L’une des Mitsvot les plus extraordinaires de notre Torah est bien celle de cette vache rousse, au sujet de laquelle Chlomo Hamélekh, s’écria : « Je disais : “Je voudrais me rendre maître de la sagesse !”, mais elle s’est tenue loin de moi ! » (Kohélèt 7, 23). Comment est-il possible que le plus sage des hommes ait dit de cette Mitsva que sa compréhension lui échappait ? Pourtant, ’Hazal en donnent une explication aussi simple que rationnelle, par le biais d’une image : si un enfant salit le palais royal, sa mère va s’empresser de venir le nettoyer...
De même, les Béné Israël se sont rendus coupables de la faute du veau d’or, n’est-il pas logique que ce soit la mère de cet animal, la vache, qui vienne réparer cette erreur ? Qu’y a-t-il, dès lors, de si difficile à comprendre ?
Autre point qui mérite que l’on s’y attarde : la controverse, rapportée par la Guémara, au sujet de l’âge de cet animal. D’après la majorité des Sages, elle devait avoir trois ans ; mais selon Rabbi Éliézer, deux ans. Pourtant, à en croire un passage des Tossefot dans le traité Békhorot, une vache ne peut donner naissance à des petits qu’à partir de trois ans. Comment comprendre, dans ce cadre, l’opinion de Rabbi Éliézer ? Comment une vache non adulte pourrait-elle réparer la faute du veau d’or, qui, pour reprendre la métaphore donnée précédemment, avait « sali le palais royal » ?
Mais ce n’est pas la seule difficulté que présente la Paracha de la vache rousse : la Torah ordonne à El’azar, fils d’Aharon Hacohen, qu’il se charge d’accomplir les prescriptions relatives à ce processus de purification. D’ailleurs, à toutes les époques où cette Mitsva fut accomplie – au total moins de dix fois ‒, ce fut toujours le suppléant du Cohen Gadol qui s’en chargea. Pourquoi cette procédure de purification de notre peuple de la plus haute importance n’était-elle pas réalisée par le Cohen Gadol, qui se chargeait habituellement de tous les rituels les plus importants, comme le service dans le Saint des Saints le jour de Kippour ? Pourquoi déléguer son second ?
Toutes ces questions vont nous amener à mettre au jour un point essentiel de la Torah, qui doit éclairer tout notre Service divin, vis-à-vis de nous-mêmes comme vis-à-vis d’autrui. « Là où les Ba’alé Téchouva se tiennent, les Justes parfaits ne peuvent se tenir. » De même, nous enseigne la Guémara, « celui qui épouse une femme à condition d’être un Juste parfait, alors qu’il est Racha’, le mariage est tout de même valide, car peut-être a-t-il fait Téchouva [au moment de son engagement] ». Ainsi, une simple pensée de Téchouva, la volonté de se reprendre à l’avenir, suffit à propulser l’homme vers les plus hauts sommets, et ce, même s’il n’a pas encore agi concrètement en ce sens. Dans ce cas, le futur découlant potentiellement de l’aspiration est considéré comme le présent.
Dans le même ordre d’idées, dans le traité Baba Kama, on peut lire le récit suivant : Rabbi El’azar Zé’ira arpentait la place publique de Néhardé’a avec des souliers noirs, couleur bien peu coutumière à l’époque. Les proches du Roch Galouta ‒ ce sage et riche dirigeant des Juifs chargé de veiller à leurs intérêts et que l’on appelait aussi exilarque ‒ le repérèrent et lui lancèrent : « Pourquoi portes-tu des chaussures d’une telle teinte ? » Le Rav leur répondit qu’il agissait ainsi en souvenir de la destruction du Temple. Certains de se trouver face à un orgueilleux se prenant, en dépit de son jeune âge, pour un Rav de haut niveau – cette coutume n’était alors suivie que par une élite de Tsadikim ‒, ils l’arrêtèrent aussitôt.
« Je suis un grand homme ; libérez-moi ! protesta-t-il.
‒ Et qu’est-ce qui nous le prouve ? rétorquèrent-ils.
‒ Posez-moi une question pertinente et je devrai y répondre ; ou l’inverse, si vous préférez !
