Je suis née tout en haut de l’échelle et depuis, toute ma vie, j’en ai dégringolé aussi vite que j’ai pu », disait Diane Arbus. L’histoire commence à New York, Upper East Side, à deux blocks de Central Park. D’origine juive d’Europe de l’Est, la famille Nemerov habite un immense appartement dans un immeuble cossu de Park Avenue. Jeune fille aussi séduisante qu’élégante, Diane se marie à 18 ans avec un certain Allan Arbus, qui rêvait alors de devenir comédien. La famille est contre cette union, et l’encourage à devenir peintre – ce dont elle n’a aucune envie. Allan lui offre son premier appareil photo.......Portrait........
Ils ouvrent un studio à leurs deux noms après la guerre et se lancent dans la photo de mode.
Leur premier client est Russeks Fifth Avenue, grand magasin de luxe fondé par la famille de Diane dans les premières années du siècle. C’est le légendaire éditeur de presse Alexander Liberman qui leur ouvre les portes du groupe Condé Nast : il leur passe commande d’un reportage pour « Glamour », paru sous le titre « Le nouveau pull a une longue histoire ».
A partir de là, les collaborations se succèdent dans les magazines les plus en vue, « Seventeen », « Vogue », « Esquire »… Puis Alexey Brodovitch, directeur artistique de « Harper’s Bazaar », qui publiait alors Richard Avedon, engage Diane à sortir du cadre de la mode et à descendre dans la rue. Son style s’impose, âpre et plein d’empathie pour ses modèles.
En 1951, elle prend l’une des décisions les plus difficiles de son existence, la seule qui lui permette d’avancer dans ses recherches : quitter le studio, dont Allan continue seul de s’occuper.
Elle obtient deux bourses du Guggenheim en 1963 et 1966, qui sont les clés de sa liberté. Au cours de longues promenades à bicyclette, elle parcourt New York à la recherche d’êtres marginaux qu’elle transforme en icônes. « Je crois vraiment qu’il y a des choses que personne ne verrait si je ne les photographiais pas », confie-t-elle à la photographe Lisette Model, dont elle suit l’enseignement et qui devient pour elle une seconde mère et une amie. « Je veux photographier le diable ! » lui dit-elle encore.
Diane Arbus se révèle à elle-même dans les baraques foraines de Coney Island. « Les monstres sont déjà nés avec leurs propres traumatismes. Ils ont déjà passé leur épreuve pour la vie. Ce sont des artistes », dit-elle.
Avec la même précision, elle photographie « L’avaleur de sabres albinos », « L’actrice de burlesque dans sa loge », « L’hermaphrodite et son chien », mais aussi des gens ordinaires, les célèbres « Jumelles identiques (Roselle, New Jersey) » ou « L’enfant avec une grenade en plastique dans Central Park ». Elle court les cirques, séjourne à plusieurs reprises dans un camp de nudistes, et visite un asile psychiatrique où elle se lie avec ses modèles.
Ses images disent les tabous de l’Amérique, la complexité et la fragilité de l’âme humaine
Sa signature est forgée : des portraits saisis de face au Rolleiflex – puis au Double-Lens Mamiya – en format carré de 6 × 6, à la lumière d’un flash, de jour comme de nuit, avec des bords irréguliers. Elle lit Freud, Homère, Shakespeare et Dante, se passionne pour Kafka et Poe. Ses photos sont parfois choquantes, jamais voyeuristes.
Elles s’inscrivent dans une tradition américaine qui consiste à montrer l’« inphotographiable ». Diane Arbus se nourrit des images de Lewis Hine sur l’exploitation des enfants, de celles de Dorothea Lange qui montrent des familles dans la misère pendant la Grande Dépression, ou encore des scènes de crimes que Weegee éclaire – lui aussi – de son flash, et qu’il signe « Weegee the Famous ».
Le 28 février 1967, ils sont tous là sur les marches du MoMA, tout ce que New York compte d’artistes et de journalistes célèbres.
C’est le vernissage de « New Documents », une exposition de trois jeunes photographes : Diane Arbus, Lee Friedlander et Garry Winogrand. Le commissaire est un homme de 41 ans, John Szarkowski, qui a pris les rênes du département photo en 1962 à la suite d’Edward Steichen. A eux trois, ils font entrer la photographie au musée comme un art émancipé du journalisme et de la mode, sur les traces d’une lignée de photographes qui va de Walker Evans à Robert Frank.
En dépit du malaise que suscitent certaines images, les louanges fusent, le « New York Times » publie une pleine page sur l’événement – avec une illustration de Diane Arbus. Dans les mois qui suivent, il suffit qu’elle donne une conférence à la Parsons School of Design ou à la Cooper Union pour que la foule se presse dans la salle.
Norman Mailer s’était exclamé en découvrant son portrait : « Confier un appareil à Diane Arbus, c’est comme mettre une grenade dégoupillée dans la main d’un enfant ! »
Ses images disent les tabous de l’Amérique, la complexité et la fragilité de l’âme humaine. Et cette fragilité, Diane Arbus l’éprouve d’abord en elle-même. Sa santé est ébranlée par une hépatite.
Le départ d’Allan pour la Californie avec sa nouvelle femme l’affecte. Les difficultés financières l’assaillent. « New Documents » aurait dû faire augmenter le nombre de ses commandes par les journaux, mais la presse semble au contraire se méfier d’elle. Elle écrit à son amie Carlotta Marshall : « J’ai l’impression d’être tenue à l’écart dans les rédactions… en partie à cause de ma réputation devenue énorme…
Les gens se conduisent comme si j’avais la grosse tête, ou si j’étais caractérielle, ou s’il fallait m’attacher à un piquet… » En 1963 déjà, l’écrivain Norman Mailer s’était exclamé en découvrant son portrait : « Confier un appareil à Diane Arbus, c’est comme mettre une grenade dégoupillée dans la main d’un enfant ! » Viva, superstar d’Andy Warhol à la Factory, ou encore Germaine Greer, figure du féminisme de l’époque, s’indignent aussi des portraits qu’elle a faits d’elles. Les mésaventures de ce type se succèdent. Diane Arbus est auréolée de gloire, mais elle fait peur.
Le 26 juillet 1971, à l’âge de 48 ans, elle se tranche les veines, dans son appartement baigné par la chaleur de l’été new-yorkais, comme si cette gloire avait été trop lourde à porter.
Au lendemain de sa disparition, avec une exposition à la Biennale de Venise en 1972 et une rétrospective organisée par le MoMA qui circule aux Etats-Unis et au Canada entre 1972 et 1975, le monde de l’art consacre son œuvre comme l’une des références absolues de la photographie au XXe siècle.
UN RECORD POUR UN LIVRE
En 1972, l’une de ses deux filles, Doon (née en 1945), et son ami le photographe et peintre Marvin Israel publient chez Aperture un livre hommage simplement intitulé « Diane Arbus ». On retrouve dans ce florilège d’images « Un géant juif chez lui avec ses parents dans le Bronx » (1970), le « Couple d’adolescents à Hudson Street » (1963), le « Nain mexicain dans sa chambre d’hôtel » (1970)…
La liste des titres ressemble à un poème. Record dans l’histoire du livre de photographies, cette monographie traduite en cinq langues s’est vendue à plus de 300 000 exemplaires.
Source Paris Match
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