lundi 9 mars 2015

Pourquoi le Hamas et le Hezbollah restent quand même alliés


Il serait particulièrement tentant d’opposer, depuis 2012, le Hezbollah libanais au Hamas palestinien. La crise syrienne les a incontestablement divisés : la direction du Hamas a depuis trois ans quitté Damas, où certains de ses cadres résidaient, coupant les ponts avec Bachar Al-Assad. C’est une ligne de rupture avec les années 2000. Le Hezbollah s’est quant à lui installé dans une continuité stratégique : celle qui l’unit à Damas et à Téhéran depuis plus de vingt ans. L’opposition entre les deux mouvements est cependant relative...Analyse...
 

Le 18 janvier 2015, non loin de la ville de Quneitra, sur le plateau du Golan syrien, des hélicoptères israéliens tirent sur des véhicules transportant des membres du Hezbollah libanais et des Gardiens de la révolution iraniens. Douze d’entre eux sont tués dans l’opération.
Quatre jours plus tard, le site internet de la télévision du Hezbollah, Al-Manar, publie deux lettres de condoléances adressées à Hassan Nasrallah, le secrétaire général du parti.
La première est signée par Mohammed Al-Daif, responsable des brigades Ezzedine al-Qassam, la branche militaire du Hamas palestinien  ; la seconde par Ismaël Haniyeh, ancien premier ministre du Hamas dans la bande de Gaza. Dans ces lettres, ces deux dirigeants du Hamas affirment leur convergence stratégique avec le Hezbollah dans sa confrontation avec Israël.
Les condoléances adressées par le Hamas au Hezbollah apparaissent d’autant plus surprenantes que les activistes de la formation chiite libanaise ont été tués en Syrie, où ils sont, depuis 2012, déployés militairement auprès de l’armée gouvernementale.

Le Hamas s’est, depuis la même époque, illustré par un soutien presque inconditionnel au soulèvement syrien et à l’opposition, dénonçant la présence militaire du Hezbollah en Syrie.
Dès février 2012, Haniyeh prononce un discours à la mosquée Al-Azhar au Caire, rompant avec la logique de conciliation entre le régime et l’opposition initialement adoptée par le mouvement palestinien. Surfant à l’époque sur la dynamique des processus révolutionnaires arabes, de la Tunisie à l’Égypte, s’appuyant sur la montée des Frères musulmans dans la région, le Hamas renforce alors ses liens avec le Qatar et la Turquie, s’éloignant un peu plus de Téhéran et du Hezbollah.

En juin 2013, Khaled Mechaal, principal dirigeant du Hamas en dehors des territoires occupés, participe à une conférence de soutien à la révolution syrienne à Doha : le prédicateur égyptien Youssef Al-Qaradawi, principal théoricien contemporain de la mouvance des Frères musulmans, y prononce alors un discours assassin à l’encontre du Hezbollah, qu’il nomme «  Hizb al-shaitan  » («  le parti du diable  »), lui reprochant sa proximité avec les autorités syriennes.
 

Deux lectures de la crise syrienne

Le Hamas a toujours nié tout investissement militaire en Syrie, notamment dans les combats déchirant le camp de réfugiés de Yarmouk, dans la banlieue de Damas, mais certaines sources font état d’une participation de combattants du Hamas aux côtés des forces armées de l’opposition syrienne.

En juin 2013, c’est un jeune membre du Hamas, Muhammad Quneita, venu de la bande de Gaza et originaire du camp de Chati, qui décède lors de combats près de l’aéroport d’Idlib.
L’été 2013, le quotidien libanais Al-Akhbar proche du Hezbollah et de la coalition libanaise du 8-Mars accuse le Hamas d’avoir participé à la bataille de Qoussair en Syrie, non loin des frontières libanaises, contre les troupes du Hezbollah et de l’armée gouvernementale syrienne : le Hamas aurait fait bénéficier les groupes armés de l’opposition syrienne de son expertise militaire en matière de construction de tunnels. Une information immédiatement démentie par le représentant du Hamas au Liban, Ali Barakat.
En 2012 et en 2013, Hamas et Hezbollah semblent se situer aux antipodes : leurs lectures de la conjoncture régionale diffèrent du tout au tout.