‒ Pose-nous donc une bonne question ! lui demandèrent ses cerbères.
‒ Quelle est la loi s’appliquant à celui qui a abîmé des dattes qui n’étaient pas encore mûres ? Combien est-il tenu de payer ?
‒ Il devra les rembourser d’après leur valeur actuelle, celle de dattes immatures.
‒ Pourquoi s’en tirerait-il à si bon compte, alors que s’il ne les avait pas abîmées, elles seraient rapidement devenues de beaux fruits, bien plus chers ?
‒ C’est juste. Il dédommagera le propriétaire en fonction de la valeur de dattes parvenues à maturité. »
Ayant compris qu’ils avaient réellement affaire à une personnalité importante, ils le libérèrent immédiatement.
Or, si l’on approfondit l’argument de ce Sage à propos de fruits endommagés, on réalisera qu’il comportait en fait d’un message sous-jacent : « Même si je suis encore jeune, je suis comparable à ces dattes, qui, d’ici quelque temps, seront arrivées à pleine maturité, augmentant considérablement de valeur.
On en déduit que celui qui a l’aspiration et s’efforce de devenir un vrai serviteur d’Hachem et d’accomplir Sa volonté sincèrement, finira par atteindre les plus hauts niveaux.
Dans la même veine, on sait que tout fruit pressé, comme la pomme ou l’orange, change de Brakha : son jus devient « Chéhakol », à l’exception du fruit de la vigne, sur lequel on récite, sous sa forme liquide, « Boré Péri Haguéfèn ». Pourquoi ? Parce que le vin a des vertus particulières. Cependant, pourrait-on se demander, si le raisin et pressé juste avant Chabbath, il n’aura pas le temps de fermenter jusqu’au Kiddouch. Pourra-t-on, alors, réciter la Brakha « Haguéfèn » ? Étonnamment, la réponse de la Guémara est positive, quand bien même ce jus n’a pas eu le temps d’acquérir ses lettres de noblesse – les caractéristiques du vin. Explication : on tient compte de l’avenir. Du fait que ce jus de raisin est destiné à devenir un honorable cru, on le considère déjà, de fait, comme tel, et c’est ce qui lui vaut ce statut de « Boré Péri Haguéfèn ».
Ainsi, tout ce qui, en puissance, avec de l’ambition et une volonté de fer, est destiné à la grandeur est considéré comme l’ayant déjà atteint. Tout ce qui destiné à être arraché est considéré comme déjà détaché, de même que tout celui qui s’engage à faire Téchouva peut épouser une femme sous cette condition.
Ce qui est le secret de la Téchouva est aussi celui de la Para Adouma : d’après Rabbi Eli’ézer, la vache rousse doit tout juste être âgée de deux ans. Elle ne peut pas mettre bas, certes, mais est destinée à le faire, et on mise sur ce futur. C’est également la raison pour laquelle le processus de purification devait être mené par El’azar ou le suppléant du Cohen Gadol de l’époque, autrement dit, son futur successeur. Car tant le repentir que la vache rousse soulignent la prépondérance de l’avenir. Enfin, lorsque le plus sage des hommes disait « Je voudrais me rendre maître de la sagesse !”, mais elle s’est tenue loin de moi ! » (Kohélèt 7, 23), c’est que, si la sagesse peut comprendre ce qui existe déjà, le présent, elle ne peut envisager l’avenir, lequel relève de la prophétie.
Lors du Chabbath où nous lisons la Paracha ’Houkat, si riche en idées de pensée juive dissimulées entre les lignes, sachons que, par notre engagement et notre attachement à Hachem, nous avons le pouvoir d’arriver en un instant à un niveau incommensurable par le pouvoir du futur. Sachons aussi accepter cette volonté de s’amender de notre prochain et considérer le passé comme enterré.
À travers le mérite de la Torah et de cette profonde aspiration à accomplir la Volonté divine, à réparer et non détruire, nous aurons le mérite de voir et de vivre le retour d’Hachem à Tsion et la Guéoula définitive !
Extrait du livre « Rav Yochiahou Pinto : Moussar
Source Torah Box