Parmi les tubes des Rita Mitsouko, celui-ci n’est pas le moins gai. Et pourtant, il évoque la déportation dont le père de la chanteuse Catherine Ringer a été victime, avec des touches de couleur, comme pour rappeler que même les heures les plus sombres contiennent des lueurs d’espoir.......Détails......
En cet automne 1988, les Rita Mitsouko sont au top. Leur troisième album, Marc et Robert, vient de sortir. Caché dans ses sillons, le Petit Train, morceau qui sera moins joué en soirées qu’ Andy ou C’est comme ça…Est-ce parce qu’il laisse transpirer un je-ne-sais-quoi de malaise ?
En fait, le groupe a poussé au maximum le contraste qui avait présidé à la construction du tube Marcia Baïla, qui les avait révélés quatre ans plus tôt : une musique enjouée mais des paroles terribles.
Un des titres les plus personnels du duo
Le Petit Train est sans doute un des titres les plus personnels des Rita, puisqu’il évoque la déportation dont le père de la chanteuse, Sam Ringer, un artiste peintre juif polonais, a été victime.
Premier prix de dessin de l’Académie des beaux-arts de Cracovie en 1939, il est réquisitionné l’année d’après pour la construction du camp d’Auschwitz, avant d’être déporté à Annaberg, puis dans neuf camps, dont Buchenwald. N’ayant jamais cessé de dessiner malgré les difficultés, il sera finalement libéré par les Russes de celui de Theresienstadt où il avait atterri en 1945.
La petite Catherine, née en 1957 à Suresnes, n’a rien vécu de tout ça mais la mémoire familiale reste… Elle consacrera d’ailleurs en 2000 une chanson à son père, C’était un homme, qui raconte comment l’art peut entretenir l’espoir, car « toujours lui est resté le sens de la beauté ».
C’est un peu de cela qui anime les Rita Mitsouko avec le morceau qui nous intéresse.
D’ailleurs, le père du guitariste Fred Chichin était lui aussi artiste peintre. Militant communiste, il avait créé le magazine Miroir du cinéma (dans lequel il écrivait sous le nom de Jean-Louis Pays)…
Inspiré d’un titre de Marc Fontenoy écrit en 1952
Le duo s’est inspiré d’un titre de 1952 écrit par Marc Fontenoy, dans lequel il y a ces paroles : « Un p’tit train s’en va dans la campagne. Un p’tit train s’en va de bon matin », etc., avant de finir « vers le tas de ferraille ». Prémonitoire, même si chez les Rita ce sont les passagers qui filent vers un funeste destin. Ils ne le savent pas encore, même si le « serpentin de bois et de ferraille » est couleur « rouille et vert-de-gris », couleurs de mauvais augure…
Le clip, à première vue loufoque, est en fait assez éloquent. Les premières images montrent sur fond noir des visages dorés (l’obsession du juif fortuné), avant qu’une sarabande entraîne des danseurs richement vêtus, à la manière tzigane (un autre peuple qui a subi un génocide).
Une ambiance joyeuse et insouciante, digne d’un film made in Bollywood, de jeunes paysannes qui moissonnent et « rient parfois jusqu’aux larmes en rêvant à leurs amants », de « vaches (qui) ont fait des hectolitres de lait »… Tableau champêtre qui va être perturbé par des éléments inquiétants.
Un cri semblable au tableau de Munch
« Petit train, où t’en vas-tu ? Train de la mort, mais que fais-tu ? » Questionnement renforcé par cette évocation de l’école expressionniste allemande des années 1920, ces peintres rescapés de la Grande Guerre montrant des images de cauchemar de visages et de corps déformés, que les nazis ont pourchassé et dont ils ont interdit les œuvres jugées « dégénérées » : sur le visage de Fred Chichin se juxtapose celui, fantomatique, de la chanteuse, dans un cri semblable au tableau de Munch.
Cette séquence marque le tournant de la chanson.
« Ce train n’est pas aussi bucolique que ce que les premiers vers pouvaient nous laisser croire », analyse l’association Zebrock.
« La danse qui s’ensuit nous éclaire : les danseuses s’approchent d’une clôture barbelée, comme celles des camps de la mort. »
Catherine Ringer chante : « Personne ne sait ce qui s’y fait, personne ne croit, il faut qu’ils voient… »
Les derniers couplets seront plus explicites, évoquant « les enfants » et « les grands-parents » : « Petit train, conduis-les aux flammes ».
On sait depuis où ce train emmenait ces millions d’humains.
La vraie question que posent les Rita Mitsouko dans les derniers vers est toujours d’actualité : « Reverra-t-on une autre fois passer des trains comme autrefois ? »
Source L’Humanité
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