mercredi 17 juin 2015

Gaza : retour dans les implantations israéliennes 10 ans après le désengagement

 
Sur le bord de la route, on trouve un panneau vert écrit en arabe : "l'Autorité palestinienne, l'Administration des terres libérées, la terre libérée de Taibe." Pour les habitants de la bande de Gaza, c'est Taibe, le vrai nom, mais pour les Israéliens qui y ont vécu, ce sera toujours Netzarim...

Cela fait 10 ans, depuis le désengagement de la bande de Gaza, que les traces de l’implantation de Netzarim ont disparu. Elle a tout simplement été rayée de la carte. Les Palestiniens ont détruit tout ce que l'armée israélienne avait laissé après l'évacuation.
La synagogue a été brûlée, et des drapeaux du djihad islamique flottent désormais à l'endroit même de l'ex-lieu de culte. Le vieux palmier dans la cour du séminaire (yeshiva) a même été arraché.
A l'emplacement de l’implantation, où vivaient 60 familles israéliennes avant le désengagement, les Palestiniens ont construit un parc d'attractions, avec une grande roue, une petite montagne russe, un carrousel et d'autres manèges - une île solitaire entourée de dunes de sable et de champs, le tout au milieu d'un mur gris et de déchets.- De temps en temps, des bus de Gaza déposent des enfants pour qu'ils y passent la journée.
Ahmed, le directeur du parc d'attractions, est là pour les accueillir. "Cela me donne une immense joie de voir ces enfants qui jouent parmi les drapeaux du djihad, où les occupants vivaient autrefois" dit-il.
Près de l'entrée de Netzarim, au milieu des pelouses et des tables de pique-nique, un hôpital universitaire est en pleine construction.
Le projet, comme beaucoup d'autres dans la bande de Gaza, après le désengagement, a été financé par le gouvernement turc.
Des drapeaux turcs et palestiniens flottent de part et d'autre de l'entrée du chantier en construction; et un grand panneau, qui affiche le projet final, ainsi que les noms des promoteurs et des entrepreneurs, indique que le projet fait partie de la coopération entre les deux nations. La seule chose qui manque, c'est une photo d'Erdogan.
Netzarim n'existe plus. Mais encore aujourd'hui, 10 ans après le désengagement, elle reste un symbole. Pour les Palestiniens, elle est le symbole de l'occupation - une enclave israélienne au coeur de la bande de Gaza, 500 Israéliens parmi un million de Palestiniens.

Mais pour les Israéliens qui y ont vécu et pour les nombreuses autres villes qui ont combattu le désengagement, Netzarim est le symbole de l'expulsion, du déplacement, de la destruction.
Il est difficile de rester indifférent à l'image des habitants de Netzarim qui ont dû quitter leurs maisons dans un "cortège funèbre et calme", portant le candélabre à sept branches (Ménorah) qui ornait autrefois le toit de la synagogue et qui est désormais exposé au Musée Gush Katif à Jérusalem.
Afin de retrouver des traces de la présence israélienne dans la région de Netzarim, il faut se rendre à environ un kilomètre et demi sur la route qui mène à au passage de Karni, jusqu'à Salah al-Din Road, l'artère principale qui traverse la bande de Gaza du nord au sud.
C'est le croisement avec Netzarim, l'un des endroits les plus maudits de la bande de Gaza par Tsahal durant la seconde intifada, car l'avant-poste a été transformé en un dépotoir pour les vieilles voitures et les camions, mais les barrières en béton qui le protégeaient sont encore là- une ligne qui sépare la route et les vieilles carrosseries.
De l'autre côté du carrefour, se trouvent les postes d'observation et de sécurité du Hamas, où les membres de l'organisation qui ont pris le contrôle de la bande de Gaza deux ans après la fin du désengagement, surveillent les véhicules qui entrent dans Gaza et en sortent.