Le Hamas parie sur un cercle vertueux : celui de révolutions arabes qui, tout en faisant tomber des régimes autoritaires, porteraient au pouvoir des forces politiques issues des Frères musulmans — desquels ils sont issus —, à l’image de l’Égypte ou de la Tunisie, renforçant sa position régionale dans le cadre de son opposition à Israël, mais aussi au Fatah.
L’analyse du Hezbollah est parfaitement inverse : si le mouvement de Hassan Nasrallah applaudit en 2011 les révolutions tunisienne et égyptienne — certains de ses activistes étaient emprisonnés en Égypte jusqu’à la chute du président Hosni Mubarak pour leur coopération militaire avec le Hamas dans la bande de Gaza —, il est plus que circonspect sur les dynamiques à l’œuvre en Syrie depuis le printemps 2011.
Il accuse alors une partie de l’opposition syrienne, notamment le Conseil national syrien (CNS), d’être bien trop proche des chancelleries occidentales. De manière plus pragmatique, il s’agit pour le Hezbollah de préserver un hinterland syrien faisant office de base arrière militaire et de principale source d’approvisionnement logistique depuis le début des années 1990.
 

La rupture n’aura pas lieu

Le divorce annoncé entre le Hamas et le Hezbollah n’a pourtant pas eu lieu. Les deux organisations sont demeurées pragmatiques, s’accordant peut-être sur leurs désaccords, notamment syriens.

En dépit de certaines rumeurs courant lors de l’année 2013, les dirigeants du Hamas résidant dans la banlieue sud de Beyrouth, à majorité chiite et sous contrôle sécuritaire du Hezbollah, n’ont jamais quitté le Liban  ; ainsi de Ali Barakat, représentant du mouvement, et de Oussama Hamdan, responsable des relations extérieures du Hamas.
Téhéran s’est faite également la plus pragmatique possible : les contacts avec le Hamas n’ont jamais cessé, même si le soutien financier s’est à un moment raréfié, profitant à des formations palestiniennes comme le Mouvement du djihad islamique en Palestine où, à la gauche du spectre politique, au Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP).
Cette rupture avortée entre le Hamas et le Hezbollah s’explique aisément. Elle a d’abord ses raisons historiques : les deux mouvements collaborent de manière très officielle depuis le début des années 1990, en amont même de la relation que le Hamas a pu établir avec le régime syrien par le passé. En décembre 1992, 415 militants du Mouvement du djihad islamique en Palestine et du Hamas sont expulsés par Israël à Marj az-Zouhour au sud-Liban : le Hezbollah développe à l’époque des liens prégnants avec les cadres dirigeants du Hamas exilés au Liban.
La relation est aussi politique. Certes, le Hamas est issu des Frères musulmans palestiniens, sunnites, et des mouvements de prédication islamique développés dès le début des années 1970 par le cheikh Yacine dans la bande de Gaza. Le Hezbollah, chiite, reconnaît quant à lui la guidance des ayatollahs iraniens Rouhollah Khomeyni, puis Ali Khamenei. Cependant, un fonds commun islamo-nationaliste, forgé dans l’opposition à Israël, les unit.
La relation est enfin matérielle et stratégique : elles s’inscrit surtout dans un temps long, que même les désaccords sur la Syrie n’ont pas suffi à abolir. La guerre israélienne contre Gaza de l’été 2014 est révélatrice.

Lorsque les armes se taisent, des dirigeants du Hamas comme Mahmoud Zahar remercient explicitement l’Iran et le Hezbollah pour leur soutien logistique, financier et matériel au Hamas et aux brigades Ezzedine al-Qassam.
Haniyeh qui a pu, en février 2012, dénoncer la politique de Bachar Al-Assad, salue à Gaza en décembre 2014, lors des cérémonies célébrant le 27e anniversaire du Hamas à Gaza, un Hezbollah pourtant allié du régime syrien. Depuis l’hiver 2014, plusieurs dirigeants du Hamas (Ali Barakat, Ousamma Hamdan, Muhammad Nasr) ont multiplié les réunions avec les directions du Hezbollah et l’Iran, en vue d’une visite attendue — mais toujours reportée — de Mechaal à Téhéran.
La permanence des relations entre le Hezbollah et le Hamas est enfin conjoncturelle — ce qui peut amener à en relativiser la portée. Pour le Hamas, la conjoncture politique a changé en deux ans dans l’ensemble du monde arabe. Le soulèvement syrien s’échoue sur des lignes de fractures miliciennes et confessionnelles sur lesquelles il peut désormais difficilement parier. Le soutien des Frères musulmans égyptiens au Hamas et la présidence de Mohamed Morsi ne sont, depuis l’été 2013, qu’un lointain souvenir : ils sont sous le coup de la répression du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi.

Le Hamas compte aujourd’hui sur une médiation saoudienne pour se réconcilier avec des autorités égyptiennes qui l’ont placé sur la liste des organisations terroristes. En Tunisie, le mouvement islamiste Ennahda s’est fait pragmatique, participant d’un gouvernement d’union nationale avec Nidaa Tounès — qui ne cache pas ses velléités de rétablir des relations diplomatiques avec Damas. Le Qatar, subissant les pressions du Conseil de coopération du Golfe (CCG), prend ses distances avec les Frères musulmans égyptiens.
Le Hamas est également dépendant des négociations qu’il doit mener avec les organisations politiques palestiniennes qui, sur le dossier syrien, sont profondément divisées.

