La Maison symphonique de Montréal abritait lundi soir le concert de gala présentant les oeuvres lauréates des prix de musique Azrieli 2018. Le résultat, musicalement très coloré, fut une plutôt agréable surprise.......Détails.........
Mais que sont les prix Azrieli ? Ces deux prix de 50 000 dollars chacun, créés par la philanthrope et soprano Sharon Azrieli dans le cadre des actions culturelles de la Fondation Azrieli, ont pour but « d’offrir des conditions favorables à la création, l’interprétation et la célébration d’une musique juive de haute qualité », comme on peut le lire dans la notice du CD New Jewish Music, vol. 1 qui vient de paraître chez Analekta.
Le prix Azrieli va à « l’auteur de la meilleure composition originale de musique juive ». Le choix du jury 2018 s’est porté sur le compositeur d’origine israélienne Avner Dorman, pour Nigunim. Il succède au premier lauréat, Brian Current, primé en 2016 pour The Seven Heavenly Halls.
Le second prix, la « Commande Azrieli », vise à « susciter une réflexion critique et créative à propos de la question :
« Qu’est-ce que la musique juive ? » » Cette distinction est attribuée au créateur dont la réponse fait « preuve d’excellence sur le plan créatif, artistique et musical ».
La lauréate 2018 est la Canadienne Kelly-Marie Murphy, dont le double concerto récompensé vise à explorer « les richesses de la musique sépharade ». Son prédécesseur avait composé un concerto pour clarinette inspiré du klezmer.
Le souci d’identité
Nigunim pour violon et orchestre est l’extrapolation d’une partition antérieure pour violon et piano.
Dorman cherche à « explorer la musique des diverses traditions juives à travers le monde » et s’est exprimé à ce sujet : « La diversité et la richesse des traditions musicales que j’ai découvertes m’ont épaté, […] de la cantillation nord-africaine à la musique nuptiale d’Asie centrale en passant par les rythmes balkaniques et les prières anciennes. »
Au nom du jury, le compositeur Aaron Jay Kernis justifie ainsi le choix de Nigunim : « La musique d’Avner Dorman est marquée d’une émouvante expressivité, d’une riche et inventive couleur orchestrale et d’une inspirante virtuosité. »
En el escuro es todo uno, de Kelly-Marie Murphy, « explore la musique sépharade et la façon dont celle-ci a influé sur d’autres cultures à la suite de l’établissement de la diaspora juive au Maroc, en Tunisie et dans certaines parties d’Europe » et, à ce titre, elle « intègre des chansons ladino [une variété de judéo-espagnol] et leurs ornementations mélodiques, notamment des chants abordant les thèmes de la maternité et de l’enfance ». Cette célébration nous valait le retour heureux de Yoav Talmi, cet excellent musicien, ancien directeur musical de l’Orchestre symphonique de Québec.
Deux chansons hébraïques transcrites un peu dans le style des Chants d’Auvergne de Canteloube ont permis à la mécène de se produire sur la scène de la Maison symphonique de Montréal dans ses habits de soprano en début de concert.
Talmi concluait la soirée sur une Symphonie « italienne » de Mendelssohn, que nous n’avons pas entendue afin de peaufiner ce compte-rendu.
S’agissant de musique juive, je ne saurais être plus savant qu’un jury pointu sur un sujet si précis.
En matière d’universalité du langage musical, thème qui devrait nous intéresser au premier chef en tant que communauté humaine, les compositions présentées m’ont paru intéressantes, pour une raison qui tombe en fait sous le sens : leur souci identitaire l’emporte sur un souci de contemporanéité — ce qui les rend très accessibles.
Dorman et Murphy ne perdent pas de temps à faire semblant de jouer aux modernistes tiraillés.
Il y a certes dans le premier volet de l’oeuvre de Murphy un cadre de musique actuelle, dont les instruments solistes (violoncelle surtout) s’extirpent à coup de références à la musique arabo-andalouse et judéo-espagnole.
Ces couleurs de la musique traditionnelle gagnent de plus en plus de place au point que l’on pourrait s’imaginer dans le finale au coeur d’une musique de caravansérail.
Quant au travail de Dorman, il est strictement conforme à ses ambitions et le concerto fort bien troussé s’avère très divertissant, avec un Scherzo orientalisant (2e mouvement) fort efficace.
Une diffusion prochaine sur Medici.tv permettra de se rendre compte de la qualité de ce travail, plus grand public que celui de Brian Current, documenté dans le CD Analekta des lauréats 2016 qui vient de paraître.
Quant à nos voeux d’universalité, Sharon Azrieli a annoncé après la pause un développement pour le moins bienvenu avec la création pour la prochaine édition d’une nouvelle catégorie, un prix pour la musique canadienne. La mécène a commenté avec humour sa décision : « Si vous pensiez que c’était compliqué d’expliquer ce que c’est la musique juive, on va écrire un nouveau chapitre avec la musique canadienne ! »
Pour ceux qui s’inquiéteraient de voir pour la énième fois les mêmes caciques dans les jurys « s’entre-distribuer » les prix, potentielle bonne nouvelle : celui-ci sera composé de Barbara Croall, une compositrice des Premières Nations, Ana Sokolovic, Andrew Staniland, Mary Ingraham, de l’Alberta, et un cinquième juré qui semble ontarien.
Il sera fort intéressant, effectivement, de dégager une définition de ce que pourrait être une « musique canadienne ». Innocemment (ou pas), Sharon Azrieli vient peut-être de lancer un immense pavé dans la mare.
Source Le Devoir
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