Hollywood: le nouveau style de Gaza

Nous continuons au sud sur la route principale de la bande de Gaza, la Route Tancher - le camp de réfugiés de Nusseirat sur notre droite, le camp d'El-Bureij sur notre gauche; après avoir traversé Deir al-Balah, une ville d'environ 60.000 habitants, nous arrivons à l'entrée de Gush Katif.
Avant les accords d'Oslo en 1994, les Israéliens pouvaient emprunter librement cette route. Après les accords, qui ont donné le contrôle à l'Autorité palestinienne des villes et des camps de réfugiés et ont laissé à Israël environ 40% de la bande, les Israéliens ne pouvaient plus circuler via cette route.
Un résident de Netzarim qui voulait se rendre à la succursale de la banque Mizrahi à Neve Dekalim ou rendre visite à sa famille à Kfar Darom, à environ 12 km, était forcé de rentrer en Israël via le passage de Karni, à proximité du kibboutz de Nahal Oz au sud, le long de la frontière, puis de re-rentrer dans Gaza via le carrefour de Kissufim.
Environ 8.000 Israéliens vivaient dans la bande de Gaza avant le désengagement- la majorité à Gush Katif dans le sud de la bande de Gaza, et le reste à Netzarim, Kfar Darom ainsi que dans les trois implantations du nord (Nisanit, Dugit et Elei Sinaï).
Les blocs de béton et les barrières de protection que l'armée israélienne avait installés le long de la route à l'entrée de Gush Katif sont toujours là. C'est le témoignage silencieux de la présence israélienne dans la région; et on peut encore voir les ruines d'un avant-poste de Tsahal abandonné, qui est à présent utilisé comme déchetterie.
Sur la route du sud, nous rencontrons des membres du Hamas sur des motos. Les agents de police en uniforme bleu gardent un oeil sur les intersections.
Dispersés parmi les vestiges des implantations israéliennes le long de la route de Gush Katif, on trouve des camps d'entraînement et des bases appartenant aux différents groupes armés de la bande de Gaza- non seulement le Hamas, mais aussi le Djihad islamique, les Comités de résistance populaire et le Front populaire pour la Libération de la Palestine.
A l'entrée des différentes installations, leur drapeau est hissé. On entend de temps en temps des bruit d’explosions et de tirs. La fumée et les nuages de poussières montent du sol. Tout le monde ici se prépare pour le prochain conflit.
La dernière chose qu’on imagine trouver ici - au milieu des zones de d’entraînement, des bases d'instruction et des bastions du Hamas - c'est bien un parc d'attractions géant.
Construit sur les ruines de Ganei Tal, le complexe d'Asda City, recouvre la quasi-totalité de l'ex-implantation de Gush Katif. Il comprend trois principales attractions - des manèges, une immense piscine avec des toboggans, et un petit zoo.
L'entrée coûte seulement 3 shekels par personne; mais dans la bande de Gaza, où le taux de chômage avoisinant les 43%, est parmi les plus élevés au monde, cette activité pourrait être considérée comme un luxe.
Selon le directeur du parc, Al-Badir, 32 ans, le plan initial était de construire un "ville-cinéma"- Hollywood à Gaza.
"Après le retrait israélien, nous avons essayé de transformer l'endroit en un espace de production et de tournage de films," a déclaré Al-Badir.
"Mais nous n'avons réussi à produire qu'un seul film, sur Ahmed Akal, qui a été un militant important de la résistance contre les Juifs et que nous considérons comme un grand héros. Puis, nous avons changé nos plans et décidé de nous concentrer sur les enfants."
Le parc d'attractions d'Asda City est le deuxième que j'ai rencontré durant mon séjour. Il a une grande roue, un bateau pirate et un carrousel Dora l'exploratrice, devant lequel des jeunes filles portant le foulard font la queue. Il y a aussi un petit train - la locomotrice est jaune et verte et ses wagons sont décorés avec des dessins de Mickey Mouse - qui se déplace le long du parc avec un homme barbu au volant.
La star du zoo est un jeune lion qui est arrivé lorsqu'il était encore bébé. "Nous l'avons rapporté d'Egypte il y a deux ans via les tunnels", a avoué al-Badir.
"Il était tellement petit que nous avons pu le transporter dans une boite. Mais aujourd'hui, il est vraiment le roi des animaux."
Le seul problème est qu'il souffre un peu du climat chaud. Il n'est cependant pas le premier lion de la bande: pendant l'Opération Plomb Durci (2008-2009), un lion s'est échappé du zoo de Gaza et on ne sait toujours pas ce qu'il est devenu.
Il n'y a ni éléphants, ni rhinocéros, ni girafes au zoo d'Asda City. Après tout, il est difficile de faire passer un éléphant dans un tunnel, même quand il est encore petit. Les enfants de Khan Younis, peuvent cependant admirer les babouins, les autruches et les cerfs.
Asda City est la version palestinienne du zoo de Gush Katif avant le désengagement. Katifari - une combinaison de Katif et safari - se trouvait à l'entrée de Neve Dekalim, en face de la station d'essence. Gush Katif et le zoo ont tous deux été évacués, avec Shaul le chameau en tête du cortège.

