables, c'est au veau surtout qu'il s'en prend en le réduisant en poudre et en dispersant celle-ci.

Elie, lui, se trouve confronté à tout un véritable appareil idolâtre. Tout le royaume est imprégné d'idolâtrie, des centaines de prêtres sont à son service, tout le culte est organisé et réglé. Il lui faut un courage extraordinaire pour affronter, devant le peuple indifférent, tout cet appareil. Fort de son droit et de la vérité qu'il représente, il combat et il gagne.
Moi'se a été un précurseur; Elie, et tant d'autres après lui, ont essayé au cours des générations d'extirper l'idolâtrie du coeur des hommes, celui du veau ou un autre, et de leur faire reconnaitre le vrai Dieu.



Par le rabbin Jean Schwarz


Deuxième analyse :


« Tout le peuple, à cette vue, tomba sur sa face et s’écria: « C’est l’Eternel qui est Dieu! C’est l’Eternel qui est Dieu! » (I Rois 18, 39, fin de la Haftara de Ki Tissa).
Quelle fut l’intention du peuple lorsqu’il fit entendre ces belles paroles ? A première vue, il semble qu’ils ne font là que répondre au défi proposé par le prophète Elie (id. 21) : « Si l’Eternel est le vrai Dieu, suivez-Le; si c’est Baal, suivez-le! ».
Cependant, le fait que leur réponse est doublée, en plus de marquer leur enthousiasme, semble indiquer une compréhension profonde atteinte par le peuple après que le doute soit tombé. En d’autres termes, en plus de la compréhension que l’Eternel est le vrai Dieu et non Baal, ils saisirent également le caractère du dévoilement divin dans le monde.
De quoi s’agit-il ?
Dès le moment où l’individu est doué de conscience, il est confronté à une dualité terrible. D’une part, il voit le monde de la nature, livré à des lois immuables, amorales. Au sommet de la hiérarchie naturelle, l’homme découvre l’existence du Créateur, qu’il appelle Elohim, nom indiquant Celui qui fait exister la nature.
D’autre part, l’individu perçoit en son for intérieur son âme, sa personnalité, capable de discerner le bien du mal, porteuse d’une vie intérieure et possédant le libre arbitre. Le Créateur de son âme il nomme des quatre lettres du tétragramme, désignant Celui qui fait exister la morale.
Pour résoudre la tension entrainée par ces deux approches opposées, quatre explications ont été proposées :
1)     Celle des idolâtres – soutenant que le monde est empli de personnes: d’anges, de dieux, d’âmes et d’esprits. Traduit dans le langage biblique, cette approche prétend que tout est Dieu (Tétragramme).
2)     Celle de certains philosophes – prétendant que tout n’est que nature, à tel point que même la personnalité n’est qu’illusion. Le monde n’est qu’une grande machine automatique et insensible.
3)     Celle du juif d’Amsterdam – que le divin équivaut à la somme de ses représentations. Même l’âme, morale, fait finalement partie du système supérieur de la nature. Selon lui, « ce sont les dieux qui sont l’Eternel ».
4)     Celle des prophètes d’Israël – dons le prophète Elie au mont Carmel, qui nous enseignèrent que « c’est l’Eternel qui est les dieux (Elohim) », et non les dieux qui seraient l’Eternel. Il existe une harmonie intérieure entre l’âme et la nature, quoique favorisant l’éthique (tétragramme) (pour plus de précisions, voir Nefesh Ha’haim, rav ‘Haim de Volozhine, 3e partie, ch. 9).
La compréhension que le Saint béni soit-Il agit à travers la morale, qu’Il préfère le bien au mal, est ce qui a pénétré dans le cœur du peuple assemblé au mont Carmel, lorsqu’ils virent que l’Eternel ne désirait pas le sacrifice barbare des adorateurs de Baal: « ils se tailladèrent, selon leur coutume, à coups d’épées et de lances, au point que le sang ruisselait sur eux » (verset 28).
C’est cette morale qu’enseigne la Thora, une morale d’harmonie des valeurs et d’unité des cœurs.


Oury Cherki


Source Massorti et Netiv David et Naohideworldcenter