Ile de Tours, île aux fleurs, île coquette… Au cœur de la Vienne, la dernière des îles de Chinon porte de nombreux noms, comme autant d’évocations de sa riche histoire et de la nature luxuriante qui l’habille.
« Pourtant, de nombreux Chinonnais ne savent pas qu’elle existe, raconte Roger Pallone, désormais le plus vieux de ses habitants. Ils pensent voir simplement l’autre rive de la Vienne. »
Mémoire de l’île, il en connaît les richesses, au détour des discrètes allées qui bordent les jardins familiaux. Il en connaît les caprices, aussi. « Chaque année, nous sommes inondés. »
Mais c’est surtout l’histoire du lieu qui suscite les fantasmes. « Les gens pensent que c’est ici qu’a eu lieu le massacre des Juifs, en 1321 », raconte le photographe amateur. Encore aujourd’hui, la mémoire de ce drame sanglant donne à l’île son surnom d’île aux Juifs.
Au Moyen Âge, la ville de Chinon accueillait en effet l’une des communautés juives les plus prospères de Touraine. « Jusqu’au XIVe siècle, il y avait une école talmudique très importante, avec des auteurs renommés », explique Françoise Houvenaghel, autrice d’un fascicule sur le sujet.
En mai 1321, le roi de France, Philippe V « le Long », fait étape à Chinon. L’époque, celle des rois maudits, est trouble.
À son arrivée, la rumeur monte : les lépreux, avec la complicité des Juifs, empoisonneraient les puits.
Le roi prend la fuite ; c’est le début de massacres antijudaïques à travers le pays.
Le 27 août, 160 Juifs de Touraine, du Poitou et d’Anjou sont amenés à Chinon pour y être brûlés vifs. Parmi eux, huit habitants de la ville. Le bûcher est dressé sur une île de la Vienne, loin des maisons de bois. Les habitants du quartier juif sont expulsés.
Le drame tombe ensuite dans l’oubli, jusqu’à ce que l’historien Jacques Dumoustier en ravive la mémoire, à l’orée du XIXe siècle. Il situe alors le massacre sur l’île de Tours.
Son récit fait fantasmer les Chinonnais : certains disent identifier la fosse où a eu lieu l’exécution, le nom d’île aux Juifs est popularisé, jusque dans les démarches administratives.
Pourtant, le lieu fait polémique. « L’île de Tours appartenait à l’évêché de Tours, argumente Françoise Houvenaghel. Or, ils ont de très bonnes archives, qui ne le mentionnent pas. » Elle situe plutôt le bûcher sur l’île Boutevilain, disparue aujourd’hui.
Mais malgré les travaux des historiens, les mythes habillent encore la mémoire du massacre, des siècles après.
« Un Parisien a acheté une maison sur l’île, raconte Roger Pallone. Il m’a dit qu’on lui avait donné un secret : la fosse du massacre serait située sous sa cave. Et il entretient tout un mystère dessus… »
Source La nouvelle republique
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