lundi 9 septembre 2019

Bioéthique et PMA : pourquoi des représentants de cultes ont-ils pris part au débat à l'Assemblée nationale ?


Ils ont pris place dans la salle Lamartine de l'Assemblée nationale, face à une trentaine de députés prêts à recueillir, et interroger, leur regard sur la bioéthique. Jeudi 29 août, trois représentants des cultes juif, protestant et catholique ont été auditionnés pendant plus de deux heures par la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique.......Détails........



L'un après l'autre, ils se sont exprimés sur les points saillants du texte – notamment son premier article, l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires.
"Quand une femme fait le choix d'être avec une autre femme, elle s'empêche d'avoir un enfant avec quelqu'un", a défendu le grand rabbin de France, Haïm Korsia. 
Et Pierre d'Ornellas, de la Conférence des évêques de France, d'appuyer : "Lorsqu'il y a un dilemme entre le désir d'enfant d'une femme et la dignité de l'enfant, et son droit d'avoir un père et une mère, il faut aller de façon primordiale vers la protection du plus faible." 
A leurs côtés, le président de la Fédération protestante de France, François Clavairoly, a questionné la "fabrication d'enfants à la demande". "Je ne dis pas non [à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes] mais je dis réticence donc vigilance", a-t-il souligné. 
L'audition s'est déroulée "dans une atmosphère sereine, respectueuse", juge auprès de franceinfo Haïm Korsia, à l'instar de Francis Chouat, l'un des vice-présidents de la commission spéciale. 
"C'était vraiment une audition des plus intéressantes, et qui s'est faite dans un climat apaisé et de dialogue", se félicite le député LREM de l'Essonne. Pourtant, cette même audition a fait tiquer dans les rangs des députés comme des associations consultées. 

"Pourquoi les entend-on sur la bioéthique ?"

Les deux élus La France insoumise de la commission, Danièle Obono et Bastien Lachaud, ont fait le choix de boycotter ce temps d'échange. 
Pourquoi ? 
"Les députés de La France insoumise refusent de participer à cette entorse au principe de laïcité (…) L'Assemblée nationale prend des décisions politiques en votant des lois, qui n'ont pas à tenir compte de vérités révélées", ont-ils expliqué dans un communiqué. 
Contacté par franceinfo quelques jours après l'audition, Bastien Lachaud campe sur ses positions. 
"La République ne reconnaît aucun culte. Comment peut-on reconnaître ces représentants et les auditionner ? 
Et pourquoi les entend-on sur la bioéthique, et pas sur le logement par exemple?" s'indigne le député de Seine-Saint-Denis. 
Il comprend que l'on entende les associations familiales catholiques (AFC), comme ce fut le cas le 27 août, "car elles sont là en tant qu'unions de familles". "Ce sont les représentants de cultes qui me posent problème." 
Non, répond l'association LGBT chrétienne David & Jonathan. L'une de ses membres en charge de la PMA, Marianne Berthet-Goichot, est catholique pratiquante. 
Il y a six ans, elle et sa femme ont eu une petite fille grâce à une PMA réalisée en Belgique. 
"Nous vivons dans une démocratie, il est normal que tout le monde puisse s'exprimer, commente-t-elle. 
Mais ces représentants parlent au nom de l'Eglise, alors que l'Eglise, elle s'exprime aussi au nom de ses pratiquants. Il ne faut pas croire qu'il n'y a qu'une seule parole dans cette Eglise. 
Les chrétiens sont plus divisés" sur les sujets de bioéthique. Autre écueil, d'après elle : "Ces représentants partent de dogmes, et non d'expériences des personnes." 
Deux jours avant l'audition de ces représentants de cultes, d'autres associations LGBT+ ont pris la parole en salle Lamartine. 
C'est le cas de l'Association des familles homoparentales (ADFH). Comprend-elle ce choix d'entendre des religions souvent hostiles à leurs situations ? "Leurs représentants peuvent être entendus. 
Mais les entendre à l'Assemblée nationale, qui est une institution républicaine, cela me choque", réagit le président de l'ADFH, Alexandre Urwicz. "Ils auraient pu être entendus dans leurs propres institutions", poursuit le militant, qui dénonce une atteinte à la laïcité. 
A l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), Nicolas Faget, son porte-parole, reconnaît la certaine "autorité morale" de ces figures religieuses auprès des croyants. 
"Il ne faut pas la nier, ni aller complètement contre car on risquerait de braquer des personnes", développe-t-il. 
Mais il s'interroge. Dans ce débat démocratique autour de la bioéthique, où "toutes les organisations de près ou de loin liées à la famille ont le droit de s'exprimer" à son sens, quel rôle la religion joue-t-elle ? 
"Certains dans ces religions – pas tous – aimeraient que l'on n'existe pas", souligne le porte-parole de l'association. 
Les entendre dans l'une des institutions de l'Etat peut donc, à ses yeux, "choquer". 

