jeudi 20 décembre 2018

Eliette Abécassis, baby blues


Oisillon que l’on nourrirait volontiers davantage, dont le timbre de voix frôle celui de l’enfant, Eliette Abécassis a pourtant choisi de militer fermement contre un sujet très clivant : la gestation pour autrui (GPA). Elle bataille en envisageant le pire. Pour elle, si nous continuons sur cette pente permissive, la filiation fera fi de la sexualité et des mères........Analyse.........



Dans son essai, Bébés à vendre, elle s’indigne du «droit à l’enfant» encensé par un temps individualiste, qui tient le bébé pour «un produit de consommation quelconque que l’on serait fier d’avoir acquis, et qui témoigne de notre succès». Elle s’en prend à la marchandisation du corps des femmes due à «l’hypercapitalisme». 
Ce procès des évolutions de «la société» a paru au moment où Marc-Olivier Fogiel, nourri de son expérience, publiait son plaidoyer pour la gestation pour autrui. Pourquoi se bat-elle contre la GPA ? «C’est un fait social global : on tire ce fil et viennent le capitalisme pur et dur et le transhumanisme, qui détachera la mère de l’enfant.»
«Eliette Abécassis est un paradoxe vivant et brillant», dit Pierre Moscovici, dont elle fut l’assistante en 1992 et 1993. Alors secrétaire national du PS, il briguait un mandat de député dans le Doubs. 
«Elle est libre mais attachée à la religion, à la fois moderne et traditionnelle. Ce balancement donne son prix à sa personnalité.» 
Féministe quand elle s’attaque dans un roman au discours béat sur le bonheur de la grossesse et de la maternité (Un heureux événement), libérale lorsqu’elle écrit avec Amos Gitaï le scénario du film Kadosh, une critique des juifs orthodoxes du quartier de Mea-Sharim à Jérusalem et plus particulièrement du sort qu’ils réservent aux femmes, Eliette Abécassis est néanmoins respectueuse des traditions et déplore «la perte actuelle des valeurs».
Lorsqu’elle travaillait avec Moscovici, la jeune femme avait 23 ans, elle avait réussi le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure et l’agrégation de philosophie. 
Elle s’engageait pour un parti viscéralement laïque en étant elle-même juive pratiquante. Elle l’est toujours. Il apparaît vite que la dualité sera le fil directeur de ce portrait : elle se montre à la fois très réservée dans ce café du XVIe arrondissement parisien où elle a choisi qu’ait lieu l’entretien, elle habite pas loin, et indiscrète dans ses romans dont les thèmes s’inspirent de ses déceptions et déboires affectifs. Une affaire conjugale raconte un divorce hautement conflictuel. Ce fut le cas du sien.
Les autres techniques de procréation médicalement assistée ne posent aucun problème à Abécassis, le mariage pour tous et l’homoparentalité non plus, mais la garde alternée qui rythme les semaines de ses enfants de 12 et 14 ans l’affole : «Je ne sais pas qui a pensé à ce système mais je le trouve aberrant. Les enfants sont déchirés, instrumentalisés. 
Nous, adultes, ne supporterions pas d’être coupés en deux.» Elle s’inquiète pour les siens, «très perturbés». Ne pourrait-elle pas changer de mode de garde ?«C’est impossible, parce que la garde alternée est à la mode. Elle résulte de l’égalitarisme entre l’homme et la femme, du masculinisme. Les pères pensent que tout doit être égal alors que tout ne l’est pas !» 
Elle est à fleur de peau sur la question, si bien que nous nous gardons d’avancer qu’elle voit tout en noir et que certaines gardes alternées se déroulent bien. A nouveau en couple, elle insiste sur son «engagement féministe». Les conceptions du féminisme sont multiples, la sienne réaffirme les différences entre les sexes, ce qui ne l’empêche pas de s’offusquer qu’une femme sans enfant détonne «dans notre société». 
Cette ligne la rapproche de Sylviane Agacinski, autre agrégée de philosophie engagée, et depuis longtemps contre la GPA.
Eliette Abécassis est belle et pleine de grâce. Sa longue et soyeuse chevelure noire se détache joliment du camaïeu de violet qui l’habille. Mais de son pessimisme se dégage un monde un peu triste.

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Ses parents, tous deux universitaires, sont nés au Maroc et ont émigré à Strasbourg dans les années 60. Sa mère enseignait la psychologie et son père, Armand, professeur de philosophie, est l’auteur d’ouvrages remarqués sur la pensée juive. 
Impossible de leur imputer le goût de leur fille pour l’engagement. «Ils n’étaient pas politisés, ils étaient libres», dit-elle.Et pratiquants. Pour sa maîtrise et son DEA, elle a travaillé sur le mal en philosophie. 
Peu de temps après sa collaboration avec Moscovici, elle publie Qumran, un thriller historico-ésotérique qui s’est vendu à 200 000 exemplaires en France et fut traduit en 18 langues. 
«C’était dix ans avant Da Vinci Code», précise-t-elle, et plutôt dans la lignée du Nom de la Rose d’Umberto Eco. 
Manque de chance, son premier éditeur a fait faillite : «Je n’ai pas pu cueillir tous les fruits de ce succès mais j’étais contente.» 
D’autres succès suivront qui répareront cet accident. Un heureux événement fut adapté au cinéma et la Répudiée, novélisation de Kadosh, se vendit à 100 000 exemplaires.
A travers ces réussites, nous retombons sur le paradoxe qui la définit. Cette intellectuelle place au plus haut dans son panthéon personnel Jürgen Habermas et Hans Jonas, mais elle écrit pour le grand public, qui est au rendez-vous. Quoique… Il deviendrait de moins en moins possible de vivre de sa plume : «Les livres ne se vendent plus. 
Mes enfants me disent que leurs amis ne mettent jamais les pieds dans une librairie. Tout le monde regarde des séries.» Elle, non. La journée, le soir, elle lit. Si les ventes en librairie continuent de décliner, elle reprendra l’enseignement et semble l’envisager sans gaieté de cœur.
Aujourd’hui, elle n’est plus socialiste, soutient Emmanuel Macron : «J’ai adhéré à ses idées dès le début.» 
Elle le considère comme un «rempart» contre l’extrême droite. Les manifestations des gilets jaunes et le climat haineux actuel ont provoqué chez elle une crise d’angoisse : «J’ai eu des palpitations.» Pour Moscovici, elle est «un mystère». 
«Beaucoup auraient caché notre collaboration, car en ce moment, peu nombreux sont ceux qui se vantent d’avoir travaillé pour le PS. Cette fidélité est courageuse.» Fidélité : le mot qualifie aussi son lien au judaïsme, qu’elle juge remarquablement incarné par la rabbin Delphine Horvilleur. 
Qu’est donc allée faire Eliette Abécassis dans cette galère qu’est la lutte contre la GPA ? Pourquoi ne garde-t-elle pas son énergie pour d’autres activités ? 
L’une de ses joies consiste à transformer sa vie en roman : «C’est une façon d’enchanter ou de dramatiser mon existence. Je fabrique des histoires, c’est une seconde nature.» Une façon comme une autre, et nous avons chacun la nôtre, de se compliquer l’existence.



Source Liberation
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