En 1943, le Toulousain le plus populaire du monde s'appelait Alfred Nakache. Ce champion de natation, oncle de l'ancienne députée Yvette Benayoun-Nakache, avait pulvérisé deux ans plus tôt le record du monde du 200 m brasse papillon. Quintuple champion de France, il avait participé en 1936 aux Jeux Olympiques de Munich mais n'avait rien gagné, sinon l'image, dans la fantasmagorie nazie, de « nageur juif »...
À Toulouse, où il exerce le métier de professeur d'éducation physique dans sa salle de sport de la rue Philippe-Féral, il est dénoncé et arrêté en décembre 1943 avec sa femme Paule, une basketteuse de 28 ans, et leur fille Annie, âgée de deux ans. Déportés, ils arrivent à Auschwitz par le sinistre convoi 66 dans la nuit du 22 au 23 janvier 1944. Alfred Nakache est séparé de sa femme et de sa fille ; il ne les reverra jamais.
Au camp, «Artem», comme on le surnomme, est affecté à l'infirmerie comme kiné. Il est placé avec d'autres sportifs de haut niveau que les Allemands utilisent comme faire-valoir. Pour se distraire, les nazis l'obligent à nager dans les bassins de rétention d'eau du camp.
Le matricule 172763 s'accroche aussi au mince espoir de retrouver sa femme et sa fille vivantes. Il en parle notamment avec l'écrivain Primo Lévi, interné en même temps que lui. À Auschwitz, Alfred Nakache survit jusqu'à la libération du camp, le 27 janvier 1945.
«Il était d'une constitution très robuste» se souvient sa nièce, Yvette Benayoun-Nakache. Il survit même à la «Marche de la mort», ce convoi de prisonniers qui partit à pied à la veille de l'arrivée des troupes soviétiques.
Revenu au printemps à Toulouse où on le croyait mort (hommage lui avait même été rendu en baptisant la piscine de son nom), Nakache est un homme brisé.
C'est l'ancien président du TFC, Marcel Delsol, alors médecin à la Croix Rouge, qui le porte sur ses épaules à la sortie du train. Dévasté par la mort de sa femme et de sa fille (lire par ailleurs), il reste prostré plusieurs jours. Mais cet extraordinaire combattant revient au premier plan de la natation : à nouveau champion de France, il participe au record du monde du 3X100 mètres 3 nages puis aux JO de 1948.
«Il était toujours de bonne humeur, raconte sa nièce. Parfois, pendant les repas de famille, on sentait qu'il était triste. Il s'isolait alors quelques instants avant de revenir. Et ça repartait…» Il refait sa vie, épouse Marie et part vivre à Sète, où il est inhumé.
«Tous les ans il nous invitait dans sa petite maison de pêcheur, face à la mer, raconte Yvette. Il était très joyeux. Il allait dans le cagibi, sortait toutes ses médailles et nous les distribuait.» Alfred Nakache n'est pas mort dans un bassin d'eau croupie à Auschwitz mais dans le port de Cerbère, où il avait l'habitude de nager, d'une crise cardiaque. C'était en 1983, il avait 67 ans.
Le doudou d'Annie retrouvé
En 1997, Yvette Benayoun-Nakache retrouve fortuitement le doudou d'Annie, la fille d'Alfred Nakache.
Ce petit chien en peluche avait été conservé pendant plus de cinquante ans par Simone Foulon, une assistante maternelle. Derrière son oreille est accroché un petit mot rédigé par Mme Foulon : «J'étais le compagnon d'Annie Nakache, enterrée vivante par les Allemands, sa maman brûlée à Dachau». En 1997, Yvette Benayoun-Nakache retrouve fortuitement le doudou d'Annie, la fille d'Alfred Nakache.
De retour de captivité, Alfred Nakache se rendait tous les jours à la gare Matabiau, dans l'espoir de les retrouver.
Un jour il reçut une lettre l'informant que sa femme et sa fille avaient été exterminées. «Je ne l'ai jamais entendu dire Dieu n'existe pas mais il a dû se poser la question» confie sa nièce Yvette.
Par Sébastien Marti
Source La depeche