Les discussions sont simples, certains se demandent s'il faut creuser plus, d'autres se questionnent à propos de l'utilité de ce feuillet: «Il y a des toilettes à disposition à 200 mètres du camp...»
Alertée par le frottement des feuillages et l'ombre d'une imposante silhouette, la petite troupe change son comportement.
Les mains sortent des poches, un outil est ramassé, les coups de pelles et de pioches sont plus nerveux, pas question de passer pour un fainéant auprès du père spirituel.
Yvan Benedetti mesure près d'un 1,90 mètres pour 100 kilos. L'ancien conseiller municipal du Front national expulsé du parti est aujourd'hui l'un des porte-parole du Parti nationaliste français et président du groupuscule identitaire Jeune Nation.
Mains sur les hanches, le regard sur ses ouailles, il affiche un regard satisfait. Le feuillet creusé, Yvan Benedetti saisit son talkie-walkie: «Les filles? Le dîner est prêt dans combien de temps?»
Été 2018, comme depuis dix ans, quelques dizaines d'ultranationalistes se retrouvent pour un camp d'été d'une semaine, organisé par Benedetti. Cette année, la promotion sera nommée Œuvre française. Un nom qui fait référence à l'ancienne appellation de Jeune Nation.
Le groupe a été dissous par Manuel Valls après l'affaire Clément Méric. L'organisation n'a jamais cessé son activité. En 2019, Yvan Benedetti a pourtant été condamné en appel à huit mois de prison avec sursis pour reconstitution de ligue dissoute.
En dépit du verdict, le camp est encore organisé en 2020. Le but du séjour: fédérer autour d'idées fascistes et antisémites, recruter, former, manipuler les plus jeunes pour les préparer à une révolution ultranationaliste.
Une organisation sous le signe des symboles
L'adresse est toujours donnée au dernier moment après «aval de l'autorité». Nous sommes en pleine campagne, à quelques kilomètres de Montauban. Pierre Verdier, un proche de Jean-Marie Le Pen a cédé l'un de ses pâturages. Cet assureur a tenté plusieurs fois de se faire élire dans sa région. Sa dernière tentative date de 2017 aux législatives sous le nom du Parti de la France, sans succès.
La maison surplombe plusieurs champs aux forts dénivelés. De là, on aperçoit des pans de vallées où cohabitent terres agricoles et forêts vertes. En cette fin de journée d'été, les jeunes volontaires se retrouvent.
On s'accueille: «Salut ami!» Que l'on se connaisse ou pas, ici, on se nomme «ami», comme d'autres se nomment «camarades».
Le salut est protocolaire, au lieu de s'empoigner les mains, on se sert l'avant bras, un moyen symbolique de se reconnaître.
À l'heure dorée du premier jour, le soleil tape encore sur la colline et plusieurs s'acharnent à hisser un mât arraché à la forêt.
C'est sur celui-ci que sera hissé le drapeau français. À quelques mètres d'eux, un cube. Des croix celtiques sont incrustées sur ses faces. Elles illumineront les veillées nocturnes.
Encore rangé, un drapeau du Parti nationaliste français doit habiller le ciel, tandis qu'une croix celtique sculptée attend de trôner au pied d'un chêne. Elle représente les nationalistes disparus pour «la cause». Plus tard, des t-shirts seront distribués.
Des consignes ont été données sur les tenues à porter. Tout le monde doit se ressembler. Le but est d'effacer les identités pour mieux endosser le costume de la «bête immonde».
L'obéissance aux règles et à la hiérarchie
Dans ce paradis de campagne aux espaces immenses de verdure, la vie de chaque individu est dictée par les règles du camp: obéir et demander l'autorisation avant toute initiative. Installer sa tente, par exemple, requiert la validation de Youri, nommé chef de camp.
Artisan électricien, ancien agent de sécurité, le jeune homme est affûté. Souriant et pédagogue, c'est le fils spirituel parfait pour un patriarche tel que Benedetti.
C'est lui qui décide de l'heure des repas, de la disposition des éléments du camp et de l'horaire de la douche. C'est à lui aussi qu'incombe le rôle de crieur du «garde à vous».
L'heure de la toilette, bien qu'imposée, est l'un des rares moments non supervisés. Certains y vont de leurs théories antisémites.
Arnaud, salarié dans un hôpital de l'Est, est l'un des plus bavards. Incarnation extrême du cliché de l'ultranationaliste de base, il est souvent raillé au sein de la troupe.
Surnommé «couille de loup», il est chétif, sa démarche est gauche, sa voix sonne aigu. C'est l'un des plus aguerris en matière de rhétorique de l'ultra-droite.
Pour lui, les camps d'exterminations n'ont pas existé. Sa révélation a eu lieu lors d'un séjour pédagogique: «On est entrés dans une salle et on m'a expliqué qu'ici, jusqu'à cent personnes pouvaient avoir été gazées d'un seul coup. Sauf qu'on était trente et qu'on arrivait à peine à y entrer.
C'est là que j'ai compris qu'il y avait un problème et que j'ai fait mes recherches.
Il n'y a jamais eu de chambre à gaz, c'est une invention du système judéo-maçonnique.»
Son dos est tapissé à l'encre d'un Christ sur la croix, accompagné du sigle du PNF, pour Parti nationaliste français.
Arnaud a bien appris sa leçon. Il sait pourquoi il est venu: «On fait beaucoup de sport et d'efforts, c'est très dur pour moi mais on se soutient tous. La manière qu'on a de se saluer avec l'avant-bras, ça résume tout: ça veut dire que si tu tombes, quelqu'un est là pour te rattraper.»
Les repas se prennent dans un esprit convivial mais toujours de manière ordonnée.
Deux personnes sont désignées pour le service. Les femmes restées en cuisine remplissent les gamelles. On commence toujours par les plus anciens, Benedetti et Veyret-Passini, son lieutenant.
Certains récitent une prière avant de manger, ici on est catholique ou rien. D'autres sont plus expressifs. L'un d'entre eux a pour habitude de lancer des «Sieg Heil!» à toute heure. C'est lui qui fait souvent rire la petite troupe. Le repas se termine quand les chefs le décident.
La construction d'un camp, la destruction du mental
Le levé du deuxième jour est l'occasion d'installer définitivement le camp. Pour le gourou, cela permet de rappeler à sa communauté que «l'homme blanc a toujours été un bâtisseur.
Ici, on est entre nous, entre Blancs, on se comprend». La forêt sert à dresser un abri pour se protéger du soleil pendant les repas. On abat plusieurs arbres pour faire des bancs dans le but de s'asseoir et contempler le patriarche pendant les veillées.
En ce milieu de première matinée, la radio de ce dernier grésille: «La tronçonneuse est cassée, on peut pas la réparer. –Reçu, il faut couper les arbres à la machette.» Mauvaise nouvelle pour la troupe, excellente pour les responsables.
Les ouailles s'épuisent un peu plus, les esprits n'en seront que plus réceptifs pour assimiler les idées infusées lors de la veillée du soir. Chacun se relaie dans une chaleur déjà étouffante pour détruire l'écorce en même temps que la paume de ses mains.
Ces efforts s'ajoutent à ceux de la logistique. Une difficulté a encore été ajoutée à celle du labeur: couper les arbres de l'autre côté d'un ruisseau asséché. Les troncs transportés glissent sur les épaules tandis que les chaussures s'enfoncentt dans la boue.
Pour se donner du courage, celui qui s'emploie déjà à hurler «Siegh Heil» change de slogan: «Mort aux Juifs!»
Source Slate
Vous nous aimez, prouvez-le....