mercredi 19 décembre 2018

Dans la zone frontalière sous l’emprise du Hezbollah, on veut « provoquer Israël »....


Face à certains villages du Liban-Sud, la ligne bleue ressemble désormais à un gruyère : l’armée israélienne fouille depuis quinze jours la terre à la recherche de tunnels creusés par le Hezbollah et menant à son territoire. Autour des deux côtés de la frontière, la vie se poursuit, apparemment calme et tranquille. Dans la brume de l’hiver, on distingue des véhicules qui circulent lentement entre les maisons dans les kibboutzim frontaliers. Dans les villages libanais, les habitants vaquent à leurs tâches quotidiennes.......Sauf que........



À Maïs el-Jabal, pour la seconde journée consécutive hier, les membres de la Finul (Force intérimaire des Nations unies pour le Liban-Sud), les observateurs de l’Onust (l’Organisme des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve), l’armée libanaise et ses services de renseignements, ainsi que la Sûreté de l’État sont mobilisés dans la zone dite de Kouroum el-Charaki, un secteur litigieux de la ligne bleue. 
Ici, depuis deux semaines, quatre foreuses israéliennes creusent la terre de l’autre côté de la frontière.
Lundi, la tension est montée d’un cran quand les soldats israéliens ont voulu installer de nouveaux barbelés. 
Ils en ont néanmoins dû arrêter l’installation, le temps que la Finul et l’armée libanaise vérifient s’il y avait là violation de la ligne bleue.
Sur le chemin escarpé qui mène à Kouroum el-Charaki, l’air est empli du ronronnement des foreuses israéliennes. 
Les militaires de l’État hébreu ont placé des barricades de sable pour se cacher des badauds qui convergent de tout le Liban-Sud, comme s’ils allaient en pèlerinage sur cette zone de la ligne bleue. 
« Nous sommes là pour provoquer les Israéliens », affirme Ali, un adolescent venu de la ville de Tyr. Certains arrivent avec des thermos de café et des canettes de Coca, alors que d’autres escaladent le chemin portant leurs narguilés.
Abou Hussein, originaire de Maïs el-Jabal, s’exclame en fumant sa pipe à eau : « Tous le monde est venu voir ce qu’il se passe. Je suis du village, je suis donc prioritaire. » 
Un autre homme, se protégeant de la pluie sous un arbre, estime que « le Hezbollah n’a pas besoin de tunnels pour se déplacer. Ses hommes sont courageux, ils font tout au vu et au su de tous. »
Dimanche, les militants du Hezbollah et d’Amal ont planté, face à l’armée israélienne, leurs drapeaux, ainsi qu’une pancarte clairement visible du côté israélien de la frontière, où l’on peut lire en arabe et en hébreu : « Nos générations resteront résistantes et leur slogan est Israël est le mal absolu. »

« Mais ce n’était pas sur al-Manar ! »

À l’entrée du village, une femme assise devant son épicerie est tout de noir vêtue. Elle a perdu son fils Hussein en 2016, en Syrie. 
« Il avait 23 ans. Il se battait à al-Ghouta, non loin de sitt Zeinab », dit-elle. Nawal n’a pas été à Kouroum el-Charaki. « Les jeunes y vont tous les jours, je n’ai pas eu le temps d’y aller », explique-t-elle. 
« Les Israéliens sont en train de forer toute la frontière du village », raconte un homme montrant deux foreuses face à la localité de Ramia. 
« Il y a trois foreuses aussi un peu plus loin en face de ma maison », dit-il, ajoutant qu’il y a aussi des excavations au niveau de la porte de Tabrikha, non loin de là. 
« Vous savez, Tabrikha, c’est le nom palestinien, avant 1948, du kibboutz de Zarit », ajoute-t-il.
Alors que la Finul a elle-même reconnu, ces derniers jours, l’existence de tunnel, l’homme, à l’instar d’autres habitants interrogés, doute de leur existence. 
« Nous aurions vu cela à la télé ! » estime, comme tant d’autres, un quinquagénaire. Quand on leur fait savoir que CNN de même que les télévisions et les médias sociaux israéliens ont filmé les tunnels, plus d’un rétorque : « Mais ce n’était pas sur al-Manar (la télévision du Hezbollah) ! »
À Marwahine, village qui a vu mourir 23 de ses habitants lors d’un raid israélien pendant la guerre de 2006 entre le Liban et Israël, Issa, un jeune homme qui tient un café, déclare, en pointant le doigt vers les voitures qui circulent entre les usines en Galilée et les foreuses de l’armée israélienne à la frontière : « Chacun vit sa vie. Ils (les Israéliens) continuent de vivre, nous aussi. La situation restera calme », note-t-il. 
Au fil de la conversation, il raconte que sa tante, à l’époque enceinte, son mari et leurs quatre enfants ont été tués en 2006.

