Amira Oron n'est pas une inconnue au Caire. Cette diplomate chevronnée, maîtrisant parfaitement le dialecte égyptien, était en charge du service économique de l'ambassade israélienne au milieu des années 1990, sous Hosni Moubarak.
Première ambassadrice d'Israël nommée – en septembre dernier – en Égypte, elle mise sur l'économie pour achever la paix signée il y a près de 40 ans.
Officiellement attachés à la solution à deux États, les dirigeants égyptiens ont toujours refusé d'entretenir et afficher des relations d'amitié avec leurs homologues israéliens.
Aucun concert d'artiste israélien ne s'est tenu en Égypte en 40 ans, les investissements communs étant limités au secteur du textile.
Même si la question palestinienne n'est plus un sujet de mobilisation pour la population égyptienne – appauvrie et confrontée à un régime militaire encore plus répressif que celui de Moubarak –, une normalisation avec l'ennemi historique demeure une ligne rouge.
Mais la « normalisation » des relations entre Israël et les Émirats arabes unis, principal sponsor du régime d'Abdel Fattah al-Sissi, pourrait ouvrir la voie à un rapprochement avec l'Égypte.
Dans une interview exclusive au Point, Amira Oron assure que « le potentiel est énorme ».
Quant aux critiques de la communauté internationale sur les nouvelles constructions israéliennes en Judée Samarie, elle répond qu'« il n'y aura pas d'annexion des territoires dans un futur proche ».
Le Point : L'accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis a été immédiatement salué comme une étape en faveur de la paix par le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi.
Mais le ministère des Affaires étrangères égyptien a aussi accusé, il y a quelques jours, Israël de violer le droit international en continuant de construire de nouveaux logements en Judée Samarie. Y voyez-vous un double discours ?
Amira Oron : Non il n'y a pas de double discours. L'Égypte est le premier pays arabe qui a changé sa politique à l'égard d'Israël. Le monde arabe a mis du temps à l'accepter.
Ce que je comprends, c'est que l'Égypte veut dire aux autres pays de la région et à la communauté internationale qu'elle est pour la normalisation et pour la paix, mais la question palestinienne reste une question majeure et ne doit pas être oubliée. Israël le dit également.
On ne veut pas négliger les Palestiniens. Laissez-nous mener cette normalisation et élargir le camp de la paix.
Sauf que la normalisation impliquait au moins de geler la colonisation et annexion des territoires de Judée Samarie…
Nous ne sommes pas en train de construire de nouvelles colonies. Nous construisons des appartements dans des zones urbaines déjà existantes dans la banlieue de Jérusalem, de l'autre côté de la ligne verte.
En tout cas, il n'y aura pas d'annexion dans un futur proche. Par ailleurs, la question des colonies est un des sujets sur lequel nous sommes ouverts à la discussion quand les négociations reprendront avec les Palestiniens.
En 1978, les accords de camps David mettaient fin au conflit entre Israël et l'Égypte et débouchaient sur une « paix froide ».
On a vu plus de coopérations naître entre Israël et les Émirats depuis quelques mois qu'avec l'Égypte en 40 ans. Comment expliquez-vous cette hostilité persistante de l'Égypte ?
La paix n'est pas froide avec l'Égypte. Il y a une relation de très grande confiance et de compréhension mutuelle entre les deux pays. Nos dirigeants se parlent très régulièrement.
Nous partageons les mêmes frontières ainsi que les mêmes menaces venant d'organisations terroristes, dans le Sinaï, qui affectent aussi Gaza. Il n'y a donc aucune hostilité.
L'histoire entre Israël et les Émirats est différente, il n'y a pas eu de guerres. Il faut du temps pour changer les manières de penser l'establishment et des gens.
Les États-Unis ont tenté d'encourager les échanges égypto-israéliens en dispensant de droits de douane les industries égyptiennes qui utilisent des matériaux israéliens. 15 ans plus tard, les importations israéliennes en Égypte restent toujours limitées…
En 2019, l'Égypte a exporté vers les États-Unis près d'un milliard de dollars de vêtements grâce à ce protocole QIZ [c'est-à-dire le protocole sur les zones industrielles qualifiées, signé en 2004, qui exempte de taxes douanières américaines tous les produits égyptiens fabriqués avec 10,5 % de matériaux israéliens].
