L’œuvre est signée Fatmir Limani, artiste connu pour ses œuvres provocatrices visant les extrêmes de tout bord dans son esprit: la religion, la N-VA… Ses coups de pinceaux vont jusqu’à présenter des phallus, des drapeaux détournés...
Un artiste de 57 ans sans tabou - "L'art, c'est cracher, vomir et chier ce que l'on a dans le ventre", dit-il lui-même -, actif dans le milieu depuis une trentaine d’années. Un artiste qui occupe également des fonctions politiques en tant qu’échevin PS de la Culture à Koekelberg, en Région bruxelloise.
Un choix de "mauvais goût"
Mais voilà, son "tableau nazi", parmi la dizaine d’œuvres exposées jusqu’au 30 septembre à la galerie Bog-Art, passe beaucoup moins, principalement au sein de la commune juive.
Yohan Benizri est le président du CCOJB, le Comité de Coordination des organisations juives de Belgique.
La RTBF l’a interrogé: il a été interpellé par plusieurs personnes depuis une semaine. "On m’a reporté cela. Cela a donc choqué. Voir un signe comme cela dans les rues de Bruxelles, cela peut heurter.
Lorsque les gens l'ont vu, dans un contexte de montée de l’antisémitisme, cela donne une image de la Belgique encore pire que celle qui existe aujourd’hui au sein d’une population juive et non juive. La première réaction a donc été le choc, cela rendait fou.
Dans un second temps, nous avons recueilli des informations sur l’artiste, sur ses œuvres. Nous nous sommes rendu compte que l’artiste avait une approche un petit peu décalée, pour le dire ainsi, de l’art.
Il souhaite ne pas rendre indifférent, il souhaite choquer, qu’on aime, qu’on déteste.
Mais au final, j’ai plutôt l’impression que c’est du populisme artistique: on crée quelque chose de choquant sans pour autant proposer une valeur ajoutée. J'entends: l’artiste ne souhaite pas faire la promotion de cette idéologie. Mais son choix est de mauvais goût."
L’artiste insiste: s’il a voulu titiller, provoquer, choquer, c’est d’abord pour dénoncer.
"Le thème de l’exposition est la montée du fascisme et du nazisme dans le monde. Quand je parle de fascisme, c’est le fascisme politique et le fascisme religieux", explique à la RTBF Fatmir Limani dont les tableaux exposés vont de portraits de déportés (avec une mention "Et Dieu créa le génocide") à des réalisations dénonçant les religions monothéistes et leur "gourou". "Je suis conscient que mes œuvres choquent.
Des personnes ont été choquées, d’autres comprennent. A partir du moment où on peut discuter, tout se met en place.
Concernant la toile présente en vitrine, j’ai toujours réagi et j’ai toujours lutté contre le fascisme et le nazisme", explique ce fils de réfugié albanais qui a connu les camps en ex-Yougoslavie.
"Par le passé, des bulldozers ont mis sous terre des êtres humains, parce qu’ils étaient juifs, tziganes, homosexuels, communistes: ce n’est pas ma tasse de thé. D’où ma réaction au travers de mes peintures."
L’artiste a de très bonnes intentions
Mais le public peut-il tout entendre et tout comprendre, en ne s’arrêtant qu’à la croix gammée exposée en vitrine?
"Il y a quelques jours, j’ai reçu un mail disant que c’était inacceptable de donner pignon sur rue à une telle œuvre", raconte Daniel Smets, le galeriste qui accueille Fatmir Limani.
"Je me suis permis de réponse poliment de prendre contact avec l’artiste qui lui a de très bonnes intentions."
Les intentions suffisent-elles? Au nom de l’art, peut-on tout peindre et ensuite tout exposer? Le débat est vaste.
"En tant que telle, la croix gammée et toute l’iconographie nazie n’est pas interdite en Belgique", réagit Patrick Charlier, le directeur d’Unia, le centre interfédéral contre le racisme. "Rien dans la loi ne prohibe l’exposition d’une croix gammée.
Tout dépend du contexte dans lequel cela se fait. Si dans le contexte on peut interpréter cela comme étant une forme du négationnisme ou comme une approbation de ce qu’a commis le régime nazi, cela tombe sous les dispositions de la loi relative au négationnisme.
Cela peut éventuellement être une forme d’incitation à la discrimination ou à la violence à l’égard des juifs. Mais voilà, ici, nous sommes dans une œuvre artiste. Le choix de l’exposition n’est donc pas contraire à la loi."
Concernant le travail de Fatmir Limani, "il faut recueillir les informations sur ses intentions en tant que telles, il faut l’entendre expliquer les raisons pour lesquelles il réalise cette œuvre.
Voir quelles sont ses autres œuvres aujourd’hui et par le passé, pour voir quelle est la pensée qu’il développe, s’il cherche à provoquer. Il faut également voir quelles sont les intentions du galeriste.
Il faut donc connaître le contexte." Pour Patrick Charlier, il n’y a rien de comparable avec la maison nazie de Keerbeergen, décorée par un admirateur du Troisième Reich.
Des passants figés
Il n’empêche: pour la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA), on ne peut pas se contenter de la simple approche artistique. "Nous avons reçu plusieurs signalements au sujet de cette œuvre et je me suis rendu sur place", explique Joël Rubinfeld, président de la LBCA.
"Mais la galerie était fermée ce jour-là. Je suis resté devant, dans la rue. J'ai rencontré plusieurs passants choqués et notamment deux touristes allemands, littéralement figés à la vue de ces croix gammées.
L’artiste se place sur le champ de la dénonciation et non pas de l’apologie. Néanmoins, le quidam qui passe devant cette galerie n’a pas lui les clés pour décrypter le message véhiculé par l’artiste.
Mais au-delà de ce cas précis, il y a une problématique liée à la vente et la promotion d’objets liés au Troisième Reich, que ce soit sur des marchés, sur les brocantes, dans les salles de vente...
Il se trouve que notre arsenal législatif est faible sur ce problème spécifique, contrairement à la France ou l’Allemagne. La Ligue a donc entamé un dialogue avec des membres du Parlement fédéral pour entamer une réflexion sur la question et à terme légiférer."
Fatmir Limani ne balaie pas la polémique, loin de là. "Je suis conscient que mon travail choque.
Mais je ne peux pas faire autrement que de représenter ce qui m’a choqué dans mon existence. Massacrer des enfants parce que juifs, jamais, jamais, jamais je ne pourrais l’accepter!"
L'exposition est visible à Bog-Art jusqu'au 30 septembre, rue des Bogards 18.
Source RTBF
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