Atlantico : Dans votre livre, Le dernier Juif de France (éditions Intervalles) vous décrivez la réalité d’un journaliste en pleine désillusion face à une pensée unique « progressiste » imposée par sa hiérarchie.
L’histoire de ce personnage n’est pas sans rappeler les évènements récents qui ont agité le monde de la presse, notamment la démission de Bari Weiss, journaliste au New York Times, en désaccord profond avec la ligne éditoriale suivie par la rédaction.
Quel regard portez-vous sur la situation de la presse aujourd’hui ?
Hugues Serraf : Il est assez logique que les romans s’inspirent du réel. L’intrigue de mon roman pouvait se situer dans deux domaines : le milieu universitaire ou la presse. En tant que journaliste, le monde de la presse est davantage dans mon champ d’expertise et c’est tout naturellement que j’ai choisi ce milieu comme le cadre de mon livre.
L’histoire de Bari Weiss a pris une dimension majeure, car les accusations qu’elle porte à l’égard de la rédaction du New York Times, une référence mondiale de la presse, trouvent, de fait un écho mondial.
On assiste aujourd’hui à la montée d’une idéologie terrifiante. Ce radicalisme s'installe dans une société extrêmement polarisée où les gens « normaux » se retrouvent bloqués entre deux lignes de pensée radicale, coincés dans cette tenaille identitaire.
Nous sommes dans un contexte où les extrémistes donnent le ton général du discours ambiant : une gauche identitariste radicale - qui ressemble à celle décrite dans mon livre - et une droite identitaire également, qui reprend les mêmes schémas d’essentialisation du discours. Les Juifs quant à eux, demeurent des cibles tant de l’extrême droite que de l’extrême gauche identitaire.
Au milieu, les universalistes, qui se refusent à laisser le monde devenir un endroit où chacun se définit par son identité la plus étroite, sont peu entendus, en particulier dans les médias généralistes qui alimentent cette tenaille identitaire.
Car aujourd’hui, la presse traverse une crise structurelle complexe : conversion au numérique, disparition progressive de la presse imprimée… la manière dont l’industrie de la presse va se réorganiser demeure encore incertaine. Les choix qui sont faits par les patrons de presse sont des choix économiques dans un secteur en crise, mais aussi des choix idéologiques.
Pour autant, il faut faire attention à ne pas mélanger toutes les situations. La presse française a toujours été une presse d’opinion : c’est sa marque de fabrique.
Il suffit de lire Bel-Ami de Maupassant où la description de l’univers de la presse définit bien les relations entre les acteurs économiques et les grands groupes de presse.
L’approche américaine est différente. Malgré le positionnement politique du journal, le New York Times a toujours été une référence en termes de déontologie, de recherche, d’enquête.
C’est pour cette raison que l’affaire Bari Weiss est assez emblématique des événements de notre époque.
À l’heure actuelle, lorsqu’on regarde la presse, l’actualité, la plupart des événements sont traités en fonction du choix narratif qui a été fait. Le lecteur n’achète pas, ne lit pas, ne regarde pas le journal pour apprendre quelque chose, mais cherche à conforter ses préjugés préalables.
Dans votre livre, vous semblez considérer que ce phénomène sociétal est une phase destinée à s’arrêter dans un futur proche. Est-ce vraiment le cas en dehors de la fiction ?
Je ne suis sûr de rien, mais je reste un optimiste. Personne ne connaît l’avenir, ne sait comment les choses vont évoluer. Le monde occidental traverse une phase de transformation sur le plan politique.
La « gilet-jaunisation » s’étend à de nombreux pays (Etats-Unis, Allemagne, Angleterre, Italie). Nous sommes dans une guerre idéologique permanente : c’est un état du monde.
La France et les pays européens, les pays démocratiques, avaient le sentiment d’être passés dans une époque où le combat idéologique s’est déplacé dans le cadre d’un débat institutionnel et démocratique.
Aujourd’hui, nous avons l’impression qu’il y a une vraie remise en question des modèles démocratiques. Il y a un discours anti démocratique qui se développe, comme un néo maoïsme.
On ne veut pas changer simplement les choses pour les améliorer. La tendance est au repli, à l’opposition, aux discours identitaires.
Les racialistes de gauche vont dans le sens opposé de l’histoire. Il est possible que ça devienne pire avant que les choses s’améliorent.
Des voix commencent à s’élever aux Etats-Unis, dont celle de Noam Chomsky qui a signé un appel à la suite du départ de Bari Weiss du New York Times pour apaiser la situation. C’est une des raisons qui me rend optimiste.
Source Atlantico
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