La Méditerranée orientale est historiquement une région majeure. Berceau des civilisations égyptienne, hittite et hellénistique, première aire d’expansion des religions monothéistes, point de conflits et de rencontres entre l’Orient et l’Occident à l’époque des croisades, elle a été le cœur de puissants empires, depuis la division de l’Empire romain et l’avènement de l’Empire byzantin. L’effondrement du dernier d’entre eux, l’Empire ottoman, à l’issue du premier conflit mondial, a inauguré une période de morcellement et de tensions permanentes, en dépit de la domination franco-britannique. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, cette instabilité endémique s’est confirmée puis aggravée, nourrie par les conflits entre Israël et ses voisins, et par la non-résolution de la question palestinienne.
Pourtant, si cette rivalité israélo-arabe reste incontournable, avec le temps, elle a été concurrencée par d’autres abcès de fixation conflictuels qui influent sur la structuration des équilibres stratégiques de la région, parfois de manière déterminante.
Dès les années 1970, ce phénomène s’est manifesté avec la crise chypriote et la guerre civile libanaise. Et après les printemps arabes, il a été encore alimenté par d’interminables guerres civiles en Syrie et en Libye.
Au début du XXIe siècle, la querelle du partage des hydrocarbures de la Méditerranée orientale est apparue au départ comme le dernier avatar du différend chypriote entre Grecs et Turcs, voire comme une possible chance de surmonter ce conflit si la coopération dans l’exploitation des ressources énergétiques prévalait.
Or, non seulement ce miracle n’a pas eu lieu, mais l’ampleur des découvertes gazières dans la zone a révélé d’autres acteurs, eux-mêmes porteurs de leurs propres conflits ou opportunités de rapprochement. Ainsi, avec la découverte des gisements Tamar 2 et Léviathan à partir de 2009, Israël, importateur de gaz égyptien, a brusquement accédé au statut d’exportateur, ayant même vocation à alimenter son ancien fournisseur. Mais, celui-ci n’a pas tardé à être lui aussi comblé par Zohr, le plus important des champs gaziers identifiés dans la zone jusqu’à présent.
Chypriotes grecs et turcs, Israéliens et Égyptiens ne sont néanmoins pas les seuls prétendants à l’exploitation de cette manne. Les Libanais, freinés dans leur quête par leurs divisions internes, contestent la délimitation des champs d’exploitation israéliens.
Quant à la possibilité pour les Palestiniens d’accéder aux ressources présentes au large de la bande de Gaza, elle est hypothéquée par le blocus qu’impose Israël à une enclave gouvernée par le mouvement terroriste Hamas.
Dans une zone qui est de longue date handicapée par des conflits multiples et qui ne jouit pas des grandes ressources énergétiques moyen-orientales, cette manne gazière permet aux principaux acteurs concernés de rêver à une amélioration de leur sort.
Chypre, dont l’économie est très dépendante de revenus bancaires et a été touchée par la crise grecque, espère gagner une autonomie énergétique et diversifier ses rentrées de devises. Israël, devenu exportateur de gaz, lorgne les marchés européens.
Exsangue après la révolution du 25 janvier et ses suites, l’Égypte voit dans le gisement Zohr une nouvelle rente lui permettant de renouer avec la prospérité. Comme l’a dit à plusieurs reprises son président, la Turquie, pays en plein développement et toujours en quête d’énergie, ne peut ignorer ces ressources nouvelles.
Par ailleurs, le gaz de la Méditerranée orientale a accéléré un processus d’appropriation par les États des espaces maritimes, qui est un phénomène contemporain de plus en plus prégnant et donc potentiellement porteur de conflictualité.
La mer Égée, du fait de la présence d’une multitude d’îles, avait déjà été fortement impactée par la codification du droit de la mer, qui a contribué à réveiller la rivalité gréco-turque, endormie dans l’entre-deux-guerres. Les découvertes de gaz ont précipité la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) et produit un phénomène de partage de la Méditerranée orientale qui avive désormais les tensions entre ses pays riverains.
Enfin, ces ressources gazières, le phénomène d’appropriation qu’elles provoquent et la problématique corrélative des réseaux d’évacuation (gazoducs, transport du gaz liquéfié…) qu’elles impliquent influent sur la structuration des équilibres stratégiques de la région.
Ainsi, cette géopolitique gazière a favorisé un rapprochement entre la Grèce et Chypre, d’une part, et Israël, d’autre part ; pays dont les relations avaient longtemps été précaires au Proche-Orient.
Elle a par ailleurs conforté la rivalité turco-égyptienne patente depuis la déposition de Mohamed Morsi en 2013.
Elle a enfin permis à la Turquie d’inaugurer son nouveau statut de puissance régionale, en opposant à la convergence gazière qui s’est établie entre Chypre, Israël et l’Égypte, ses propres prospections au large de l’île d’Aphrodite et son intervention en Libye ; une initiative qui, notamment du fait de la délimitation de sa ZEE avec le gouvernement de Tripoli, l’a vue consacrer sa présence dans cet espace.
À cet égard, la création au Caire du Forum du gaz de la Méditerranée orientale, qui est devenu en 2020 une organisation internationale, est très révélatrice. Ce forum, dont l’Italie fait partie et auquel la France a demandé à adhérer, rassemble en effet les pays riverains de la région, à l’exception du Liban, de la Libye et de la Turquie.
Il reflète, en fait, les nouveaux équilibres stratégiques qui sont en train de se nouer dans cette aire, et montre qu’ils vont bien au-delà des seuls enjeux énergétiques.
Source Areion 24 News
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