Fleurs et drapeaux palestiniens

Neve Dekalim, la capitale officieuse de Gush Katif, était la plus grande implantation de la bande de Gaza - 500 familles, environ 2.600 habitants. Elle abritait les bureaux du Conseil régional Hof Aza, le centre commercial, la zone industrielle et le commissariat. Mais aussi deux yeshivot (séminaire talmudiques), deux grandes synagogues, une école, des séminaires religieux pour les filles, et un centre communautaire.
A côté de Neve Dekalim, il y avait le cimetière de Gush Katif - 48 tombes, dont six des résidents du Gush Katif assassinés dans des attaques terroristes et trois des soldats de Tsahal. Dans le cadre du plan de désengagement, toutes les tombes ont été vidées et les restes ont été inhumés dans des cimetières en Israël.
Après l'évacuation de la bande de Gaza, l'armée israélienne a rasé toutes les habitations des implantations; mais selon une décision du gouvernement de l'époque, les bâtiments publics et les synagogues ont été laissés tels quels.
Les Palestiniens ont démoli une des yeshivot de Neve Dekalim et deux synagogues quelques jours après le retrait israélien; mais les bâtiments publics sont encore intacts, et le centre commercial n'a guère changé.
Seulement maintenant, au lieu de voir les garçons en short et les filles en jupes longues, vous voyez des étudiants palestiniens qui portent le hijab (voile), et des drapeaux palestiniens qui flottent au-dessus des pelouses et des parterres de fleurs bien entretenus.
Les Palestiniens ont décidé de profiter pleinement de ce que les Israéliens avaient laissé à Neve Dekalim. Le centre de l'ex- implantation a été réaménagé en université - une branche de l'Université al-Aqsa, qui a un corps étudiant de l'ordre de 28.000 personnes.
Le bâtiment Hof Aza du Conseil régional est actuellement le siège de l'administration du campus. L'intérieur a été repeint en marron et les bureaux de l'ancien chef du conseil Avner Shimoni, et du responsable de la sécurité Ami Shaked sont occupés aujourd'hui par des hauts fonctionnaires de l'université. Une grande photo de la vieille ville de Jérusalem est accrochée dans le hall.
"Nous disons à chaque étudiant qui commence à étudier ici, qu'avant, les occupants vivaient dans ces lieux" explique le professeur Nimat Shaban Alwan, vice-président de l'université. “Nous sommes des modérés, pas des extrémistes," souligne t-il "et nous voulons vivre en paix avec nos anciens ennemis" mais je remarque la carte accrochée au mur. Une carte de la Grande Palestine, du Jourdain à la mer Méditerranée, qui ne laisse aucune place à l'État d’Israel.
L'ex-école régionale de Neve Dekalim, qui a vu défiler des générations d'enfants du Gush Katif, a été réaménagée en un collège islamique pour filles, et de l'autre côté de la la route, les bâtiments dans lesquels se tenait le séminaire religieux des filles, abritent désormais l'Institut polytechnique de Gaza. Seul le terrain de basket de Neve Dekalim (l'ancien centre communautaire) a été conservé.
Il ne reste presque rien des synagogues du Gush Katif. Celle d'Atzmona a servi pendant plusieurs années de centre de formation pour les terroristes du Hamas, tandis que les synagogues et les yeshivot restantes (en dehors de celle de Neve Dekalim qui est maintenant une partie de l'Université al-Aqsa) ont été systématiquement détruites par les Palestiniens.
Certaines ont été incendiées et d'autres ont été rasées, leur destruction a été suivie de célébrations filmées et photographiées. Personne ne s'en est caché- au contraire.
Quand Mouammar Kadhafi a chassé les Italiens de Libye en 1970, il a choisi de ne pas détruire l'église principale de Tripoli, mais il en a fait a une école islamique pour filles. L'Eglise Sainte-Sophie à Istanbul est devenue une mosquée.
Mais aucune des synagogues de la bande de Gaza n'a été transformée en lieu de culte musulman. Les Palestiniens ont préféré les détruire complètement. "Nous voulions effacer toutes les traces de la présence israélienne à Gaza", m'a avoué un résidant de Deir al-Balah.
Mais des traces de la présence israélienne restent clairement visibles, et pas seulement à Neve Dekalim. L’implantation de Netzer Hazani, par exemple, est devenue un champ avec plein de sentiers; mais lorsque l'on compare les images satellites avant le désengagement avec celles d'aujourd'hui, on peut voir que le réseau original de rues et des places est intact. Seules les maisons ont disparu.
Sur les photographies aériennes récentes, Morag, l’implantation isolée, située entre Rafah et Khan Younis, ressemble à un méli-mélo de serres et de champs agricoles, sans aucune trace de la communauté existant autrefois à l'extrémité sud-est de Gush Katif.
Mais la région montre encore quelques signes de l’ancienne présence israélienne - le poste de garde et les barrières de béton de l'avant-poste de Tsahal qui ont servi à défendre Morag; une petite structure avec des panneaux solaires sur le toit qui sert maintenant de position militaire; et les serres, dont certaines ont été héritées d'Israël.
La plupart des familles de Gush Katif gagnaient leur vie par l'agriculture - cultures organiques, légumes à feuilles, tomates et fleurs. Les implantations - Netzer Hazani, Ganei Tal et Morag en particulier - ont été encerclées par d'immenses étendues de terre avec des serres; et après l'évacuation de la bande, elles ont été remises intactes aux Palestiniens. Certaines restent abandonnées; mais la plupart sont aujourd'hui utilisées par les agriculteurs locaux.

