Alors que le monde entier tente d’anticiper les conséquences géopolitiques des élections en Israël, de nombreux citoyens attendent surtout des réformes concernant le coût de la vie. Dans le secteur immobilier, les prix ont bondi de 55 % en six ans...
Pour fêter ses 40 ans, Shay Cohen n’a pas invité ses amis à dîner. À la place, il a planté sa tente boulevard Rothschild à Tel-Aviv, là où a débuté le mouvement social de l’été 2011. Plus d’une centaine de personnes, mobilisées sur les réseaux sociaux autour du slogan "J’ai 40 ans et je ne possède pas mon appartement", étaient à ses côtés le 1er mars. Cinq jours plus tard, une vingtaine de tentes sont toujours installées sur le trottoir.
Père de deux enfants, Shay Cohen loue 10 000 shekels par mois (2 270 euros) son appartement de Givatayim, dans la banlieue de Tel-Aviv. Sa femme est psychologue, lui secrétaire général du syndicat l’Organisation démocratique des travailleurs.
"Nous travaillons beaucoup mais il nous est impossible d’acheter notre logement, explique-t-il. Dans Tel-Aviv, un petit appartement coûte 2,5 millions de shekels (565 000 euros). Nous avons une bonne vie mais le propriétaire peut nous expulser du jour au lendemain ou augmenter notre loyer plusieurs fois par an."
En pleine campagne pour les législatives du 17 mars, ces campeurs entendent rappeler aux candidats les sujets qui les préoccupent : le coût de la vie, les salaires ou l’éducation. Et d’abord, la crise du logement.
12 ans pour un permis de construire
Selon le rapport du contrôleur de l’État publié fin février, les prix de l’immobilier ont bondi de 55 % entre 2008 et 2013. Ayal Kimhi, directeur adjoint du Centre Taub pour l’étude des politiques sociales, estime que les taux d’intérêts, historiquement bas, expliquent en grande partie la hausse de la demande de logement. "Emprunter est beaucoup moins cher, donc des ménages qui n’auraient pas pu acheter auparavant ont maintenant les moyens de le faire", détaille-t-il.
Mais face à cette hausse de la demande, l’offre ne suit pas. Dans les années 1990, Israël accueille des immigrants d’ex-URSS et lance la construction de 50 000 logements par an, et même de 73 000 en 1995.
Mais dès 2001, ce chiffre chute. La courbe repart à la hausse en 2008 pour atteindre 43 000 nouvelles constructions en 2011, avant de diminuer de nouveau, créant une pénurie.
Cette inadaptation de l’offre à la demande est liée à la centralisation et à la rigidité du marché, ainsi qu’à l’inefficacité des organismes publics chargés de la planification.
En Israël, où l’Etat contrôle 93 % des terres, il faut parfois jusqu’à 12 ans pour obtenir un permis de construire. Selon le Centre Taub, dans les pays européens, ce délai est en général de moins de 12… semaines.
Autre difficulté, la plupart des terres constructibles se trouvent dans des zones périphériques, loin des régions attractives de Tel-Aviv ou Jérusalem.
"Les jeunes de la classe moyenne pourraient acheter un appartement à Afula, Be’er Sheva ou Ashkelon, reconnait Tamar Hermann, analyste à l’Institut israélien pour la démocratie. Mais mes enfants n’iraient jamais vivre là-bas ! Ces zones manquent de transports, d’écoles, de divertissements…"
Échec politique
Dans son rapport, le contrôleur de l’État souligne aussi le manque de volonté politique face à la crise du logement. Il pointe les erreurs et l’inaction des gouvernements dirigés par Ehoud Olmert puis Benjamin Netanyahou, Premier ministre depuis 2009. "Ce n’est qu’en juillet 2013 que le gouvernement a décidé de désigner un ministre chargé de formuler une politique du logement à long terme", note Yosef Shapira.
Après la publication de ce document, le Likoud, le parti de Netanyahou, s’est engagé à mettre en chantier des dizaines de milliers de logements. Le leader du Parti travailliste et principal adversaire du Premier ministre sortant, Isaac Herzog, a lui aussi promis de faire baisser les prix. "Je mènerai la bataille pour résoudre la crise du logement et tous mes ministres seront mes soldats", a-t-il déclaré.
"Tous les partis sont obligés de faire campagne sur ces sujets, constate Tamar Hermann. Mais en général, ils ne publient pas de véritable programme électoral. Ils mettent en avant des propositions très vagues."
"Peu de choses distinguent réellement les grands partis en matière économique", ajoute Ayal Kimhi. Pour résoudre la crise, il recommande une réforme fiscale.
Il préconise aussi l’instauration de dispositifs incitant les municipalités à allouer leurs terrains à des projets de logements plutôt qu’à des zones industrielles, qui nécessitent moins d’infrastructures.
Le 17 mars, Shai Cohen votera pour l’opposition, sans illusion. "À chaque scrutin, certains candidats font des propositions intéressantes mais ils ne les mettent pas en œuvre. Le meilleur exemple de cela, ce sont les prix de l’immobilier. C’est déjà pour ça que nous étions dans la rue en 2011 et depuis, les prix n’ont fait qu’augmenter !"
Source France 24