Il ne peut cliver avec l’ensemble d’entre elles sur la seule question des relations avec la Syrie, le Hezbollah ou Téhéran, situation interne oblige : le Hamas participe ainsi, depuis juin 2014, à un gouvernement d’union nationale avec le Fatah. Il s’associe, depuis 2011, à un «  cadre de direction transitoire  » (Itar al-qiyadi al-mu’aqat) de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans lequel il côtoie des organisations palestiniennes ne se reconnaissant pas dans le positionnement du Hamas sur la question syrienne. Pour le Hezbollah, le maintien d’un soutien politique et matériel à l’ensemble des mouvements palestiniens (dont le Hamas) est vital, en dépit des divisions sur la question syrienne.
C’est une affaire de légitimité politique : il lui permet de prouver qu’il ne s’aligne pas uniquement sur un axe chiite courant de Beyrouth à Téhéran, mais qu’au contraire sa politique régionale transcende les appartenances communautaires entre sunnites et chiites. Et surtout, que son opposition à Israël n’est pas amoindrie par son investissement militaire en Syrie.
L’option turque, le rapprochement avec la présidence de Recep Tayyip Erdogan, soutien de l’opposition syrienne, reste encore séduisante pour le Hamas  ; elle demeure cependant problématique.

Khaled Mechaal passe pour un partisan d’une alliance renforcée avec Ankara  ; Mahmoud Zahar y est plus opposé. Il se fait le plus fervent défenseur d’un retour aux «  maisons-mères  » : le Hezbollah et l’Iran. Une partie de la direction du Hamas voit difficilement comment conjuguer logiquement rhétorique anti-impérialiste et rapprochement avec une Turquie membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Paradoxalement, l’option chiite reste pour le moment plus attractive.
Une autre partie du Hamas compte sur la Turquie, le Qatar et, depuis quelques semaines, sur une Arabie saoudite qui renoue le dialogue avec les Frères musulmans dans la région, pour faire office de médiateur avec les principales puissances occidentales.
 

Une alliance incertaine

L’opposition syrienne doute désormais de l’orientation pro-révolutionnaire du Hamas, lui reprochant de plus en plus ses liens avec Téhéran et le Hezbollah. Dans un entretien pour le site internet de la chaîne Orient-News, l’un des principaux canaux télévisés de l’opposition syrienne, Melhem Daroubi, membre des Frères musulmans syriens pourtant idéologiquement proches du Hamas, dit du mouvement de Mechaal qu’il demeure pris «  entre le marteau du soutien iranien et l’enclume de l’oppression d’Al-Assad  ».

Le Hamas n’a pas retiré tout soutien à l’opposition syrienne, mais ses médias tentent, avec difficulté, de conjuguer rhétorique révolutionnaire dénonçant le régime syrien et justification pragmatique d’un rapprochement avec Téhéran et le Hezbollah. En Syrie même, certains militants du Hamas critiquent, depuis quelques mois, le rapprochement de leur direction avec le Hezbollah et Téhéran.
Ni rupture, ni retrouvailles tout à fait fraternelles : la relation entre le Hezbollah et le Hamas est d’abord soumise aux aléas d’une conjoncture politique régionale particulièrement volatile.

Le Hamas est pris entre deux feux. Par affinité idéologique, voire même confessionnelle, il se retrouve proche de Frères musulmans égyptiens, tunisiens, syriens, ayant pris fait et cause pour le soulèvement syrien de 2011 et désirant couper les ponts avec le Hezbollah et Téhéran.
Par souci pragmatique, il voit mal comment rompre avec un Hezbollah qui le soutient encore.
La direction du parti chiite a défini une fine ligne tactique en ce qui concerne la question palestinienne : le Hezbollah dissocie visiblement le dossier syrien de ses relations avec le Hamas, fait fi des désaccords, en maintenant ses liens avec lui, y compris logistiques et militaires. Cette relation évite d’enfermer la situation régionale dans le seul cadre d’un conflit communautaire chiites-sunnites, sans pour autant l’invalider.
La permanence d’un conflit israélo-arabe — et pas seulement israélo-palestinien — permet encore des rapprochements et des lignes d’alliances difficilement explicables par le seul paradigme communautaire. Dans leurs relations très contrariées, le Hamas et le Hezbollah montrent qu’au-delà de Damas et des polarisations confessionnelles entre sunnites et chiites que la crise syrienne suscite, le politique prime encore.

Par Nicolas Dot-Pouillard, Wissam Alhaj


Source OrientXXI