Bibi Netanyahou fait aux juifs de France des appels du pied aussi discrets que ceux de Sharon Stone dans Basic Instinct. Presque toutes les associations juives ont désormais leur service d’aide à la alyah, peut-être même les Gays et Lesbiennes Juifs de France (faudrait vérifier)...
Les réunions de l’Agence juive sont aussi blindées que le Pôle emploi du 93. En bref, les juifs français songent au départ. Quant à ceux qui ne voudraient pas sauter le pas, tous les moyens rhétoriques sont bons pour les faire monter dans le train qui leur fera quitter ce pays vieillissant d’une Europe en déclin, vers le pays où coulent la high-tech et le houmous.
L’impression semble unanimement partagée : ici, en Israël, on attendrait les juifs de France comme un Loubavitch le retour du Rabbi. Le message martelé de soirée en soirée, de synagogue en synagogue, est on ne peut plus clair : juifs de France, Israël vous veut, Israël a besoin de vous, Israël vous attend, Israël vous aime. Voilà de quoi regonfler l’égo. Du coup, les juifs de France s’emballent, se mettent à critiquer certains côtés d’Israël, à se demander si Israël est vraiment bon pour eux. Parce que tout de même, la langue, la mentalité méditerranéenne, le système de santé, tout ça… On est sionistes, mais notre alyah, on la préfèrerait « tapis rouge ». Le coup des maabarot pour séfarades dans le désert du Neguev, c’était bon pour les générations d’avant. Rengorgés par les flatteries des maîtres renards, ils oublient de se poser la question essentielle : et eux, sont-ils bons pour Israël ?
Voyez-vous, il n’est pas certain qu’Israël ait tant que ça besoin de tous ces juifs de France. Certes, d’un point de vue économique, ils sont un atout. Mais je ne parle pas d’un point de vue utilitariste. J’irais même jusqu’à dire qu’une telle venue massive pourrait être dommageable à une société israélienne tentée par ses extrêmes, travaillée par des forces contradictoires d’égalité et d’autocratie. Israël se trouve en effet à un tournant. Ou bien les forces humanistes, modérées et rationnelles gagnent la bataille idéologique, ou bien les forces irrationnelles, mystiques et racistes l’emportent, et alors ce sera non seulement un désastre pour les espoirs de paix, mais également un désastre pour le judaïsme, pour la société israélienne et ses minorités. Cette opposition n’est absolument pas soluble dans une division manichéenne gauche/droite. Ainsi, le président Ruby Rivlin, de droite, a fait plus contre le racisme anti-arabe en Israël que n’importe quel homme de gauche, et on trouve autant de dogmatisme et de débilité dans un camp ou dans l’autre.
Toutefois, dans cette bataille, un shoot soudain de juifs français pourrait grandement déséquilibrer le jeu en faveur des forces de l’immobilisme. Bibi Netanyahou par contre, lui, aurait bien besoin d’un shoot d’électorat de droite biberonné au sionisme imbécile, et qui pense que le moindre de ses pets est aussi sacré qu’une Loi donnée à Moïse au Sinaï. Pour ce faire, il est d’accord de donner aux juifs de France ce dont ils sont friands : de grandes déclarations vibrantes sur l’unité du peuple juif, de l’émotion, du cœur. Parce qu’il ne faut pas se leurrer, les budgets du Ministère de l’Intégration, ils sont pour les Russes et les Américains. La part dévolue à la alyah des juifs de France est absolument ridicule en terme de proportion, et alors même que la France est devenue cette année le premier pays exportateur de juifs au monde. Ça refroidit, hein ?