"Consulter n'est pas une atteinte à la laïcité"

Pourtant, l'audition de représentants des religions devant une commission parlementaire est loin d'être une première. 
"Les cultes font partie intégrante des débats sur la bioéthique depuis les années 1980", rappelle l'historien et sociologue Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité. Depuis, le législateur sonde régulièrement les principaux cultes français, pour des projets de loi à portée sociétale. 
La commission des Affaires sociales les a entendus sur la question des soins palliatifs en octobre 1998. Cinq ans plus tard, la mission d'information sur l'accompagnement de la fin de vie a de nouveau fait appel à eux. 
Il suffit de consulter la liste des auditions du cardinal André Vingt-Trois, ancien archevêque de Paris, pour mieux s'en rendre compte. 
Mission d'information parlementaire sur la famille, projet de loi sur le repos dominical, ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe… En à peine huit ans, le cardinal a été entendu six fois par les parlementaires. 
Et cela ne constitue pas une entorse à la loi de 1905, estime Jean Baubérot. "Consulter n'est pas du tout une atteinte à la laïcité. Cela le serait si la position d'une religion était normative", autrement dit source de loi, poursuit le sociologue. 
"Le principe de laïcité n'empêche pas l'Etat et les représentants du peuple d'écouter les différents courants de pensée, quels qu'ils soient, notamment les cultes", confirme à franceinfo Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité. 
François Clavairoly, invité par la présidente de la commission, estime que si les religions sont entendues sur ces sujets, c'est qu'elles "apportent une expertise dans l'humain". 
"Les religions sont par définition en contact quotidien avec la vie des gens, en particulier avec la vie des couples et des familles lorsqu'il y a infertilité, deuil, développe-t-il. 
Elles sont des ressources spirituelles et intellectuelles", représentant des pans entiers de la société, poursuit le président de la Fédération protestante de France. 
Elles ont donc, selon lui, toute leur place à la table des débats. "Aucune parole en République n'est en surplomb d'une autre. J'entends la crainte des associations [défendant l'ouverture de la PMA] mais il faut affronter le débat. C'est le jeu démocratique."
La commission spéciale sur la bioéthique est sur la même ligne. "Ce sont des questions qui touchent à la dignité humaine, aux droits des enfants et au sens des formes nouvelles de vie en société, analyse le député LREM Francis Chouat. Il y a une dimension intime, religieuse même", justifiant "l'éclairage important" d'opinions telles que celles des cultes. 
"C'est utile à notre propre réflexion, pour sortir du risque de rester dans l'examen purement technique et scientifique de la loi", défend le vice-président de la commission. 
Philippe Berta, l'un des rapporteurs, qui se définit comme "un laïcard plutôt agnostique", estime en outre qu'"il faut savoir écouter tout le monde". "Ce n'est pas parce que l'on écoute que l'on se range à un jugement." 
Aux yeux des associations de familles homoparentales, ces auditions découlent aussi de la volonté de l'exécutif d'un "débat apaisé" autour de cette loi, six ans après les vives tensions autour du mariage pour tous. 
Le 21 août, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a évoqué face à la presse "l'objectif" et "le souci" "d'avoir des débats apaisés", et "d'associer le plus grand nombre" aux discussions. 
Une diversité d'opinions soulignée par un autre rapporteur, le député LREM du Rhône Jean-Louis Touraine. 
Par souci d'apaisement, "l'immense majorité" des membres de la commission ont donc jugé nécessaire l'invitation de ces représentants. "Au moins, on ne se pose pas en totalitaires refusant d'entendre tout autre point de vue, commente Jean-Louis Touraine. 
Et si vous ne les invitez pas, vous leur faites un cadeau immense. Ils peuvent alors se présenter en martyrs."

"Il faut que tous soient entendus de manière égale"

Cette audition de religieux survenue le 29 août, dans la lignée de dizaines d'autres, était pourtant différente sur un point. 
Le 29 novembre 2012 à l'Assemblée nationale, six représentants de cultes étaient invités à s'exprimer sur la loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels. 
Le Conseil français du culte musulman (CFCM), l'Assemblée des évêques orthodoxes de France et l'Union bouddhiste de France étaient bien présents, auprès de figures des cultes catholique, juif et protestant. Pourquoi ne l'étaient-ils pas cette fois-ci ? 
Le président par intérim du CFCM, Dalil Boubakeur, n'a pu être présent en raison de problèmes d'agenda, précise son attaché de presse à franceinfo. "Monsieur Boubakeur aurait aimé être entendu. 
En sa qualité de médecin, il traite de la bioéthique depuis dix ans", précise-t-il. En retour, la commission lui a proposé "une contribution écrite", portant sur les questions que les députés souhaitaient poser. 
Mais d'autres cultes n'ont pas été conviés. C'est le cas de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France et de l'Union bouddhiste de France, que franceinfo a contactées. 
"Nous avons été assez étonnés de l'apprendre le jour même par voie de presse, sans avoir été ni avertis ni conviés", réagit le révérend Olivier Wang-Genh, coprésident de l'Union bouddhiste de France. 
"C'est inhabituel, poursuit-il. Ces dernières années, nous avons été systématiquement conviés pour ce genre d'auditions. Pour le mariage pour tous, pour la fin de vie… Au même titre que les autres cultes."
Interrogé sur ce point, le rapporteur Philippe Berta explique que ces auditions autour de la loi de bioéthique se déroulent sur un temps particulièrement réduit – douze jours précisément. 
"Tous les cultes n'ont pas été entendus, la représentation nationale fait ce qu'elle souhaite, rappelle Nicolas Cadène, de l'Observatoire de la laïcité. Il est néanmoins toujours bien, si l'on invoque la laïcité, d'ouvrir le débat très largement à tous les courants de pensée. On traite ainsi tout le monde à égalité." 
D'autres organisations regrettent ce manque d'"égalité" au fil des auditions. L'association Mam'en solo, qui réunit des femmes célibataires, n'a été entendue qu'à travers une audition rapporteur, où seuls dix députés étaient présents. 
"Les représentants des cultes, eux, ont eu une audition publique. C'est une injustice", estime Isabelle Laurans, cofondatrice de l'association. 
"Souvent, les opposants sont très entendus, alors que nous avons bataillé pour être auditionnés. 
Il faut que tous soient entendus de manière égale, et qu'on laisse la place aux personnes directement concernées, insiste la mère célibataire. Nous sommes les meilleurs experts de nous-mêmes."

Source France TV Info
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