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À l’entrée de Aïtaroun, qui fait face au kibboutz israélien d’Avivim, le visiteur est accueilli par Zoulfikar, l’épée de Ali ben Abi Taleb, le premier imam chiite. Elle est représentée sur l’arc de triomphe qui marque l’entrée du village et sur la statue dédiée aux « martyrs » érigée sur la place centrale de la localité. 
« Pourquoi aurions-nous besoin de tunnels, alors qu’il nous suffit de faire un pas pour franchir la ligne bleue et semer la terreur chez les sionistes ? » s’écrie un homme.

« Des tunnels jusqu’au lac de Tibériade… »

Si certains ne veulent pas croire, devant les visiteurs du moins, à l’existence des tunnels, d’autres avouent, discrètement, connaître leur existence. « Des tunnels ? Il y en a plein ! » confie entre quatre murs un homme résidant dans un village frontalier.
De la route principale qui relie Naqoura, dans la caza de Tyr, jusqu’à Qlei’aa, dans le caza de Marjeyoun, provient le bruit des véhicules de la Finul ou de l’Onust qui multiplient les patrouilles non loin des soldats israéliens qui creusent.
« Ces tunnels sont équipés d’électricité et reliés entre eux. L’un d’eux abrite même un hôpital de campagne. 
Le Hezbollah a commencé à les creuser en 2000, et ça a continué de plus belle en 2006… » poursuit l’homme. 
« Qui sait ? Peut-être qu’ils arrivent jusqu’au lac de Tibériade ! Ces tunnels ont été percés sous des villages chiites, à Ramia, à Aïta el-Chaab, à Maroun el-Ras, à Aïtaroun, à Édaïssé, à Kfarkila… 
Depuis de longues années, nous sentons nos maisons trembler et nous entendons les foreuses. Mais que peut-on dire ? Ici, dans nos villages, celui qui ne prête pas allégeance au Hezbollah est un homme mort », ajoute-t-il.
Un autre homme résidant dans un village frontalier chuchote: « Des tunnels ici ? Seuls Dieu et son parti le savent. Depuis 18 ans (l’armée israélienne s’est retirée du Liban-Sud en mai 2000), c’est comme si des fantômes avaient pris le contrôle du destin de notre village. 
Nous ne savons pas ce qui se trame chez nous… Que Dieu nous vienne en aide et nous délivre de ce que nous vivons ! »
Dans ces villages, que ce soit dans les caza de Tyr, de Bint Jbeil ou de Marjeyoun, rares sont les personnes interrogées qui donnent leur nom. Les uns, qui sont pro-Hezbollah, disent que s’identifier portera préjudice à leur « mission sécuritaire », alors que d’autres, plus rares, qui témoignent en chuchotant, tiennent à rester anonymes par peur de représailles.

« Personne ne veut voir sa maison détruite »

Sur les routes principales longeant la frontière ou dans les ruelles étroites de ces localités, le visiteur ne peut ignorer le ballet de voitures ou des camionnettes sans plaque d’immatriculation ou aux vitres fumées. 
Et quand on s’éloigne un peu des habitations pour aller vers la frontière, ces véhicules finissent rapidement par barrer le chemin des visiteurs à qui l’on demande de s’identifier. 
Les passagers des véhicules aux vitres fumées, eux, refusent de donner leur nom ou de dire s’ils relèvent d’un parti. Mais ici, tout le monde sait que ces hommes sont des miliciens du Hezbollah qui semble avoir resserré son emprise sur la région au fil des ans.
La situation au Liban-Sud aujourd’hui n’est pas sans rappeler celle des années soixante-dix, quand le Arkoub était devenu le Fatehland d’où les fedayine menaient des opérations contre Israël. Eux seuls faisaient la loi dans cette région du pays. 
La maison qu’occupait Yasser Arafat, le chef de l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP) à Chébaa, encore préservée, demeure aujourd’hui le témoin de cette époque-là.
Dans le caza de Marjeyoun, sur trois kilomètres entre Édeissé et Kfarkila, le mur haut de six mètres construit par Israël en 2012 cache la frontière. 
C’est à partir de Kfarkila que de nombreux Palestiniens et Libanais avaient l’habitude de lancer, durant les années qui avaient suivi le retrait de 2000, des pierres au niveau de la porte de Fatima vers Israël. 
Le mur, constitué de pans en béton, est électrifié en certains endroits. Dans d’autres, des graffitis multicolores souvent partisans ont été dessinés, égayant autant que faire se peut le paysage.
Il faut grimper dans les étages des immeubles longeant le mur pour distinguer au moins huit foreuses israéliennes en action face à Édeissé et Kfarkila, aux deux extrémités du mur.
Dans un restaurant, un homme commente le mur. « Non, nous ne sommes pas contents de voir du béton en face de nous, mais ce n’est pas à nous de décider. Nous n’y pouvons rien, dit-il avec amertume. 
J’espère que tout se calmera, qu’il n’y aura pas de guerre. Croyez-moi, quoi qu’on vous dise, personne ne veut voir sa maison détruite, son commerce saccagé ou ses enfants morts. »

Source L'Orient le Jour
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