mardi 5 novembre 2019

« Sur l’histoire des juifs français Macron a tout faux ! »


Emmanuel Macron a affirmé devant le Centre européen du judaïsme le lien entre la République et le déracinement judaïque. Shmuel Trigano, sociologue, contredit l’interprétation historique du président.......Détails........


Au terme de son allocution lors de l’inauguration du Centre européen du judaïsme, une allocution présentant le judaïsme européen comme l’âme de l’Europe, le président a fait part à l’assistance - presque sur le ton de la confidence - de ce qui lierait, selon lui, la République au judaïsme, en tout cas opèrerait leur convergence, hier comme aujourd’hui. 
Pour introduire sa conception, il s’est appuyé sur la thèse de Simone Weil (1909-1943), philosophie chrétienne d’origine juive, mais pour s’en démarquer. Une phrase la résume: «Les Juifs, cette poignée de déracinés, a causé le déracinement de tout le globe terrestre (...) La malédiction d’Israël pèse sur la chrétienté. 
Les atrocités, l’inquisition, les exterminations d’hérétiques et d’infidèles, c’était Israël. Le capitalisme c’est Israël. Le totalitarisme, c’est Israël».
La comparaison du président mérite un commentaire approfondi. En critiquant ce jugement, à la limite de la pathologie, le président identifie donc la République au déracinement judaïque, non plus pour le condamner mais pour le revendiquer. 
Pour l’opposer implicitement (on le suppose) aux chantres de l’enracinement que seraient les souverainistes et les anti-européïstes, les «nationalistes» dans son vocabulaire, qu’il oppose aux «progressistes». 
Dans son discours il reprend d’ailleurs l’idée de Simone Weil pour laquelle ce déracinement est le propre des Lumières: 
«La tendance des Lumières, XVIIIème siècle, 1789, laïcité, a accru encore infiniment le déracinement par le mensonge du progrès; et si l’Europe déracinée a déraciné le reste du monde par la conquête coloniale; le capitalisme, le totalitarisme font partie de cette progression dans le déracinement. Les Juifs sont le poison du déracinement». 
En un mot, la République, avec son supposé «universalisme» s’opposerait à la nation, avec son supposé «particularisme», «identitarisme», en un mot aux «racines».
L’idée peut être discutée. Elle relève d’une conception du monde dans laquelle l’homme se dissocie de l’emprise de la nature et opte pour le règne de la Loi. La République étant (théoriquement) un ordre légal, elle s’identifierait aux «droits de l’homme» et pas restrictivement du «droit des citoyens», pour ne pas parler du «droit des Français». 
En somme la République détrônerait la nation, «l’identité», l’historicité. On comprend qu’aux yeux du président, la République ne disparaît pas en rejoignant l’Union européenne, ce dépassement des États nations. 
Les frontières impliquant terroir, langue, peuple, souveraineté seraient dépassées. 
Tout homme, de par le monde, pourrait-on dire serait appelé à revendiquer la nationalité française (ou plus exactement la citoyenneté). Il n’y aurait plus d’«immigrants» (ce qui suppose frontières, nation...) mais des «migrants» en avenir intrinsèque d’être de plein droit des citoyens français. 
Cette vision puise ses sources dans une interprétation de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui ne tient pas compte du fait que l’histoire de l’Europe ne l’a rendue possible que dans un cadre national. 
Nous sommes ici en plein débat avec les thèses de l’idéologie post-moderniste, une idéologie post-marxiste qui a hérité de Marx son aversion pour la nation.
Remarquons au passage combien elle fait en Europe la place à l’antisionisme, une des filiales du post-modernisme. 
Car, dans cette Europe en forme de salle des pas perdus, Israël apparaît comme le contraire absolu, nation à la nuque raide, assoifée de territoires occupés, trop attachée à son passé, ultra-religieuse et oppressive.
N’oublions pas non plus l’impact délétère de la comparaison de Macron en France même où les «nationalistes» supposés ne peuvent manquer de manifester leur hostilité envers les Juifs qui les «déracineraient», au profit d’un pouvoir lointain, global, européen, si loin du souci des classes malheureuses, des laissés pour compte de la globalisation. 
Cible des «progressistes», par antisionisme, mais aussi cible des «nationalistes,» par anti-globalisme.
Sur le plan de l’histoire des Juifs français, cependant, Macron comme Weil ont tout faux! Les Juifs devenus citoyens ont parfaitement joué le jeu de la nation. Ils ont adopté Jeanne d’Arc et. Ils devinrent français et pas seulement «citoyens». 
C’est l’antisémitisme, Vichy qui les a trahis. C’est l’affaire Dreyfus qui leur a fait comprendre que c’est la forme nationale qui manquait à l’émancipation, ce qui explique pourquoi, c’est à Paris que Herzl conçut le sionisme.
Mais il y a aussi une discussion de fond à mener, sur l’enjeu philosophique et métaphysique du jugement de Simone Weil. 
Il est vrai que le judaïsme se dissocie de la Terre, où l’homme est «chassé» (Gn 3,24) car son lieu électif est l’état de l’être que symbolise le jardin d’Eden (par rapport à la Adama/la terre). Cette dissociation a pour finalité d’habiter la terre de façon humaine, sans faire corps avec elle, car elle n’est pas le lieu ultime de l’homme. 
Il y a dans le texte biblique une doctrine extrêmement élaborée de la terre et de la présence au monde, dont on ne perçoit la profondeur que dans le texte hébraïque, ce qui a échappé à Simone Weil. 
L’«exil» n’est pas un déracinement mais la façon de redécouvrir le lieu de l’homme. C’est une condition existentielle et pas circonstancielle, sans être éternelle, car elle porte un «retour» qui n’est pas retour à l’originaire mais à l’originel.

Par Shmuel Trigano

Professeur émérite des Universités, Shmuel Trigano est philosophe et sociologue, spécialiste de la tradition hébraïque et du judaïsme contemporain.

Source Le Figaro
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