Un café au paradis


Au Paradise Cafe sur les rives du Gush Katif, nous entamons une conversation avec Mohammed, le serveur, un résident de Deir al-Balah. Il avait 14 ans quand il a connu l'endroit, aujourd'hui c’est la plage de “Deir al-Balah Beach”. C'était peu de temps après le désengagement.

"Je m'en souviens comme si c'était hier", déclare Mohammed. "Les points de contrôle le long de la route ont disparu, tout d'un coup et nous avons pu arriver ici. Avant cela, seuls les Israéliens étaient autorisés à venir, nous n'avions jamais rien vu de tel auparavant. Une immense étendue de plage, si grande. Pour nous, c'était comme entrer au paradis, d'où son nom.”
Palm Beach, situé à quelques minutes de Ganei Tal, est devenue la Côte d’Azur de Gaza.
Bon, ce n'est pas la Côte d'Azur française ou italienne, mais elle offre un grand choix de cafés et de restaurants qui sont ouverts presque 24h/24, avec des pelouses bien entretenues, des transat et des tentes de plage colorées; et quand vous vous asseyez face à la mer, en sirotant une tasse de thé ou une boisson gazeuse ( pas d'alcool, c’est interdit par la loi islamique), tout en écoutant le souffle du vent et le bruit des vagues, vous pouvez oublier un instant que vous êtes dans la bande de Gaza, où il y a moins d'un an la guerre faisait rage.
"Il est difficile pour nous de reconstruire Gaza parce qu'à chaque fois, sous peu, il y a une nouvelle guerre qui fait reculer le projet", se plaint Sha'aban, un étudiant de l'Université al-Aqsa. Mais un an après l'opération Bordure protectrice, et 10 ans après le désengagement, on peut avoir le sentiment que quelque chose est peut être sur le point de changer dans la bande de Gaza.
Les rumeurs sur la fin des négociations secrètes qui sont en cours entre le Hamas et Israël, qu'elles soient vraies ou non, sont toujours la conversation favorite sur le marché de Gaza, ces derniers jours.
Les responsables du Hamas ont installé des panneaux en arabe et en anglais le long de la jetée du port de Gaza - à l'entrée et à la sortie. La demande des Palestiniens pour une route maritime commerciale de Gaza à Chypre - ce qui signifierait la fin du blocus maritime et un accord de cessez-le-feu à long terme - reste un objectif lointain. Les récents tirs de roquettes sur Israël - réalisés cette fois par des groupes salafistes affiliés à Etat islamique - ne présagent rien de bon. Mais vous ressentez un sentiment d'optimisme dans la rue - et à Gaza, il y a aussi quelque chose.
Ceux qui cherchent les signes d'un apaisement des tensions entre Israël et le Hamas peuvent les trouver au passage d'Erez. Ces jours-ci, les travailleurs et les hommes d'affaires palestiniens reçoivent de plus en plus de permis pour traverser la frontière avec Israël, et le parking du côté palestinien est rempli de taxis. Le contrôle de sécurité, côté israélien de la bande de Gaza est beaucoup plus rapide qu'avant (mais pas moins rigoureux), et les gardes-frontières palestiniens habituellement sévères, (la plupart du Hamas), font parfois un sourire.
 "Vous feriez mieux de vous dépêcher de traverser maintenant", me conseille un homme d'affaires palestinien de 50 ans, quand j'ai arrêté de parler avec lui. "Qui sait si vous aurez une autre chance de traverser la frontière entre Gaza et Israël si librement ? "

Source I24News