lundi 27 juillet 2020

Les femmes de Rieucros, ces “Indésirables” de Vichy


Dans son documentaire, Bénédicte Delfaut retrace le parcours des communistes, juives, prostituées, internées en France entre 1939 et 1945. Et sur les difficultés à évoquer, aujourd’hui encore, ce lourd passé........Détails & Vidéos........


Créé en janvier 1939, le centre de rassemblement pour étrangers de Rieucros, près de Mende, en Lozère, est historiquement le tout premier camp d’internement français. 
Conçu pour les réfugiés espagnols pourchassés par l'armée franquiste, ce lieu de rétention administrative va aussi enfermer des exilés juifs, fuyant l’Allemagne nazie, l’Autriche, la Pologne... En octobre 1939, il devient un camp exclusivement féminin et accueille même une cinquantaine d’enfants dans ses baraquements.
Originaire de cette région, Bénédicte Delfaut raconte dans son documentaire Les Indésirables l’histoire particulière de cet univers concentrationnaire, où le régime de Vichy relèguera, après la IIIe République, une longue cohorte d’indésirables : communistes, juives, trafiquantes présumées, femmes sans papiers, prostituées... 
La documentariste a retrouvé plusieurs témoins, dont trois anciennes détenues et des voisins du centre, qui lèvent le voile sur les conditions d’internement des femmes de Rieucros.

Quelles sont les spécificités du camp de femmes de Rieucros ?
A Rieucros, ouvert en 1939 puis transféré dans le Tarn, à Brens, en 1942, le but est d’isoler et de surveiller les femmes censées représenter un trouble pour l’ordre public. 
Les dirigeants du camp, autorités préfectorales d’abord, puis policières sous Vichy, veulent que ces femmes soient occupées pour éviter qu’elles ne poursuivent leur militantisme. 
On leur impose des corvées domestiques, des travaux de toutes sortes, et on les encourage à avoir des activités culturelles... 
Certes, les conditions de vie sont spartiates, mais ce qui m’a le plus choquée, c’est la façon dont les enfants sont traités. Ils sont les victimes collatérales de l’histoire ! Ils sont là, et l’on ne sait pas quoi en faire. A plusieurs reprises, l’administration tente de s’opposer à leur présence dans un lieu qui n’est pas prévu pour eux. 
Mais, comme on enferme des femmes qui sont aussi des mères... Et les gouvernements successifs le font sans trop d’état d’âme !
Parfois, des efforts sont faits pour les scolariser, comme à Mende, où, dans un premier temps, on a essayé de les envoyer à l’école municipale. Mais ils étaient rejetés, raillés par les autres enfants de la commune. A Brens, plus tard, on a fait venir une institutrice à l’intérieur du camp. 
C’était un semblant d’adaptation. Mais les conditions de vie restaient extrêmement choquantes pour des enfants !

Comment expliquer que les détenues politiques de Rieucros, qui ont eu, ultérieurement, un engagement fort, comme les communistes Odette Capion ou Fernande Valignat par exemple, n’aient jamais communiqué sur ce passé ?
C’est vrai que c’est paradoxal. Mais, dans le contexte de l’immédiat après-guerre, face à la révélation d’autres drames bien plus tragiques que le leur, elles ont dû estimer que leur sort n’avait pas été si grave. Elles n’ont pas cherché à obtenir réhabilitation. 
Dans les décennies suivantes, elles ont quand même créé une association, et maintenu la mémoire, mais c’est resté très local. En fait, les internées se sont retrouvées entre elles et cela n’a pas déclenché de processus de prise de conscience.
Il y a pourtant eu des célébrités, dont l’histoire personnelle a croisé celles de ces camps. Michel Del Castillo a été enfermé enfant à Rieucros, il en a fait une matière littéraire, mais n’a pas porté le sujet sur la place publique. La mère de Véronique Sanson est aussi passée par ce camp. 
Le mathématicien Alexandre Grothendieck, qui a disparu récemment, a connu lui aussi Rieucros avec sa mère, la journaliste Hanka Grothendieck. Leurs trajectoires sont restées confidentielles.

Dans le film, Angelita Del Rio, l’une des plus jeunes prisonnières politiques de Pétain, Nuria Casamiquela, sa « sœur de camp », et Pauline Talens-Péri, incarcérée bébé, sont émouvantes et loquaces. Avez-vous eu du mal à les faire parler ?
Je les ai approchées avec un grand respect, en ayant bien conscience qu’elles ne sont plus très nombreuses encore en vie. Ce sont les derniers témoins directs de ces événements. 
Si certaines n’ont pas pu parler pendant longtemps de tout cela à leurs propres enfants, c’est qu’on ne peut transmettre un passé douloureux que quand on est soi-même apaisé.
Jusqu’à présent, aucune de ces femmes ne s’était beaucoup épanchée. Seule Angelita va depuis des années dans les écoles, où elle raconte son histoire devant un très jeune auditoire. Nuria m’a beaucoup touchée. Elle a eu un destin particulier : très engagée politiquement en Espagne dans le camp républicain, sa mère l’a fait participer à ses actions. 
Y compris sous les tirs d’obus, en Catalogne. Nuria a mis des années à réaliser ce que sa mère lui avait fait vivre à l’âge de 15 ou 16 ans, et à comprendre que ce destin que sa mère lui a fabriqué l’avait conduite jusque dans un camp d’internement en France.

Certains intervenants du documentaire laissent penser que la mémoire locale de Rieucros demeure considérablement marquée par les préjugés et le mépris à l’égard des détenues : cela vous a étonnée ?
Oui, et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai voulu faire ce film. Si on interroge aujourd’hui, à Mende, des personnes âgées, on peut recueillir des propos négatifs sur les femmes du camp. On entend encore parler de femmes de « moralité douteuse ». 
On m’a beaucoup répété qu’il ne fallait pas que je dévoile des identités, que je cite le nom des anciens gardiens.
Je n’ai d’ailleurs pas pu intégrer dans le documentaire le témoignage d’une femme qui était petite fille dans les années 40. Voisine du camp, elle a reçu de nombreux cadeaux des internées de Rieucros. 
Elle possède encore des jouets que les femmes lui ont fabriqués pour son anniversaire. Aujourd’hui, chez cette octogénaire, les souvenirs des années noires demeurent très présents. Je ne parvenais pas à réaliser l’interview. Elle me disait : « Je ne peux pas vous parler, vous ne vous rendez pas compte des implications, je dois me taire ». 
Même si son grand âge accentuait évidemment les choses, on sentait que son esprit était encore colonisé par ce lourd passé !

En voyant votre film, on s’interroge sur un éventuel parallèle entre ces années 30, si intolérantes vis-à-vis de l’étranger, et la xénophobie aujourd’hui. Pourquoi ne pas avoir abordé franchement le sujet ?
Je n’ai pas voulu faire un film militant. Si le télespectateur y pense, c’est tant mieux, c’est que j’ai atteint le but souhaité. 
Je voulais mettre en avant tous les éléments pour qu’on arrive à cette réflexion. Je crois que Nuria, Angelita et Pauline pensent à ce parallèle entre les années 30 et aujourd’hui, et il me semble qu’on le comprend dans leurs propos.








Source Telerama
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