Mais peu importe, l’amour ne se mesure pas à la quantité d’argent, pas vrai ? Car le juif français est globalement très sioniste, très très sioniste, du genre sioniste viscéral, épidermique, comme assez peu d’Israéliens le sont. Ignorant l’histoire du sionisme et de ses nuances, il confond malencontreusement engagement avec anesthésie générale de l’esprit critique. Le juif français est aussi majoritairement de droite, car cela va pour lui avec le package tout compris « juifdedroitesoutienbibi ». Il a oublié qu’être juif ne comprend aucune option politique. Je n’ai pas encore trouvé le verset : « Et tu voteras pour Sarkozy ». Ni le Rachi : « même si ce con a voté pour la reconnaissance de la Palestine à l’ONU, il vaut mieux qu’un gauchiste ». Ce n’est pas que notre juif français soit de droite qui soit un problème, je viens moi-même d’une famille où tout le monde, depuis le nouveau-né jusqu’aux aînés, vote à droite. C’est que parfois, sa droite soit essentialisée, qu’elle ne porte pas sur des idées économiques ou sociales, mais qu’elle soit une posture identitaire.
Le juif français, cet archétype qui n’existe pas vraiment, mais que je typologise pour les besoins de mon argumentation, le juif français, disais-je, celui qui est dans la cible de la alya, est en général séfarade (j’ai le droit de le dire, je suis de l’équipe). Et ça, ça change tout. Parce que le juif séfarade, même s’il est né en France, a le sentiment que les Arabes, il les connaît, il sait leur parler, pas comme ce (connard) d’ashkénaze de gauche pacifiste pétri de haine de soi qui fantasme les Arabes. Hein, le séfarade, lui, il sait que les Arabes sont fourbes et qu’ils ne comprennent qu’un langage, la force. Ce n’est pas qu’il est raciste, non, Has Veshalom, il a au choix un ami menuisier/garagiste arabe. Il préfère se dire réaliste. Ça fait plus chic.
Le hic, c’est qu’il a raté une génération, parce qu’en Israël, de nouvelles réflexions se font jour, dans la lignée d’un Shlomo Elbaz ou d’un Meir Bouzaglo, sur l’identité partagée des juifs séfarades et des Arabes, sur les exemples du vivre ensemble expérimentés ponctuellement par les juifs orientaux en Afrique du Nord. Et qu’on ne me parle pas des multiples pogroms qui y ont eu lieu, je les connais et ne dépeins pas une Afrique du Nord rose et pleine d’amour qui n’a jamais existé, mais plutôt de certains ponts.
L’autre truc, également, c’est que notre juif français s’illusionne. Il croit qu’il va quitter un pays où il y a « trop d’Arabes » (la France donc) pour un pays où il y a certes 20% d’Arabes, « mais où au moins on est chez nous » (si on m’avait donné un euro chaque fois que j’ai entendu cette phrase, je serais milliardaire aujourd’hui). Sauf qu’il oublie que les Arabes ici aussi, ils sont chez eux, autant que lui. Pourquoi un Jonathan Abitbol né et grandi à Sarcelles, serait plus chez lui à Jérusalem qu’un arabe hiérosolymitain depuis des générations, qui connaît la ville comme sa poche et parle hébreu mieux que lui ? Moi je dis qu’ils sont tous les deux chez eux, pour des raisons différentes, et qu’il y a de la place pour vivre, si ce n’est ensemble, du moins côte à côte.
Dernier défaut de mon archétype de juif français, qui, si vous me suivez bien, n’existe pas vraiment tel quel, mais plutôt par touches et nuances : il est plutôt religieux. Il est ok pour aller en boîte ou coucher avec Marie-Christine, mais surtout pas pour qu’une femme danse avec un Sefer Torah. Faut pas déconner avec les valeurs ancestrales. Bon, on passe sous silence le fait que, s’il existe des dizaines de grands décisionnaires en faveur de cette dernière option, je n’en connais aucun qui permette la première. Ou peut-être le Rav de Gwyneth Paltrow.
Or, Israël, en tant que foyer juif et démocratie, est le théâtre de grandes évolutions dans ce domaine, à l’intérieur même du monde religieux orthodoxe. Les questions telles que la place de la religion dans la société démocratique, la place des femmes, le rôle de la Rabanout, le pluralisme, la notion de terre sainte, les textes juifs, sont l’objet d’intenses débats vers plus d’égalité et de justice au sein même d’une vie halakhique. Dans ces débats, le juif français conservateur ne sera d’aucune aide et contribuera au contraire à ce que rien ne change.
Français, gardez donc vos juifs, je préfère les miens.
Olivia Cohen
Source JewPop