vendredi 26 juin 2015

Paracha Houkat : Avec leur sceptre, avec leur bâton…


Parmi les différents « chants » que renferme la Torah, l’un d’eux figure dans notre paracha : il s’agit du « Chant du Puits », (Bamidbar, 21, 17-20) que les enfants d’Israël entonnèrent au cours de la quarantième année suivant la Sortie d’Egypte. En lisant les mots et expressions énumérés dans ce chant, on sera surpris par leur herméticité : « Jaillis, ô source ! Acclamez-la ! Ce puits, des princes l’ont creusé, les plus grands du peuple l’ont ouvert avec leur sceptre… »...



Or, contrairement au « Chant de la Mer » entonné sur les rivages de la mer des Joncs après le passage « à pied sec » des Hébreux et l'engloutissement de l'armée égyptienne – un chant dont le sens et la teneur sont parfaitement accessibles dès la première lecture -, ces versets de notre paracha restent totalement impénétrables avant d'accéder aux indispensables éclaircissements de nos maîtres…
Le Keddouchat haLévi, qui formule lui-même cette remarque, répond de la façon suivante : contrairement au Chant de la Mer qui fut prononcé conjointement par Moché et les enfants d’Israël, ce « Chant du Puits » ne fut quant à lui entonné que par les enfants d’Israël, sans Moché.

Cette différence s’avère hautement significative lorsque l’on sait que les prophéties de Moché étaient uniques en leur genre, puisqu’elles seules apparaissaient à travers un « prisme lumineux » ("aspakalaria méïra – voir le Traité talmudique Yébamot, page 49/b). Voilà pourquoi le chant entonné sur la mer est nettement plus clair et « transparent » que celui consacré au puits, dans la mesure où il était éclairé par la puissante prophétie de Moché en personne.
Conformément à l’approche du sens simple des versets, ce chant constitue un hommage rendu au puits qui accompagna les enfants d’Israël pendant leurs longues pérégrinations dans le désert et qui fut à l’origine de plusieurs miracles (voir Rachi sur le verset 17).
Mais parallèlement à cela, nos Sages interprètent également ce « puits » comme un symbole faisant référence à la Torah, qui est elle-même un « puits d’Eau de vie », par laquelle les enfants d’Israël étanchaient leur soif spirituelle.
Voici ce que l’on peut lire à ce sujet dans le Traité talmudique (Erouvin, page 54/a) : « Rav Matna dit : Que signifie le verset ‘Depuis le désert jusqu’à Matana’ ? Eh bien que si l’homme accepte d’être considéré comme un désert que tous piétinent, son étude se maintiendra chez lui [à l’image d’un présent – matana], sinon elle ne se maintiendra pas ! ».

Dans ce contexte, le Sfat Emet (‘Houkat 5652) cite un extrait du Midrach Chir haChirim (4, 31) où l’on peut lire : « Rabbi Yo’hanan dit : Il est écrit 48 fois le mot ‘Béer’ [puits] dans la Torah, en regard des 48 dispositions avec lesquelles la Torah s’acquiert ».
En faisant l’éloge de ce « puits », les enfants d’Israël proclament : « Les plus grands du peuple l’ont ouvert avec leur sceptre, avec leur bâton ! ». Le sceptre – mé’hokek en hébreu – désigne également un poinçon grâce auquel on grave et l’on estampille un support.

A cet égard, disait le ‘Hidouché haRim (cité par le Sfat Emet ‘Houkat 5631), nous devons comprendre que la Torah ne peut s’aborder comme une science qui permettrait seulement d’ « accumuler des connaissances ». Car pour être acquise, la Torah doit se graver dans toutes les fibres de notre être !
Il est en effet possible de tracer des lignes et rédiger tel ou tel texte sur un papier, mais à tout instant, ces inscriptions peuvent être effacées. Par ailleurs, il existe la méthode de la gravure qui consiste à imprimer des lettres en profondeur au point où le support et l’écriture ne deviennent plus qu’un. Or c’est bien dans cet esprit que la Torah doit être abordée par l’homme.
Ces explications s’inscrivent dans la lignée d’un autre enseignement du ‘Hidouché haRim (cité par le Sfat Emet ‘Houkat 5654), relatif aux bénédictions sur la Torah.

Comme nous le savons, nos Sages font preuve d’une très grande rigueur concernant ces bénédictions que l’on prononce avant d’entamer toute étude. Tant et si bien qu’à leurs yeux, c'est justement l’indifférence des enfants d’Israël à l’égard de la première bénédiction sur la Torah qui causa ni plus ni moins la perte du Second Temple de Jérusalem (Traité talmudique Nédarim, page 81/a).
Le Ran, au nom de Rabbénou Yona, explique ceci de la manière suivante : « Il ne fait aucun doute que les hommes de cette génération prononçaient ces bénédictions. (…)
Mais cela signifie que la Torah n’était pas suffisamment importante à leurs yeux pour justifier qu’on prononce pour elle une bénédiction spécifique ! ».
Il s’avère donc que c’est en prononçant ces mots que l’on atteste de l’importance que revêt à nos yeux la Torah. En revanche, ceci ne nous informe que sur la première de ces bénédictions, et rien ne nous permet encore de saisir la signification de la seconde bera'ha que l’on prononce après avoir lu dans la Torah.
Selon le ‘Hidouché haRim, cette seconde bénédiction peut s’expliquer en en trouvant la signification profonde à partir d’une autre catégorie de bénédictions, à savoir celles que l’on formule sur la nourriture. Avant de consommer quoi que ce soit, on prononce en effet une bénédiction dans laquelle on remercie le Créateur d’avoir mis de la nourriture à notre disposition.

Et après avoir pris notre repas, nous Le remercions de nous avoir rassasiés et d’avoir permis à notre corps de subsister en laissant la nourriture s’y intégrer de manière poistive. Voilà pourquoi la hala'ha retient que l’on ne peut prononcer les prières du « Birkat haMazon » que pendant la période de temps nécessaire à la digestion des aliments.
Le ‘Hidouché haRim explique dans le même ordre d’idée que nous prononçons une bénédiction après avoir étudié la Torah afin de remercier D.ieu d’avoir laissé Ses paroles nous imprégner et d’offrir ainsi à notre âme sa réelle subsistance. Ceci fait donc écho à l’idée selon laquelle nous devons graver les paroles de la Torah dans notre être, et ne pas nous contenter d’accumuler des connaissances…
A cet égard, nous trouvons dans le Tour que l’expression « Il a implanté en nous une vie éternelle » - extraite justement de la bénédiction sur la Torah - fait référence à la Torah orale qui est profondément ancrée dans les tréfonds de notre âme. Le rôle de chaque Juif consiste donc à s’efforcer d’extraire ces parcelles de Torah qui vibrent au fond de lui, comme nous le disons dans nos prières : « Donne-nous notre part dans Ta Torah ! ».


Par Yonathan Bendennnoune

Source Chiourim