C'est un volume qui a bondi et représente pour Israël près de 90 millions dollars. Mais nous pouvons faire plus. Les échanges avec la Turquie s'élèvent à près de 5 milliards alors que les relations diplomatiques sont très tendues.
Nous aimerions amplifier nos efforts. Par exemple, dans le domaine de l'agriculture où nous étions présents il y a 25 ans.
J'espère qu'Israël et sa compagnie El Al, qui avait cessé ses vols vers l'Égypte pour des raisons économiques et non pas politiques, vont rétablir la liaison aérienne avec Le Caire.
Israël a également un besoin criant de matériaux de construction pour répondre à l'énorme pression démographique et l'Égypte peut y répondre. Le potentiel est énorme, compte tenu de notre proximité géographique.
Enfin, nous sommes très enthousiastes en ce qui concerne la création de la nouvelle plateforme d'échange pour l'énergie, l'« EMGF », qui est un pas important pour la stabilité régionale [EMGF est l'organisation internationale de coopération sur les champs gaziers l'Est méditerranéen, lancée officiellement en septembre dernier au Caire, avec Israël, la Grèce, Chypre, la Jordanie, l'Italie, l'Autorité palestinienne et l'Égypte, NDLR].
En matière de sécurité, la coopération est étroite, à tel point qu'Israël a autorisé l'armée égyptienne à revenir dans le Sinaï – enfreignant les accords de Camp David – pour lutter contre l'insurrection djihadiste. Comment jugez-vous la situation dans le nord du Sinaï ?
C'est aujourd'hui une zone plus stable. Nous soutenons les efforts de l'Égypte dans le Nord-Sinaï et je pense que les Égyptiens ont apprécié notre aide dans les moments les plus difficiles.
C'est un combat qui va prendre du temps, car le terrain n'est pas facile et les groupes terroristes se soutiennent mutuellement entre Gaza et le Sinaï.
Il y a des attentats meurtriers presque chaque semaine, après 6 ans de guerre et 2 offensives de l'armée contre 1 000 djihadistes. Daech a occupé trois villages du Nord-Sinaï cet été. Peut-on vraiment qualifier cette région de stabilisée ?
Ces problèmes restent concentrés seulement dans quelques zones. Le Sinaï est globalement plus calme.
La preuve en est que 300 000 touristes israéliens sont venus dans le sud de la péninsule en 2019, même si je rappelle que le ministère déconseille fortement aux Israéliens de s'y rendre.
Selon un journal israélien, un nouveau projet de pipeline avec l'Arabie saoudite servirait à transporter le pétrole vers l'Europe en évitant le coûteux canal de Suez.
Ne craignez-vous pas de créer des tensions avec l'Égypte pour qui le canal est une source de revenu majeur ?
Cet article ne repose sur aucun projet officiel. Il existe des restes d'une infrastructure de ce type qui date de l'époque où nous avions de bonnes relations avec l'Iran.
Ce pipeline partait de la côte méditerranéenne et connectait Israël à l'Iran, mais tout s'est arrêté après la révolution islamique de 1979.
Si jamais il y a un projet, nous veillerons à respecter les intérêts de l'Égypte, qui est notre partenaire et voisin. Nous ne voulons pas lui causer le moindre dommage.
Le directeur de la recherche des renseignements militaires israéliens, Avichay Adraee, a annoncé vouloir créer une Otan sunnite-isrélienne au Moyen-Orient. Ce projet inclut-il l'Égypte ?
Non, je ne connais pas les détails de ce projet, mais je ne pense pas que nous en sommes à ce point de concrétisation. Nous aurions plutôt besoin d'une Otan sur les questions civiles et économiques.
Quoi qu'il en soit, ce type de projet ne pourrait pas aboutir sans l'Égypte.
Sous la pression des États-Unis, le Soudan a annoncé, le 23 octobre, la fin des hostilités et la reprise de relations économiques avec Israël. Une nouvelle victoire pour Israël ?
Oui, c'est un succès important pour la diplomatie israélienne. Ces relations vont principalement se concentrer sur les questions économiques où Israël et le Soudan peuvent s'enrichir mutuellement, par exemple dans le domaine agricole et de l'utilisation de l'eau.
Vous nous aimez, prouvez-le....